lundi 7 août 2023

François Avard et la poursuite du Bonheur

  FRANÇOIS AVARD ET LA POURSUITE DU BONHEUR

Chaque soir que Dieu fait je regarde avec délectation un épisode ou deux de la série Le Bonheur avec les textes signés François Avard. Il faut remercier le culot de Fabienne Larouche et Michel Trudeau, les producteurs, pour oser défier les codes de la bien-pensance qui étouffent présentement la morale québécoise. Poussant la vulgarité des humoristes jusqu'à son point de rupture, ils la détournent de son insignifiance pour lui faire porter une critique cyniquement acerbe de notre monde actuel.

Joyeusement, la plume de Avard déverse du fiel. Elle est sa marque de commerce depuis le succès des Bougon. On a subi ses dommages aussi dans d'autres séries, comme Les Beaux Malaises de Martin Matte. Mais avec la série Le Bonheur, diffusée sur TVA, ce fiel atteint un niveau d'acidité inégalable. Qui, des p'tits vieux comme moi en regardant la série n'a pas reconnu le sit-com américain des années 1960, Les Arpents verts (Green Acres, 1965-1971). L'idée de départ est semblable sans être identique. Dans la série américaine, un riche avocat de New York, Oliver Wendell Douglas, quittait sa toge de plaideur pour revêtir le costume trois-pièces (de Jacques Parizeau) pour se faire fermier. Son premier geste était d'acheter une fermette délabrée à Hooterville et y traîner son épouse hongroise friande du shooping dans Times Square. Évidemment, Douglas devenait vite victime des machinations de M. Haney, maître ès combines dans l'art d'escroquer le naïf qui lui revient toujours de toutes façons.

Le héros de Avard, François Plante, lui, après une crise dépressive en pleine classe, devant des élèves médusés qui le voient flipper son bureau et le filment (sans son consentement!), renonce à l'enseignement et achète une fermette dont le délabrement est moins évident que celui de la série américaine, mais dont les vices apparaissent au fur et à mesure à chaque épisode. Là où Plante (et Douglas) pensaient enfin accéder au bonheur, ils se voient replongés dans les aberrations du monde réel qu"ils s'efforçaient à l'origine de fuir. Dans le Bonheur, M. Haney change de sexe et devient l'agent d'immeuble, Karoll-Ann Lapoynte-St-Jacques.

Comme son pendant américain, François Plante suit le rêve tracé par Thomas Jefferson : ce rêve qui veut que la vie urbaine soit moins saine que celle du fermier qui s'enrichit de son travail sur sa petite propriété, son petit lopin, pour jouir pleinement de la vie authentique parce que naturelle. S'établir en campagne est présenté comme une promesse de bonheur. Non pas tant à l'instar du retour à la terre, comme le voulaient les granoles des années 70 - Plante ne vient pas en campagne d'abord pour cultiver la terre, comme Oliver Douglas, mais pour y écrire son fameux roman -, qu'afin d'y trouver un havre de paix et de béatitude. Entre cette vocation littéraire (artistique et intellectuelle) et la sinistrose qui le harcelait en tant que professeur de français dans une polyvalente déjantée, les déboires et les désappointements se succéderont à chaque semaine.

François Avard n'est pas le seul auteur québécois dont les œuvres sont particulièrement marquées par le cynisme. Le cinéaste Denys Arcand, surtout depuis Le Déclin de l'Empire américain, a signé des scénarios où jaillissent bien des pointes amères. Pierre Falardeau, surtout avec son Elvis Gratton, insistait pour nous rappeler que la liberté était plus qu'une marque de Yogourt. Mais chez Arcand comme chez Falardeau, le cynisme n'était jamais complètement fermé sur lui-même. Il y avait toujours une voie qui ouvrait sur un espoir quelconque. Dans le cas de Falardeau, c'était l'indépendance nationale des Québécois; chez Arcand, la possibilité que l'amour puisse venir faire une brèche dans l'enfermement dans notre indifférence bourgeoise. Chez Avard, nulle échappée possible. Reprenant Dante, il aurait pu afficher la terrible phrase qui accueille les damnés : Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir.

Mais François Plante n'entre pas en Enfer comme Dante. Il n'est pas un regard étranger porté sur l'aberration du monde dans lequel il se verrait plongé. Il en fait intrinsèquement parti. Dès le premier épisode, lorsqu'on le voit séduit par une mise en scène visant à lui faire acheter la fermette, il se bouche le nez (il ne sent pas le purin déversé par la porcherie voisine), se ferme les yeux (il signe l'acte d'achat sans inspection préalable) et ne veut entendre que le chant de la sirène qui use d'euphémismes pour désigner les vices du «domaine». Lui, qui avait jeté ses antidépresseurs après avoir signé l'acte d'achat, finira bientôt par fouiller la poubelle où il les y avait jetés! Le cynisme ouvre sur une tragédie qui n'était pas dans l'idée des concepteurs des Green Acres.

D'épisode en épisode, souvent en rétrospectives, nous suivons François Plante errer entre les aberrations du milieu scolaire et cet immense anus de la Terre (comme le désigne Stéphane son ami psychologue) qu'est Saint-Bernard-du-Lac. François se fait régulièrement rattraper par la ténacité de Serge, le directeur d'école, personnage débonnaire qui cherche à éteindre les feux qui s'allument sous l'effondrement du système scolaire.

Commençons avec le premier cercle de cette faune imparable. Son épouse d'abord, Mélanie (Mel), infirmière recyclée en thérapeute naturaliste puis en joueuse de banjo, et son fils, Étienne, grand flanc mou de 22 ans qui passe pour un adolescent atavique et vit en osmose, non avec sa mère mais avec son téléphone cellulaire. L'incapacité de saisir les ondes dans la «cuvette» (lieu où est située la ferme) lui fait vivre à la campagne un véritable calvaire. On y retrouve ensuite la belle-mère de François, Carole, héritée des Green Acres elle aussi. Le fait qu'elle a avancé l'argent de la fermette la ramène toutes les semaines harceler son gendre qu'elle présente à sa fille comme un raté afin de susciter son divorce. Elle est accompagnée de son ineffable concubin, Jocelyn, conspirationniste avéré qui sort une sottise de son chapeau à la minute.

Au-delà de ce premier cercle de l'Enfer, il y a les habitants du village Saint-Bernard-du-Lac qui n'a rien à envier à Hooterville. D'abord le maire, Justin Lafleur, (qui ne ressemble en rien au maire Drucker), incolore et opportuniste, véritable sangsue; le gars de l'Hydro, assis tous les matins sur le bol de toilette, il rend compte de la servitude d'Hydro); Nancy, qui tient le magasin général du village; Germain, le policier embusqué qui ne sort jamais de son véhicule et sert de relais téléphonique entre Serge et François. Il y a aussi le couple de voisins baptisés les Parfaits, personnages insipides de lieux communs. Au cours de la deuxième saison bien d'autres personnages se sont ajoutés, des personnages en particulier issus des média.

Après la famille puis le village, le troisième cercle de l'Enfer de François Plante est son ancien milieu. Le monde scolaire y est présenté rempli d'enseignants châtrés régulièrement victimes d'élèves chahuteurs, wokes absurdes, mani-

pulateurs vicieux. De l'école publique à l'école privée, Avard ne donne aucun répit à son mépris du monde scolaire. À leur ignorance, ces élèves ajoutent l'arrogance, l'ignominie, le dédain de leurs aînés, voire leur agressivité criminelle – l'un d'eux, participant à un défi sur le cell, le Kill your prof challange, poignarde l'un des enseignants, ami de François. Ces enseignants en mal d'existence vénèrent un certain Pierre-Paul, enseignant démissionnaire, en fait un dément qui s'est enfermé à peindre des scènes de classocalypse avec son sang.

Ces enseignants, en effet, ne méritent guère d'éloges. Abandonnés par le système scolaire (le Ministère), méprisés par les parents (l'un d'eux envoie un douchebag casser la gueule à François Plante), perdant le contrôle de la gestion de classe, ils sont gouvernés par Serge, le directeur sans épine dorsale. On retrouve, entre autres, Éric, le professeur des métiers, alcoolique divorcé aux tendances meurtrières réprimées; Judith, le professeur d'économie, qui se fait donner des leçons de fraude fiscale par ses élèves; Monique, le professeur d'anglais qui cache son ignorance de la langue en faisant parler les élèves à sa place, mais surtout Daniel, le pathétique professeur d'histoire.

Poussant la caricature, Avard enrichi son personnage de situations hebdomadaires qui le prend en tenaille entre les exigences de la réforme du ministère en matière d'enseignement et son aptitude à se déguiser afin d'intéresser les élèves à l'histoire. À chaque semaine, évidemment, sa marotte se retourne contre lui, au point qu'on le retrouve en camisole de force dans le dernier épisode de la seconde saison, donnant de sa cellule en psychiatrie son cours à distance afin de palier au manque de personnel de remplacement.

La persistance avec laquelle Avard ramène ce personnage étranglé dans les contradictions du système confirme la fermeture sur lui-même du cynisme. Aucune option politique n'est offerte à François Plante pour espérer une société meilleure, pas même une sortie de crise! Condamnée dans sa médiocrité et ses mensonges, la société ne peut que maquiller le passé afin de se donner une légitimité. Face à Jocelyn, le beau-père de François qui l'assaisonne d'intraterrestres, d'intramerestres, de terre plate et autres sornettes, le ministère de l'éducation impose à Daniel un programme assaisonné de wokismes tout aussi aberrants. C'est l'option idéologique d'Avard, renvoyer dos à dos conspirationnistes et wokes tant ils appartiennent à la même dérive culturelle.

Ainsi, successivement, verra-t-on Daniel costumé en Hélène Boulé, «puisqu'on fait plus l'histoire de Champlain, on fait celle de sa femme» (à moins de se rappeler que le rôle historique d'Hélène Boulé, avant de disparaître dans un cloître, fut d'apporter sa dote à Champlain pour poursuivre ses explorations, on ne verra pas l'ironie méchante de l'allusion); puis en Iroquois amical, puisque dans le nouveau programme, «Français et Iroquois sont amis et les scalps sont justes une forme de rite initiatique»; selon le même programme; la déportation de 1755 devient «une grande vacance, une croisière payée aux Acadiens par les Anglais»; la pendaison des Patriotes de 1839, qu'un malentendu lié à une pendaison de crémaillère (Pauvre Falardeau!). Plus cruel lorsque Daniel se déguise en Rigolocauste, un juif revêtu de l'uniforme des camps de concentration avec un masque de clown afin de «ne pas traumatiser les jeunes en leur exposant la réalité de façon trop crue. Tu sais nos jeunes sont sensibles et facilement offusqué de nos jours». Ce qui lui vaudra d'être arrêté par la police et suspendu pendant deux jours : «L'association Amitié canado-allemande s'est dite outrée qu'on ressasse sans cesse ses crimes précisant que les Allemands d'aujourd'hui n'ont cesse de faire amende honorable et n'ont plus a subir l'opprobre des crimes commis il y a près de cent ans bientôt». Vers la fin de la première saison, on le verra effacer la cigarette de René Lévesque, puis la flèche du ventre d'un castor, enfin modifier la corde de pendu de Louis Riel en cravate.

À la seconde saison, le rythme des déformations historiques perd de sa constance. Daniel apparaît au second épisode déguisé en John Lennon et se fait poignarder par un élève; puis en coureur des bois qui aime les castors et finit par les convaincre de lui donner leurs fourrures «par le dialogue et la persuasion». «Le consentement éclairé pour le dépiautage de l'animal, c'est la base d'une relation saine. ...c'est moins choquant pour eux autres (les élèves)», ce à quoi Éric, le professeur des métiers, rétorque : «À journée longue, les jeunes jouent à des jeux vidéos où ils tuent des putes à coups de battes de baseball...» «Faut croire que les animaux attirent plus de sympathie que les putes», conclut Daniel. Dans l'épisode suivant, il arrive portant le chef de René Lévesque avec un poignard sanglant dans le dos, évocation du rapatriement de la constitution. Il apparaît aussi revêtu du «costume traditionnel de Mohawk» (l'habit kaki de Lasagne) pour le cours sur la crise d'Oka. Il se place la tête dans une guillotine en carton pour enseigner la Terreur. Dépressif à son tour, Daniel prend la classe en otage après avoir enseigné l'histoire du véganisme au temps de la colonisation. «Un végane est arrivé en Nouvelle-France en 1664, pas de viande, pas de cuir, pas de fourrure pas de lait, en plein hiver. Il est mort au bout de 2 jours. Un élève a trouvé ça trop violent et a menacé de porter plainte». Dans les deux derniers épisodes, d'abord, il est présenté en pleine psychose dans une boîte aux lettres dans laquelle le FLQ glissait ses engins explosifs, parce que dans le nouveau programme, «faut enseigner le point de vue de la boîte aux lettres»; enfin, il arrive déguisée en prostituée poignardée par Jack l'Éventreur... Le cynisme de Avard achève de monter une épouvantable mécanique aux grincements des plus violents.

Durant la deuxième saison, Avard pousse la transgression dans toutes les directions. On le croirait appliquer la Psychopathia sexualis de Krafft-Ebing tout au long des épisodes. On y retrouve la pédophilie quasi magnifiée par un prêtre sorti de prison (le thème revient avec le chauffeur d'autobus scolaire); le fétichisme (un client du bed & breakfeast arrive avec sa poupée gonflable dont il fait l'éloge au détriment des femmes); les Parfaits suggèrent de pratiquer l'échangisme; l'exhibitionnisme (le sourcier qui, étendu nu, copule avec la terre); la coprophagie (Mel déguste des chocolats à la selle qu'elle offrira à son mari, parodie de la tentation d'Adam); le cannibalisme (François et Jocelyn, participant à un groupe de survivalistes, sont invités à manger la jambe d'un itinérant mort puis a pratiquer la sodomie). Sans compter le sadisme et le masochisme récurrents, il reste encore la bestialité, la gérontophilie et bien d'autres petites perversions à explorer. Quant au suicide, le précédent propriétaire de la fermette, (un double de François), s'est suicidé et son fantôme hante la maison. Côté homicide, les femmes du Cercle des Fermières reconnaissent implicitement avoir tué leurs maris afin de trouver le bonheur.

Personne, et Avard le premier, ne tiendrait les caricatures du Bonheur pour un portrait fidèle des Québecois, de leurs enfants et de leurs enseignants. Pourtant, le succès est au rendez-vous et dans l'ensemble des émissions de TVA, qui sont purgées par la haute direction de Québécor, le Bonheur semble appelé à attirer suffisamment de commanditaires pour obtenir le soutien de la boîte de production pour une troisième saison. Plutôt que de présenter la tradition-

nelle haine de soi des Québécois avec des accents tragiques et misérabilistes, Avard et l'équipe de production préfèrent porter le drame par le rire. Il y a des accents kafkaesques dans le Bonheur. On quitte le port de l'ironie et le navire du cynisme s'enfuit vers une Cythère décadente, Avard, le guide, nous ayant refilé un dépliant de S.O.S. Suicide, à l'instar du préposé au kiosque des activités touristiques de Saint-Bernard-du-Lac

Jean-Paul Coupal
Sherbrooke,
7 août 2023.

samedi 13 août 2022

Kamloops, ou la naissance d'un mythistoire canadien

 

Le pensionnat autochtone de Kamloops

KAMLOOPS, 

OU LA NAISSANCE D'UN MYTHISTOIRE CANADIEN

Pour Jean-Pierre Pelletier

L'historien québécois Jacques Rouillard a publié dans la revue «L'Action nationale» (n° de février 2022) un texte très critique à l'égard des événements consécutifs à la découverte de ce qui serait une fosse commune contenant les dépouilles de jeunes pensionnaires autochtones à l'ancien pensionnat de Kamloops en Colombie Britannique : Où sont les restes des enfants inhumés au pensionnat autochtone de Kamloops? Dans cet article, Rouillard dresse une critique historique des événements qui sont à l'origine de toute une campagne, aussi bien auprès des autochtones que de la population canadienne en général et qui a débordé dans les média de la planète entière.

Kamloops. À chacun sa doctrine de la «découverte»

Jacques Rouillard, qui demeure l'un des pionniers de l'histoire ouvrière au Québec, avait fait paraître cette critique dans une première version anglaise In Kamloops, Not One Body Has Been Found, paru en ligne dans «Dorchester Review» le 11 janvier 2022. Le texte de Rouillard est d'abord une réaction à un battage médiatique né de la «découverte» de «restes d'enfants» près du pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique; pensionnat en activité de 1890 à 1978. En effet, le 27 mai 2021, un simple communiqué annonçait que la jeune anthropologue Sarah Beaulieu, de l'université de Fraser Valley, avait trouvé un cimetière d'enfants qui ne portait aucune indication sur les cadavres ensevelis. Beaulieu aurait utilisé un géoradar à la surface du sol avec lequel elle aurait trouvé des dépressions et des anomalies dans le sol qui laisserait croire que des corps d'enfants y seraient enterrés. Cette «découverte» confirmerait la tradition locale (autochtone) que «la présence de ces dépouilles est "un savoir" dans la communauté depuis longtemps» et qu'on ignorerait le nom de ces enfants et la cause de leur mort. Une seconde recherche, rendue publique en juillet 2021, estimait à 200 tombes anonymes, toujours détectées au géoradar. «Ces perturbations dans le sol telles que des racines d'arbres, du métal et des pierres» seraient «des signatures multiples qui en font un lieu d'enterrement probable», ce qu'elle ne peut confirmer sans que soit effectuée une excavation. Jusqu'à présent, aucune excavation n'aurait été accomplie.

De cette ébauche de «découverte», les média ont semé une véritable «commotion». D'autres nations autochtones se sont mises à faire référence à d'autres tombes anonymes et, avant même de connaître le rapport des fouilles de Kamloops, le Premier ministre Justin Trudeau a endossé l'hypothèse d'une fosse commune et évoque aussitôt «un chapitre sombre et honteux» de l'histoire du Canada. Dès le 30 mai, les drapeaux sont mis en berne signifiant «la grande repentance et la dépendance du gouvernement canadien dans ses négociations avec les Autochtones». Moins d'un mois plus tard, il instituait une journée fériée pour rendre hommage aux enfants «disparus» ainsi qu'aux «survivants» des pensionnats, de même qu'il déplorait l'Église catholique de ne pas reconnaître leur «responsabilité» et leur «part de culpabilité dans la question des pensionnats autochtones au Canada». En fait, Justin Trudeau venait tout simplement d'accréditer la naissance d'un mythistoire. 

Rouillard poursuit en rappelant que 68 églises catholiques de l'Ouest canadien auraient subi du vandalisme, certaines ayant carrément été incendiées à la suite de l'annonce de la «découverte» de Kamloops. Des statues barbouillées de sang (de peinture rouge) jusqu'à la décollation de celle de John A. Macdonald à Montréal et la décision du gou-vernement fédéral de débaptiser l'édifice Langevin - Hector Langevin est considéré comme le responsable de la politique d'internement des pensionnats autochtones - ont témoigné de l'ampleur de la colère populaire (et non seulement de celle des Premières Nations). De fait, la machine à rumeurs ne cessait de s'emballer. Bientôt, on allèguerait avoir réellement trouvé les corps de 215 enfants à Kamloops; que des milliers d'autres étaient portés disparus dans les pensionnats sans que leurs parents en furent informés. On mentionnait des fosses communes qui se changèrent bien vite en charniers laissant supposer que les corps y avaient été enterrés pêle-mêle, sans sépulture. La presse mondiale fut aussitôt contaminée. Ces rumeurs hystériques furent partagées par des journaux aussi sérieux que le «New York Times» et «Le Monde». Comment auraient-ils pu avoir en tête autre chose que les fameux charniers trouvés à Auschwitz et autres camps d'extermination nazis? Sous cette pression médiatique, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme se mit à la recherche de violations des droits de la personne «commises à grande échelle» et trouva «in-concevable que le Canada et le Saint-Siège laissent des crimes aussi odieux sans réponse et sans réparation». Amnistie internationale de son côté exigea de traduire en justice les responsables de ces établissements et parla des «ossements» des 215 enfants trouvés à Kamloops, «encore une fois sans qu'aucun corps n'ait été» exhumé! Tous ces organismes animés des meilleurs intentions du monde tombèrent dans l'attrape-nigaud et se discréditèrent une fois de plus.

Les présumés auteurs de ce «crime» - les gouvernements, les communautés religieuses, la Conférence des évêques catholiques et même le pape - se confondirent en excuses alors que les chefs des Premières Nations exigeaient des excuses officielles et demandaient des compensations aux «survivants» des pensionnats. Ottawa accepta de verser jusqu'à 27 millions $ pour identifier et délimiter par géoradar les sites d'enterrement et s'engagea à «retourner les restes humains à leurs familles si elles le désirent». Le communiqué qui annonçait cette décision ne parle pourtant pas d'organiser des fouilles et des excavations qui seraient le bienvenue afin de confirmer la «découverte» de Mme Beaulieu. D'autres fonds seraient versés par la suite pour entreprendre ces fouilles. Avant même la découverte réelle - l'exhumation des corps -, le «charnier» était confirmé dans les esprits généralement peu soucieux de discernement et de nuances. On a condamné pour fraudes pour moins que cela.

C'est ici que Rouillard y va d'un premier commentaire de son cru : 

«En ne mettant jamais en évidence qu’on en est encore au stade des hypothèses et qu’aucune dépouille n’a encore été trouvée, le gouverne-ment et les médias laissent s’accréditer une thèse, soit celle de la disparition de milliers d’enfants dans les pensionnats. D’une allégation de «génocide culturel» avalisée par la Commission de vérité et réconciliation (CVR), on est passé à un «génocide physique», une conclusion que la Commission rejette explicitement dans son rapport. Tout n’est basé que sur la simple découverte d’anomalies dans le sol, des perturbations qui peuvent avoir été causées par des mouvements de racines, comme l’anthropologue l’a mentionné lors de la conférence de presse du 15 juillet».

Nous ne sommes plus ici dans le terrain de l'historiographie mais bien dans celui de la mythologie. Il s'agit de confirmer l'allégation de génocide culturel (et bientôt physique) avalisée par une commission gouvernementale qui a préparé le terrain dans les mentalités pour y accueillir la «découverte» de Kamloops. Bref, l'allégation confirmait Kamloops et non l'exhumation des corps qui ne viendrait que par après. On voit que l'imagerie, ici, précède la réalité.  

On retrouverait une analogie avec la manière dont jadis Lionel Groulx, racontait en détail les événements du Long-Sault alors que les archives ne disposaient que d'un document portant de nombreuses erreurs d'identification et avare de détails. L'auteur rapporte à ce titre la réserve de l'anthro-pologue Scott Hamilton, «qui a examiné la question des cimetières pour le compte de la CVR [Commission Vérité et Réconciliation]», et pour qui «il faut être prudent dans l'usage du géoradar, car le sol peut avoir subi des perturbations au cours des années, notamment par de la sédimentation, des obstructions et des cavités». Ainsi l'usage du géoradar dans le projet d'analyse du sol au pensionnat de Brandon, au Manitoba, amorcé depuis 2012 et relancé en 2019 n'a pas donné de résultat probant. Il valait mieux recourir aux bonnes vieilles usages des archives pour reconnaître les 104 tombes potentielles du cimetière. Alors que les historiens et les archéologues avançaient avec des pas prudents, les média et le gouvernement s'emballaient et déliraient.

Dans la suite de l'article, Rouillard rappelle les difficultés qu'ont eu les commissaires de Vérité et Réconciliation à obtenir des informations concrètes, informations souvent incomplètes au niveau du matériel archivistique. Les données, d'ailleurs, avaient souvent été trafiquées dans le but d'obtenir du financement du gouvernement ou subis un décalage dans le temps pour les élèves décédés. Le nombre de ceux-ci est fourni mais pas toujours sans les identifier. Des informations de noms, d'années ou de causes de décès manquent. Ouvrir les archives, c'est faisable, mais leur traitement est loin d'être évident. Ainsi, il y a des redites qui gonflent les chiffres réels. Ces lacunes méthodologiques concernent surtout les années antérieures à 1950 : «le taux de mortalité enregistré par la Commission dans les pensionnats de 1921 à 1950 (décès avec les noms et sans les noms) est deux fois plus élevé que celui des jeunes Canadiens âgés de 5 à 14 ans pour les mêmes années. Le taux de mortalité était en moyenne d’environ 4 décès par an pour 1000 jeunes fréquentant les pensionnats. Leurs décès étaient principalement dus à la tuberculose et à la grippe lorsque la Commission pouvait les identifier. D’autre part, le taux de mortalité dans les pensionnats est comparable à la moyenne canadienne de 1950 à 1965, pour les jeunes de 5 à 14 ans. Cette baisse est très probablement le résultat de l’inoculation de vaccins qui a eu lieu dans les pensionnats comme dans les autres écoles canadiennes». Quoi qu'il en soit, ces chiffres démentent les accusations d'intentions de génocide physique portées contre l'action de l'Église à travers les pensionnats.

De ces sources de renseignements partielles, la Commission s'est permise des déductions «surprenantes». En tout cas, des déductions rapides. Rouillard énumère les faiblesses des conclusions de la Commission, par exemple que ce n’était pas «pratique courante pendant la plus grande partie de l’histoire des pensionnats de remettre la dépouille aux commu-nautés d’origine» et que «personne n’aurait pris la peine de compter le nombre de morts ou de consigner leur lieu de sépulture», ce qui serait quand même étonnant de la part d'une Église qui tenait au salut chrétien des enfants et qui commandait une sévère pratique des sacrements et de l'enregistrement de ceux-ci dans les minutes des institutions. De même, la Commission affirme que «de nombreux élèves qui ont fréquenté le pensionnat n’en sont jamais revenus», perdus à jamais pour leur famille; «leurs parents n’étaient souvent pas mis au courant qu’ils étaient malades ou décédés». «Ces affirmations à partir de dossiers dits «lacunaires» sont graves, surtout si elles viennent d’une commission royale d’enquête. On comprend qu’elle plaide pour la nécessité de compléments d’enquête». En tout cas, nombre de ces affirmations relèvent de généralisations plus que de statistiques.

Rouillard résume ensuite l'histoire du pensionnat de Kamloops, fondé en 1890, dirigé et animé par deux communautés catholiques, les Oblats de Marie-Immaculée et les Sœurs de Sainte-Anne, venus du Québec. Dans les années 1950, il aurait compté jusqu'à 500 enfants, logés dans le plus important pensionnat au Canada dirigé alors par quatre Oblats de langue anglaise et 11 religieuses de Sainte-Anne. Les Oblats, comme les Jésuites jadis, avaient le souci d'apprendre les langues autochtones, ce que confirme l'historien Henri Goulet. De nombreuses publications en langues autochtones «attestent de leur volonté de maintenir les langues maternelles», ce qui infirme assez gravement les accusations de génocide culturel. Ce que cherchaient ces religieux serait une transition harmonieuse vers la société moderne. Ce qui les distinguait du gouvernement fédéral et des églises anglo-protestantes dont le but était une assimilation rapide.

«C’est certainement le cas en Colombie-Britannique où le père Jean-Marie Raphaël Le Jeune arrivé de France est affecté à Kamloops en 1882. Il y est très actif jusqu’à sa mort en 1929. De ses confrères oblats, il a appris le jargon chinook, mélange de chinook, de nootka, de français et d’anglais dont les oblats se servaient pour communiquer avec les Amérindiens. La maîtrise de cette langue leur apparaissait essentielle pour gagner leur estime et effectuer leur conversion au catholicisme. En utilisant une méthode sténographique inventée en France, le père Le Jeune adapte la prononciation des mots du jargon chinook pour la transposer à l’écrit le plus fidèlement possible. Il l’enseigne à d’autres oblats et au chef Louis Clexlixqen. En 1891, il publie même un périodique illustré portant le nom de Kamloops Wawa (Les Échos de Kamloops) écrit en jargon chinook et en anglais, paru régulièrement jusqu’en 1904, et par intermittence jusqu’en 1917. Il est l’auteur également de plusieurs opuscules et ouvrages éducatifs en anglais pour comprendre le Chinook. En compagnie du Chef Clexlixqen et d’un autre chef, ils se rendent en Europe pour démontrer leur savoir-faire et remportent des prix. Ils sont même reçus par le pape Pie X et le roi Édouard VII au palais de Buckingham».

Nous sommes ici dans la tradition du missionnariat catholique depuis le XVIIe siècle et non dans une totale entreprise de génocide culturel républicain du XIXe. Cela allait dans la voie du métissage qui était pratiquée par les colons français et écossais dans l'Ouest canadien. Tout cela s'inscrit dans une continuité culturelle qui suit la logique de l'histoire, ce qui infirme toute volonté génocidaire, extermi-natrice de ces institutions dont le but était l'éducation et la conversion des autochtones à la foi catholique. L'Église a toujours préféré convertir les païens plutôt que de les exterminer. N'était-ce pas sa mission apostolique déléguée par le Christ lui-même et confirmée par les Pères de l'Église, Augustin en tête? Rouillard déplore que le rapport de la C.V.R. ne reconnaisse pas ces efforts d'atténuer le choc culturel chez les autochtones. Les missionnaires n'étaient pas totalement indifférents aux traumatismes subis par ces enfants extirpés de leur famille. 

Plutôt que de consulter les archives de la communauté des Oblats, les commissaires s'en sont tenus aux intentions gouvernementales. Il est assez ironique de voir demander au pape l'ouverture des archives quand on a pas pris la peine d'aller consulter celles qui sont disponibles! L'historien en conclut que plutôt que de vouloir la vérité, la Commission cherchait à confirmer les torts individuels et collectifs subis par les peuples autochtones du Canada. Autant dire que la Réconciliation nécessitait la mutilation de la Vérité : «Pour avoir consulté les chroniques de huit pensionnats albertains conservés aux archives de la province, nous y avons trouvé une mine de renseignements rédigés en français ou en anglais dont les décès d’élèves avec leur nom. Pas de cachettes». «La CNVR a repéré officiellement les noms de 51 enfants morts au pensionnat de Kamloops de 1915 à 1964. Nous avons été en mesure de trouver des informations sur ces enfants à partir des dossiers de Bibliothèque et Archives Canada et des certificats de décès conservés aux registres d’état civil des Archives de la Colombie-Britannique. C’est une source disponible en ligne qui ne semble pas avoir été consultée par les chercheurs du CNVR». Tout cela mine la crédibilité de la sincérité de la Commission Vérité et Réconciliation dans son objectif de faire la lumière aux bénéfices de tous les Canadiens.

Les différentes recherches entreprises par les historiens suffiraient, selon Rouillard, à temporiser «des affirmations non vérifiées voulant que les autorités n’aient pas enregistré les décès, que les parents n’aient pas été informés ou que les dépouilles ne soient jamais revenues dans leur famille. Quand les informations sont disponibles, on apprend que les parents ont été informés et que les enfants sont inhumés au cimetière de leur réserve». Que ces choses aient pu se produire dans certaines communautés, c'est fort possible, mais de là à en faire une règle de conduite générale, c'est définitivement faux; surtout qu'«à partir de 1935, le ministère des Affaires indiennes impose une procédure précise lors du décès d’un élève. Le directeur du pensionnat doit informer l’agent du ministère, qui forme un comité d’enquête composé de lui-même, du directeur et du médecin qui a diagnostiqué le décès. Les parents doivent être avisés de l’enquête et sont autorisés à y assister et à faire une déclaration».

Il est significatif, à travers tout ce battage publicitaire, qu'on ne mentionne jamais que Kamloops n'est pas situé à l'extérieur de la réserve mais se trouve en son cœur même, «ce qui n'est jamais rapporté par les leaders autochtones ou les médias». Comme pour tous les pensionnats, les obsèques chrétiennes y sont la norme et le cimetière proche de l'église attenante sert de lieu d'inhumation depuis des générations. Ainsi quatre élèves sont-ils inhumés dans le cimetière derrière l'église Saint-Joseph, non loin du pensionnat. Et Rouillard de demander : 

En caméo, Louis Clexlixqen, grand chef de Kamloops 1852-1915  
«Avec le cimetière si proche, est-il vraiment crédible que 200 enfants soient enterrés clandes-tinement dans une fosse commune, sur la réserve elle-même, sans aucune réaction du conseil de bande? Ou encore que les conseils de bande d’autres réserves qui envoient leurs enfants au pensionnat de Kamloops n’aient pas protesté ? La cheffe Casimir affirme que la présence de restes d’enfants était «connue» de la communauté depuis longtemps. Les familles autochtones sont certainement aussi préoccupées du sort de leurs enfants que toute autre communauté. Pourquoi n’ont-elles pas réagi ? Ce n’est pas aux enfants à contacter la police».

Le fait d'avoir ménagé les auteurs de sévices corporels ou sexuels de même que l'indifférence des tribunaux à l'égard des plaintes pour «mauvais traitements physiques» sont suffisants en soi pour discréditer l'œuvre missionnaire de l'Église et judiciaire des tribunaux canadiens, en quoi nécessitait-il d'amplifier la charge accusatrice? 200 enfants jetés en secret dans une fosse commune, ça ne passe pas inaperçu et c'est autre chose plus grave. Il semble que les agents du ministère des Affaires indiennes auraient sûrement réagi rapidement à la nouvelle d'une disparition aussi nombreuse d'enfants indiens. À moins de supposer un énorme complot racial (et raciste) de la même parentée que les génocides nazis et rwandais, ce qui ne semble pas étranger à certaines déclarations.

Plutôt que d'interroger la rationalité d'une telle action, les média se sont lancés dans la surenchère sentimentale et romanesque. 

«L’émission Fifth Estate de CBC diffusait le 13 janvier 2022 un long documentaire sur la «découverte traumatisante de ce que l’on suppose être des tombes d’enfants» près de l’ancien pensionnat de Kamloops. On y interroge des «survivants» du pensionnat comme si on avait eu affaire à un camp de concentration. Ils racontent avec émotion qu’ils ont entendu parler de cavités dans le sol derrière le pensionnat où des jeunes seraient enterrés. Le fait pour un élève de quitter le pensionnat laisse penser qu’il aurait été enfoui. On a entendu dire qu’il ne faut pas marcher dans le verger parce qu’on y trouve des cadavres. Une fournaise dans le sous-sol laisse penser qu’on y a brûlé des corps d’enfants. En fait, ce sont des rumeurs et des spéculations sans que les «survivants» aient été témoins eux-mêmes de quoi que ce soit. L’animatrice de l’émission, qui normalement se fait un point d’honneur de creuser un sujet en profondeur, ne pose aucune question embarrassante. Le ton et le déroulement du documentaire laissent entendre que toutes les histoires racontées doivent être crues. Ces ouï-dire se sont perpétués de décennie en décennie chez les autochtones de Kamloops comme le note la cheffe Casimir. Il se peut que le traumatisme généré par le déracinement de leur famille chez des enfants très jeunes placés dans un environnement stressant nourrisse leur insécurité et soit à la source de leurs peurs».
Que le documentaire s'achèvât en apprenant qu'un comité de la Nation de Kamloops autorise les excavations pour que les dépouilles «retournent à la maison» est une bonne nouvelle. Il aurait cependant valu mieux que le documentaire se fasse après plutôt qu'avant les fouilles sérieuses.

Rouillard achève son article par une mention du pensionnat de Marieval en Saskatchewan, autre site de «sépulture sans nom» qui s'est ajouté à l'onde de choc de l'annonce faite à Kamloops. Ouvert en 1899 dans une région reculée, ce pensionnat était également géré par les Oblats et les Sœurs de Saint-Joseph venues de Saint-Hyacinthe. Le géoradar aurait retracé 751 tombes dans le cimetière aménagé. Comme l’a montré un journaliste de CBC News, il s’agit en fait du cimetière catholique de la Mission du Saint-Cœur de Marie Marieval. «Selon le registre en français des actes de baptême, de mariage et d’enterrement de 1885 à 1933, plus de la moitié des 450 dépouilles identifiées sont des enfants d’âge préscolaire ou des enfants morts à la naissance. Les autres sont âgées de 6 à 100 ans, avec au moins deux enfants en âge d’être scolarisés après l’ouverture du pensionnat en 1898. On y trouve aussi les tombes de nombreux adultes et enfants de moins de cinq ans qui habitaient les environs. «Il y avait un mélange de tout le monde dans ce cimetière», a déclaré en juillet dernier Pearl Lerat, une résidente». Ici encore, les rumeurs se mêlent aux comptes-rendus. «Selon l’historien Jim Miller de l’Université de Saskatchewan, «les restes d’enfants découverts à Marieval et Kamloops ont été enterrés dans des cimetières selon les rites catholiques, sous des croix de bois qui se sont rapidement effritées». «La croix de bois était un marqueur d’enterrement catholique pour les pauvres», confirme Brian Gettler de l’Université de Toronto. Les cimetières des pensionnats, avec leurs croix de bois, ressemblent probablement à l’actuel cimetière autochtone de Saint-Joseph, dans la réserve de Kamloops». On voit que les résultats des recherches en archives et sur le terrain s'écartent de ces rumeurs et de ces ouï-dire alimentés par la presse médiatique toujours en quête de sensations fortes.

Enfin, il me semble important de rapporter la conclusion de Jacques Rouillard :

«Il est incroyable qu’une recherche préliminaire sur un prétendu charnier dans un verger ait pu conduire à une telle spirale d’affirmations endossées par le gouvernement canadien et reprises par les médias du monde entier. Ce n’est pas un conflit entre l’Histoire et l’histoire orale autochtone, mais entre cette dernière et le gros bon sens. Il faut des preuves concrètes avant d’inscrire dans l’Histoire les accusations portées contre les Oblats et les Sœurs de Sainte-Anne. Les exhumations n’ont pas encore commencé et aucune dépouille n’a été trouvée. Un crime commis exige des preuves vérifiables, surtout si les accusés sont décédés depuis longtemps. Il importe donc que les excavations aient lieu le plus rapidement possible pour que la vérité l’emporte sur l’imaginaire et l’émotion. Sur la voie de la réconciliation, le meilleur moyen n’est-il pas de rechercher et de dire toute la vérité plutôt que de créer des mythes sensationnels?»

Bien avant de penser accuser Rouillard de négationnisme, il serait bon de bien comprendre ce qui est en train de se passer sous nos yeux.


Naissance d'un
mythistoire

Toute la clé de l'affaire réside dans les deux derniers mots de la conclusion de Rouillard : mythes sensationnels. Car il s'agit bien de cela, une affaire de mythes. Rouillard n'est pas un apprenti historien. C'est une autorité en matière d'histoire ouvrière au Québec et son approche de la «découverte» de Kamloops se remarque par son aspect à la fois critique et nuancé. Il ne nie pas d'emblée l'existence de la «fosse», il ne fait que dire que nous n'en savons rien de précis et qu'il faudrait bien attendre le résultat des excavations et les recherches effectuées dans les archives avant de se prononcer sur toute l'affaire. Visiblement, ni le gouvernement canadien ni les médias ne sont de cet avis, empressés de satisfaire une société du spectacle avide d'émotions fortes depuis ces grands shows télévisés qu'ont été, successivement, la crise du verglas, les attentats du 11 septembre et la parade incessante des «chiennes blanches» devant les kodaks de «Ici Radio-Canada»! Les reportages en direct n'attendent plus que l'excavation pour filmer les premiers os, voir exhumer les premiers crânes d'enfants autochtones de la «fosse» de Kamloops faire la manchette tant lucrative pour les organes de presse, ce qui est une autre façon de traumatiser les autochtones.

Pour les médias internationaux, la «découverte» de Kamloops évoque une répétition des charniers trouvés dans les camps d'extermination nazis par les armées alliées en 1945. Or, tout au mieux pourrait-il s'agir d'une fosse commune. Rien n'est moins sûr dans le cadre de nos connais-sances actuelles, qui ont peu évolué depuis la publication de l'article de Rouillard. On a dit combien l'usage du géoradar pouvait entraîner des conclusions douteuses sans contre-vérifications archéologiques. Nous n'en sommes pas même à affirmer que ces modifications de terrains signifient bien une «fosse commune», et si même tel serait le cas, il serait douteux que les corps qu'on y retrouverait seraient empilés ou foulés comme dans les charniers nazis ou cambodgiens. Rien de dit même si ces dépressions de terrain découlent de l'activité humaine ou de la mobilité du sol. Enfin, s'il s'agit de «fosses communes», comme on le prétend, il faudrait se demander pourquoi une Église, si préoccupée par le salut des âmes individuelles. aurait autorisé des inhumations collectives. Dans sa conception de la vie après la mort et de la résurrection des corps, elle pesait l'importance de l'inhumation individuelle, et répugnait à des inhumations en groupes.

Épidémie de variole à Montréal, 1885.

Dans le passé, l'usage de fosses communes survenait lors d'épidémies, ce qui est d'autant plus vrai pour les maladies d'enfants, ces dernières étant nombreuses! Du XIXe au milieu du XXe siècle, les épidémies de tuberculose sont une quasi constante dans un monde qui ne connaît pas encore la pénicilline. Nous-mêmes en avons connu quelques-unes durant notre petite enfance et la pratique de la vaccination est toujours de rigueur pour les jeunes enfants. Dans de tels cas, il fallait agir vite afin de limiter la propagation du virus; brûler les vêtements, le linge de lits, désinfecter le mobilier, etc. Aurait-on commis l'imprudence d'envoyer les dépouilles de ces enfants dans les communautés connaissant leur fort degré de contagiosité? On nous en aurait fait le reproche encore là! Souvenons-nous du backbashing fait au général Amherst au point de changer le nom de sa rue en un imprononçable pour les chauffeurs de taxi! Pourtant, si Amherst avait eu droit à sa rue, ce n'avait jamais été pour les couvertures contaminées qu'il faisait distribuer dans les réserves indiennes durant la révolte de Pontiac, mais pour sa reconnaissance généreuse des religieuses qui avaient soigné ses soldats blessés durant la fin de la guerre de Sept-Ans. Avant d'inventer la guerre microbienne, Amhrest avait été un officier tout à fait gentleman.

Bref, ce que Jacques Rouillard nous invite à assister, c'est à la naissance d'un mythistoire qui se déroule présentement sous nos yeux, au Canada même. Nous, qui avons été éduqué avec des mythistoires plus que d'authentiques connaissances historiques, n'avions pas assisté à la naissance de ces mythes qui remontait, pour la plupart, à la fin du XIXe siècle. Comment un «oublié» comme Dollard des Ormeaux, dont on nous répétait en classe, année après année, la geste héroïque du Long-Sault, était quasiment perdu de vue lorsque le jeune Lionel Groulx en fit un mythe historique national. Ainsi, quand Louis Fréchette, dans son poème fleuve hugolien La légende d'un peuple (1887), relate l'exploit du Long-Sault (qu'il ne nomme pas), il désignait encore Dollard du nom de Daulac, celui inscrit dans le document conservé aux archives municipales de Montréal et seul véritable témoignage de l'exploit. En en faisant un mythistoire national et chrétien, Groulx lui donnait une fonction psychologique et morale simple, celle de fournir un sens afin de fonder une solidarité nationale aux Canadiens français d'un bout à l'autre du pays.

La découverte de la «fosse commune» de Kamloops vient non pas créer le mythistoire du génocide autochtone certes, mais le consolider, le concrétiser sur un site précis, un lieu géographique déterminé pour toujours et non plus seulement dans la rhétorique des réquisitoires contre la conquête des Amériques. Après tous les témoignages qui se transmettaient oralement ou par écrits (car les archives des communautés religieuses ont toujours été disponibles, seulement fallait-il quelqu'un y aille voir avec cette probléma-tique en tête!), où l'état des connais-sances restait (et reste toujours) imprécis, la «fosse» de Kamloops prend pour les autochtones, la dimension imaginaire donnée par le fortin du Long-Sault pour les Canadiens français. Enfin, il devient possible de situer, hic et nunc, un lieu fondateur du génocide amérindien du Canada; un axis mundi où tous les autochtones dispersés aux quatre coins du pays peuvent à leur tour se tourner vers La Mecque de leur malheur historique. Ce que les autochtones américains disposent avec des sites comme Sands Creek et Wounded Knee, les autochtones canadiens ont désormais leur site national témoin de la volonté exterminatrice des Blancs sur les Peaux-Rouges, mais en même temps de leur résistance à la volonté annihilatrice. Les agences de presse s'en sont vite rrendues compte, surtout à la vitesse avec laquelle Trudeau s'est mis tout de suite à larmoyer sur le nouveau mélodrame qui s'offrait à lui. Il contribua à édifier le mythistoire avec l'habileté qu'on lui connaît et dont seul il a le secret.

Il faut dire qu'à force de cultiver le sentiment national des autochtones qui, à cause de leur nombre et de leur disparité géographique, linguistique et traditionnelle, n'ont jamais disposé de ce qui constitue concrètement une centralisation étatique, la naissance d'un mythistoire transnational des Premières Nations était inévitable. En moussant la rhétorique des «Premières Nations» et leur reconnais-sant un droit historique que le gouverne-ment fédéral refuse aux Québécois, un état de conscience finit par naître et se développer. N'ayant jamais eu d'État centralisé, unificateur ou même de confédération (à l'exception des Iroquois - et même des Iroquoiens auxquels appartenaient les Hurons qui s'en trouvaient exclus), s'imposait l'idée d'un complément mythique. Et du mythique, on passe au mystique. On reprend la culture occidentale du toutou en peluche des sites de fusillades ou de catastrophes qu'on remplace par des mocassins ou autres colifichets traditionnels. Vient ensuite une scénographie mélodramatique, véritable construction théâtrale industrielle que l'on doit à des auteurs tels Richardson, l'abbé Prévost, Rousseau et Sade. De pauvres enfants innocents arrachés à leurs parents, accueillis par des prêtres sadiques, au mieux indifférents, et des bonnes sœurs à qui manque tout amour; enfants qu'on empêchait de parler leur langue ou de communi-quer avec leurs parents, comme le montre cette savonnette que Radio-Canada, toujours aussi faux-cul, va présenter cet automne à la télé.* Comme le veut la construction poétique et esthétique du mélodrame, on a eu qu'à suivre le voyage du pape pour s'apercevoir qu'elle a été efficace au-delà de toute espérance. On est projeté en pleine scène fameuse d'Oliver Twist : «may I have more porridge, please?». Les Indiens pleurent, mais aussi la planète entière, puisqu'on y reconnaît moins le drame autochtone du Canada qu'une variante de la littérature et du cinéma mélodramatique occidental. À l'heure où des foules suivent des petites Greta Thunberg et autres enfants missionnaires, quand Téléfilm Canada financera-t-il une adaptation autochtone de La Fille des Marais...?  

* Autre exemple de ce travail de propagande radio-canadien, la série Afro-Canada où l'«historien»-rapeur Webster émerveille de jeunes esprits, noirs et blancs, rassemblés dans une maison patricienne bourgeoise et leur «enseigne» que l'historien Marcel Trudel a dénombré 3,604 esclaves, sans distinction de provenance, laissant supposer qu'ils étaient tous noirs. Or, comme le dit l'historien blanc, «les nègres sont les moins nombreux : 1,132 seulement; ce n'est que dans les vingt dernières années du régime français que leur quantité prend quelque importance...» [M. Trudel. L'esclavage au Canada français, Québec, P.U.L., 1960, p. 317. Utilisant l'édition originale, les termes nègres et sauvages n'avaient pas encore été censurés et réécrits]. Un autre historien noir se moque de la «supériorité morale des Canadiens» qui se comparaient favorablement aux esclavagistes américains, alors que l'esclavage aurait été tout comparablement pratiqué au nord de la frontière. Une fois de plus sont confondues deux choses différentes, esclavage et racisme noir, et si des liens structurels les unissent l'un à l'autre, il demeure que si l'esclavage reposait sur des bases raciales (et racistes), tout esclave n'était pas obligatoirement noir! En ne spécifiant pas que la majorité des esclaves en Nouvelle-France étaient amérindienne, Webster se comporte exactement comme les historiens blancs qu'il dénonce et qui attribuaient tous les mérites à leur race. Tout cela aussi relève non de l'historiographie mais de l'idéologie et véhicule un racisme anti-blanc qui affirme que sans l'esclavage noir, il n'y aurait pas eu de révolution industrielle! Avec ou sans l'esclavage au XVIIIe siècle, la Révolution industrielle aurait eu lieu quand même, ses facteurs originaux résidant ailleurs que dans le trafic humain, ce qui n'était pas le cas du commerce du coton.

Cette nouvelle «négritude» (ou «noiritude») s'inscrit dans le courant anti-impérialiste de l'anthropologue et historien sénégalais Cheik Anta Diop qui affirmait : «Le Nègre ignore que ses ancêtres, qui se sont adaptés aux conditions matérielles de la vallée du Nil, sont les plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation; que ce sont eux qui ont crée les Arts, la religion (en particulier le monothéisme), la littérature, les premiers systèmes philosophiques, l’écriture, les sciences exactes (physique, mathématiques, mécanique, astronomie, calendrier...), la médecine, l’architecture, l’agriculture, etc. à une époque où le reste de la Terre (Asie, Europe : Grèce, Rome...) était plongé dans la barbarie». Diop partait de l'hypothèse qu'il jugeait démontrée par la linguistique, que les anciens Égyptiens étaient noirs (ce qui était vrai des Nubiens intégrés dans l'ancienne Égypte). Diop luttait contre le racisme à une époque où le colonialisme dominait encore. Avec les autochtones, avec les noirs comme avec les femmes ou les gays et lesbiennes, je suis entièrement d'accord avec ce que Diop écrivait dans son premier livre, Nations nègres et culture (1954) : «Il faut, ici, rappeler ce qui vient d'être écrit sur la nécessité pour un peuple de connaître son histoire et de sauvegarder sa culture nationale. Si celles-ci n'ont pas encore été étudiées, c'est un devoir de le faire. Il ne s'agit pas de se créer, de toutes pièces, une histoire plus belle que celle des autres, de manière à duper moralement le peuple pendant la période de lutte pour l'indépendance nationale, mais de partir de cette idée évidente que chaque peuple a une histoire. Ce qui est indispensable à un peuple pour mieux orienter son évolution, c'est de connaître ses origines, quelles qu'elles soient. Si par hasard notre histoire est plus belle qu'on ne s'y attendait, ce n'est là qu'un détail heureux qui ne doit plus gêner dès qu'on aura apporté à l'appui assez de preuves objectives, ce qui ne manquera pas d'être fait ici» (p. 19). Or, pour que cette histoire soit belle comme le souhaitait Diop, faut-il qu'elle couve une haine sournoise sous la prétention à l'objectivité et à l'éducation? Les mensonges et les demi-vérités, comme l'enseigne l'historiographie raciste des XIXe-XXe siècles, n'ont servi qu'à brouiller la connaissance historique des Occidentaux sur leur propre passé. Pourquoi imiter et répéter absolument la même erreur?».

C'est donc bien que nous ne sommes plus dans l'histoire - dans la mesure où le RCVR puisse être considéré comme la première marche de cette historiographie -, mais dans l'idéologie qui, comme toute idéologie, éclaircie un point pour en obscurcir mille autres. Ainsi, ce chef, un Sioui je crois, interrogé durant le voyage du pape, qui disait lui aussi avoir été enlevé de sa famille, jeté dans un pensionnat où on lui interdisait de parler sa langue, etc. etc. Et qui donnait l'impression du change en retour, avouant explicitement (et presque candidement) qu'il était entré là avec une seule langue et en était sorti avec trois (ce qui lui a permis de faire son barreau et devenir avocat au service de son peuple, ce qui n'est quand même pas rien!). Rouillard a raison de rappeler que les Oblats apprenaient les langues autochtones. Les missionnaires le faisaient depuis le XVIIe siècle et on apprend, dans les Relations des Jésuites, que le père de Brébeuf et d'autres avaient mis au point un dictionnaire des langues huronne et française. C'était indispensable dans la stratégie de conversion. On oublie que les langues autochtones ne disposaient pas de l'écriture, contrairement aux civilisations aztèque, maya et incas, ce qui fît que les Européens ne les considéraient pas comme bénéficiant de la même «évolution» que les Indiens de la mésoamérique. Ce sont ceux sur qui on crache qui leur ont apporté l'écriture! Et ce n'est pas un moyen cadeau car lorsqu'ils écrivent aujourd'hui, c'est en anglais, qui n'est pas une langue autochtone si je ne m'abuse... La vraie tristesse, c'est que Cartier et les Pilgrims auraient tellement voulu rencontrer un Eldorado avec des Aztèques et des Incas d'Amérique du Nord et qu'ils en ont été quitte pour de faux diamants et de gros oiseaux qu'ils baptisèrent... Turkey! C'était difficile, dans leur mentalité propre au XVIIe siècle, de ne pas considérer ces peuples comme ayant la même pauvreté psychologique et morale qu'ils trouvaient dans la nature environnante.

LE PÈLERINAGE PÉNITENTIEL DE FRANÇOIS Ier - LE PAPE, NON LE ROI

La visite du Saint Père a été très éclairante sur ce point. Beaucoup plus intéressante que celle de Jean-Paul II - vieux bocké qui n'écoutait rien ni personne -, car François s'est montré réceptif, modifiant sa rhétorique à chaque jour que dura sa visite au Canada. À Edmonton, il ne voulait pas compromet-tre trop l'Église dans le scandale des pensionnats. Pour lui, c'était toujours quelques pommes pourries qui avaient causé les crimes sordides qui éclaboussaient l'Église. Puis il a reconnu le triste rôle des communautés religieuses qui avaient quand même tenu ces pensionnats. Mais les femmes voulaient des excuses spécifiques pour les abus sexuels qui finissent par devenir le crime majeur des pensionnats, enfin concédées à Québec. Buffy Sainte-Marie aurait voulu qu'il désavoue la «doctrine de la découverte» qui n'est rien de plus que la bulle Inter Cætera de 1493 signée par Alexandre VI partageant les découvertes entre Espagnols et Portugais et n'était pas une position doctrinale; elle a d'ailleurs été invalidée très rapidement quelques décennies plus tard. François ne semblait d'ailleurs pas se souvenir de quoi il s'agissait au juste.

Évidemment, dans l'esprit du XVIIe siècle, les peuples non-chrétiens étaient considérés rien de plus qu'appartenant à la flore et à la faune des terres découvertes, aussi, les chrétiens en disposèrent-ils à leur convenance. Lorsque Rome reconnût la qualité humaine des indigènes, c'est-à-dire qu'ils possédaient une âme et qu'il appartenait aux missionnaires de les convertir afin de leur promettre le ciel éternel plutôt que les limbes ou l'enfer, c'était un don de grâce qu'elle leurs apportait, don qui apparaît aujourd'hui comme un génocide culturel prémédité. Et pourtant, ce fut très souvent l'Église qui se mît en travers des conquistadores, qui ne reculaient pas devant le massacre pour fournir la meilleure preuve du génocide autochtone, et les protéger de la violence avec laquelle s'effectuait la conquista.

Ces idéologues tenaient enfin à ce que François s'excuse au nom de l'institution d'avoir rendu possible la commission de ces crimes. Il ne pouvait aller jusque-là. L'Église, c'est l'Évangile en action, celle qui poursuit l'œuvre de Jésus-Christ, et, à l'image de la Vierge Marie à laquelle elle s'identifie, l'Église est animée par l'Esprit Saint - troisième personne de la trinité - et ne peut être tenue pour corruptible. Elle ne peut mourir. Elle peut souffrir les pires tourments du martyr, mais ne peut vouloir des actes répréhensibles sans supposer qu'ils seraient commandés par un Dieu cruel. Pour cette raison, elle ne peut regretter l'apostolat auprès des Amérindiens, action qui rentre dans le plan divin dont elle a mission d'accomplir sur terre et qui est la base de l'accusation de «génocide culturel». C'est peut-être là l'une des constantes historiques les plus fidèles de l'Église chrétienne, toutes sectes confondues. Les viols, les enlèvements d'enfants manu militari de la G.R.C. et autres corps de police, et tout ce qui doit être considéré comme des crimes, ne sont pas les fruits de la doxa chrétienne. La justification des enlèvements d'enfants l'ont été parce que sur un aussi vaste territoire aux populations clairsemées, il n'était possible de fonder collèges et couvents à proximité de chaque communauté autochtone, et que certaines étaient emcore nomades, surtout dans les Territoires du Nord-Ouest, au tournant du XXe siècle. Ce souhait d'éducation et d'instruction relevait non de l'obscurantisme clérical, mais bien de la modernité libérale dont l'éducation demeure le fer de lance. D'ailleurs, la vie dans les collèges et couvents occidentaux n'était guère plus réjouissante lorsqu'on étudie l'histoire de l'éducation sous la bourgeoisie libérale des XIXe-XXe siècles! Je ne vois pas comment elle aurait pu être plus «gai-lon-là, gai-le-rosier» dans les pensionnats autochtones?

Dans la première homélie à Edmonton, François leurs a dit clairement que les «peuples des Premières nations» devaient passer à autre chose et penser à l'avenir plutôt que ruminer les ressentiments du passé, si triste fut-il. On a pas relevé ce passage. Parce que c'est ce triste passé qui joue le rôle de dette à payer pour les Canadiens, et il sera toujours ramené tant que les Amérindiens auront des revendica-tions à faire valoir. Et il y aura toujours un comique pour revendiquer l'île-non-concédée de Montréal comme il y en a un qui réclame la ville de Winnipeg. (De fait, je ne connais qu'un territoire concédé par les autochtones en Amérique du Nord, et c'est l'île de Manhattan, vendue aux Hollandais de Peter Minuit pour la somme de 60 guilders en 1626. Encore les Indiens qui avaient vendu l'île, ne comprenant rien à ce qu'était une «vente», revinrent le lendemain pour vendre à nouveau ce qui avait été vendu la veille! Les Indiens d'Amérique ne connaissaient pas la notion capitaliste de valeur d'échange). Et, malheureusement, on trouvera toujours une écervelée comme la mairesse de Montréal, les douchebags du club des Canadians et autres Justin-larmoyant pour approuver ces traites irremboursables sur l'éternité.

BE AWAKE, NOT A WOKE!

Rouillard opère une ventilation à travers un fatras d'informations vraies et fausses, complètement ou à moitié. Si Mme Beaulieu a pu détecter avec son géoradar des dénivel-lations de terrains à Kamloops, elle ne peut jurer ce que rapporte la presse sur le nombre des sépultures qui y seraient ensevelies. Ainsi, tous ces chiffres qui sont lancés - 100, 200, 300 sépultures - sont d'authentiques fake news. D'autre part, il faut reconnaître que la notion de mythistoire est relativement technique, même pour beaucoup d'historiens qui voient dans les légendes historiques des obstacles à la diffusion de la connaissance objective de l'histoire. On vacille entre la foi et la gnose; la croyance et le savoir; la propagande et la critique. Position difficile à tenir, d'où cette crise de démythification survenue au cours des années 60. (Aux États-Unis, haro sur l'épopée de Custer; au Québec, la campagne menée par les Jacques Hébert et Jacques Ferron contre le chanoine Groulx. Vieilles maisons, vieux papiers, disait G. Lenôtre!).

On ne peut tenir l'événement médiatique de Kamloops pour isolé. Parce que les médias qui l'ont transmis sont des médias occidentaux et que les agents de pouvoirs politiques et idéologiques ont mené la branle dans toute la diffusion des rumeurs et encouragé ce qui était fausseté. Nous avons dit plus haut en quoi le mythis-toire de Kamloops était d'utilité pour la conscience historique des Indiens du Canada. Il faut s'interroger maintenant à savoir à quoi correspond ce mythistoire pour les Canadiens non-autochtones. Aujourd'hui, la remythologisation du passé canadien passe par les pensionnats autochtones, la lutte des femmes pour le suffrage, le lourd héritage de l'esclavage noir et les injustices commises à propos des immigrants - le traitement des Doukhobors au début du XXe siècle; la détention arbitraire des citoyens italiens, allemands et japonais durant la Seconde Guerre mondiale; le reflux du navire Saint-Louis transportant des exilés juifs-allemands en 1939 -, autant d'événements qui appellent à déboulonner des statues ou autres manifestations puériles mais toujours toxiques qui, en prétendant abattre les mythes du passé national, entraînent en retour l'émergence de nouveaux mythes qui remplissent un vide laissé par le désintérêt du passé national au nom d'un présentisme multiculturel. Aussi, faut-il donc retenir qu'il y a une utilisation proprement occidental du mythistoire de Kamloops qui ne concerne pas les récriminations autochtones.  

Il est un fait que le mythistoire n'est pas mauvais en soi. Sans eux, comme le reconnaît Rouillard, il n'y aurait pas de recherches historiques. Le mythistoire joue sur les émotions, les sentiments, comme nous en avons fait l'expérience en tant que Québécois. Sans nos vieux mythistoires canadiens-français, il n'y aurait jamais eu le sentiment national dont ils sont partie prenante, ni le désir d'indépendance du Québec. Par contre, les mythistoires s'adressent moins à la conscience qu'à l'inconscient historique, entretenant des traumatismes du passé - la Conquête de 1760, les troubles de 1837-1838, la guerre des Métis et des Indiens de 1885, les crises de la conscription de 1917 et de 1942, la crise d'Octobre, etc. - et établissent une situation de perpétuelle après-coup qui tout en stimulant des œuvres culturelles, maintiennent d'authentiques états de névroses individuelles et collectives. Évoquons ce masochisme occidental lié à la décolonisation et qui, pour les Québécois, signifie la personnalité schizophrénique partagée entre le chapeau du colonisateur et le fardeau du colonisé tenus simultanément pour la même collectivité. Dans un tel contexte, l'Occident a créé un tribunal où nous sommes tout à la fois les accusateurs, les accusés, les plaideurs et les méchants juges. Nous finissons en tant que bourreaux exemplaires. Comme ces kapo juifs des camps d'extermination, condamnés condamnant, exécutant les basses œuvres, vaporisant les douches après utilisation et porteurs de cadavres dans les fours avant d'en nettoyer les cendres pour le jour où ce serait leur tour. En fait, le piège qui attend les autochtones est le même dans lequel les Québécois se sont enferrés : le chantage affectivo-économique avec le pouvoir fédéral. Les autochtones éveillés par le mythe de Kamloops diront avec plus d'assurance à Ottawa : «si tu veux la tranquillité des Premières Nations, donne-nous ceci ou cela». Comme Legault fait avec Trudeau : «si tu veux la paix nationale au Québec, donne-nous tels pouvoirs en matière de santé et d'immigration, en langue et en culture, etc.». Tout cela ne fait qu'ajouter à l'essence même du Canada : un panier de crabes où tous les pouvoirs se tiennent les uns les autres par des chantages immondes.

Contrairement à l'âge de la régression sadique-anale (1860-1945) où se diffusaient des haines généralisées suscitant quantités d'idéologies négatives (antisémi-tisme, anti-modernisme, antilibé-ralisme, antidé-mocratie, anticom-munisme, haines contre les femmes et les homosexuels, le racisme colonial, etc.), notre époque prétend se conjuguer à l'amour infini. Durant cette première époque, des culpabilités inouies s'accumulaient. C'était bien parce qu'on avait autant de haines que le sentiment de culpabilité pesait si lourd sur la conscience morale des Occidentaux. Par contre, notre époque de sadisme-oral, placé sous la trinité infernale du nihilisme, du narcissisme et de l'hédonisme, vit de culpabilités sans objets. Il faut donc alors lui en trouver pour satisfaire une angoisse existentielle qui provient de la constante dérive de la légalité de la légitimité. Comme les anciennes contradictions se sont dissoutes avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, les mauvais sentiments du XIXe siècle sont devenus nos bons sentiments du XXIe. Le sado-masochisme s'est reconverti en vertu et devant notre société de consom-mation et de communication, nous trouvons nos nouveaux affligés dans le passé, ce qui permet de larmoyer sur les autochtones tout en négligeant l'actuelle déficience de leur système d'approvisionnement d'eau courante! Amusant, n'est-ce pas, que Macdonald paie pour Trudeau Jr qui laisse des communautés autochtones obligées de s'approvisionner en eau avec des bidons de plastiques comme le font les Africains de l'ancien Tiers-Monde?

De telles contradictions sont monnaies courrantes. Ainsi, tandis qu'on étire la sauce féminicide, plus on larmoie sur les femmes violentées et tuées, plus la publicisation des agressions contre les femmes augmente, ce qui témoigne de la futilité de toute cette propagande amorcée aux lendemains de Poly-technique. Combien faudra-t-il de générations de jeunes hommes éduqués et informatisés pour qu'ils comprennent que la violence n'a pas lieue entre les hommes et les femmes? On peut plaider que lorsque nous étions à leur âge, nous ne bénéficions pas de cette rhétorique culpabilisante, ce qui n'a pas empêché la plupart des hommes de ma génération de se comporter en êtres respectueux et amoureux de leurs femmes! Le problème ne réside donc pas dans l'éducation des jeunes hommes, mais dans le refus de reconnaître le fait de la violence partagée, entre femmes et hommes, bien que par des stratégies différentes (violence physique contre violence psychologique). On dénonce le profilage ethnique comme un racisme systémique. Je veux bien, mais un fait demeure : malgré tout le poids de la censure médiatique, lorsqu'elle est obligée de publier les photos des tueurs et de leurs victimes adolescentes - telles qu'on les a vues cet été -, ce sont quasi unanimement des portraits de noirs affiliés aux gangs de rue! L'intégration des minorités ethniques à la vie civique occidentale a des ratés, c'est compréhensible, mais plutôt que de trouver le moyen de résoudre les problèmes, devant ce qui semble être des défis insurmontables, on s'accuse de manquer au devoir de l'inclusion! On casse du sucre sur le dos de J.-F. Lisée pour sa sortie contre cette publicité des H.E.C. utilisant une étudiante voilée pour attirer une clientèle algérienne, tout en lisant, sans rire, ces deux avocates musulmanes qui nous annoncent que les femmes musulmanes portent le voile par choix et goût personnel comme nos ados se font tatouer et percer. Le féminisme occidental est devenu le rempart de l'aliénation des femmes musulmanes. Sommes-nous tellement bonnes poires à force de s'autoflageller pour tous les crimes commis tout au long des temps que plus aucune idiotie ne nous soit épargnée? Parce que nous l'avons voulu et le voulons encore, jusqu'à ne plus soif...?

Ces outrances idéologiques sécrètent bien des mythistoires, des exotismes gothiques, des récits larmoyants présentés comme autant de mélodrames occidentaux que nous prenons pour du réel historique, ignorant la différence entre le fantasme, la fiction et la réalité. Aucune vérité subjective ne devrait être admise comme réalité objective, sinon que soumise à une critique rationnelle et vérifiable. Sinon, nous entrons en plein nouveau fascisme, dont la stratégie est de confondre en tout la sphère de la vie privée avec la sphère de la vie publique. Cette interpénétration des deux sphères s'est rapidement déployée depuis la démocratisation des appareils informatiques (et surtout du téléphone portable) qui véhiculent les réseaux sociaux. De cette confusion est né le wokisme associé et revendiqué par des groupes dits et se situant à gauche de l'échiquier politique, mais qui ont complètement dénaturé la philosophie traditionnelle de la gauche sociale. Ce n'est pas le bien de la société que poursuit le wokisme, mais la satisfaction de besoins, ou parfois même de caprices, de groupes d'intérêts très restreints qui représentent, selon le modèle bourgeois de la démocratie libérale, une clientèle politique cible.

Certes, ce nouveau fascisme-soft, que l'on peut opposer au fascisme historique plus hard, avec ses chefs matadors, ses bandes de voyous, ses bastonnades, son huile de ricin, ses SS et ses camps d'extermination, a retravaillé tout ce qui faisait le folklore des groupes fascistes italiens et allemands des années 1920-1940. S'il y a encore de ce fascisme-hard associé par exemple aux libertariens économiques à la Trump, aux mouvements populistes à la Bolsonaro ou à l'extrême-droite européenne et même dans la Russie poutinienne, c'est toujours à la droite politique conservatrice et réactionnaire qu'on le trouvera affilié. Ainsi, ces groupes religieux qui ont obtenu de la Cour suprême américaine la révocation de l'arrêt Roe v. Wade, criminalisant à nouveau l'avortement ou qui dénoncent les mouvements gais. Ceux-là, on les reconnaît facilement qui ont appris que de ne pas se faire aimer pouvait toujours attirer les petits-bourgeois introvertis, amers et rancuniers, récriminant leurs ressentiments contre le reste de la société, à l'image des supporteurs fascistes du premier XXe siècle. Si le fascisme-hard a pu bénéficier des mythistoires de la mare nostrum mussolinienne et de la race aryenne hitlérienne, un mythistoire comme celui de Kamloops ne pouvait surgir de leurs rangs.

Le néo-fascisme, ou fascisme-soft, est porté par l'idéologie woke qui affiche un «réveil» contre toutes les formes d'injustices présentes et historiques, d'où qu'on le situe à gauche de l'échiquier politique. C'est évidemment une erreur. Les injustices historiques sont davantage privilégiées que les injustices présentes, car il en coûte peu de tenir des procès aux morts en infligeant les sanctions aux survivants, jusqu'à leur imposer des compensations à respecter. Ce qui fait du wokisme un fascisme, c'est surtout l'usage d'une praxis idéologique qui ne répugne pas à la violence : manifestations de rues, intimidation des adversaires, terreur intellectuelle ou morale auprès des instituts d'enseignement et des universités; de la presse et des bibliothèques, enfin des individus qui ne se rallient pas à la «cause» promue de l'heure. Autant d'actions qui rappellent celles utilisées par l'ancien fascisme-hard, comme l'éprouvant auto-dafé exécuté dans une école ontarienne qui, à l'exemple des nazis de jadis, crut bon de faire brûler livres et bandes dessinées jugés irres-pectueux pour (et non par) les autochtones. Les causes des femmes et des enfants, des homosexuels, des immigrants, des réfugiés, des cultures malmenées par l'Occident impérialiste et colonisateur, des handicapés, des transsexuels et, bien entendu, des autochtones, animent le mouvement wokisme, mais son aspect multiculturel joue contre lui, car s'il parvient à additionner des parties, il ne parvient jamais à les souder au point de constituer un tout, une force qui, une fois réalisée, serait tout aussi terrifiante que les forces unifiées jadis par le Parti national fasciste italien ou le Parti national-socialiste des travailleurs allemands de Hitler. Bref, qui trop embrasse mal étreint. Le wokisme travaille à la pièce en mobilisant le plus d'insatisfaits possibles, d'où une autre ressemblance avec le fascisme de papa qui ralliait tous les petits-bourgeois en colère, qu'importe qui était la cible de ses colères : Juifs, immigrants, féministes, homosexuels ou autres. Dans le fascisme-soft, à force de tenir ces causes les unes à côté des autres, elles finissent par se contredire au sein même du mouvement. Comment défendre à la fois l'intégrité du corps de la femme à côté du soutien aux femmes voilées musulmanes, signes de soumission et d'infériorité de la nature féminine? Comment exiger l'application des mesures environnementales en vue de réduire les G.E.S. tout en poursuivant le développement d'entreprises pétrolières et gazières dont les produits sont indispensables à la fabrication des plastiques qui constituent la grande majorité des objets courants de la société de consommation et de communication? Le wokisme est structuré à la schizophrénie, ce qui le rend dangereux au niveau individuel plus que collectif. Enfin, comme l'ancien, le nouveau fascisme s'affiche comme vertueux, prétendant faire reposer l'ordre sur de nouvelles bases protectrices des faibles et des opprimés.

S'il a souvent raison dans son argumentaire sur les questions de détails, le wokisme avoue sa faiblesse lorsqu'il s'agit de conslider un Tout de tous ses groupes d'intérêts. Du moins est-il choyé au Canada, avec un esprit aussi puérile que celui de Justin Trudeau. Et que dire de cette giblote de sociaux-démocrates réunie dans Québec solidaire? Ne parvenant pas à systématiser une idéologie capable de chapeauter tous ses clients, ce parti social-démocrate est condamné à fonctionner à la pièce. Une fois de plus, l'addition ne suffit pas à créer une totalité, une entièreté; un syncrétisme indispensable à une force permettant de prendre le pouvoir par le processus électoral. La politique québécoise se résumant à un extrême-centriste, on y a vu un Premier ministre, unanimement considéré comme un simplet avant son élection, devenir le Sauveur au Passeport sanitaire du peuple québécois durant la pandémie de Covid. Ayant réussi à obtenir «l'union sacré» des libéraux, des indépendantistes et surtout des solidaires, il a démontré combien le fascisme-hard pouvait serrer la main du fascisme-soft. À côté de la vichyssoise vice-première ministre qui appelait à dénoncer les voisins «sur le party», il y avait le conducator Legault qui tirait sur les échappés du couvre-feu. Le triomphe électoral qui s'annonce aux élections d'octobre pour la C.A.Q. ne fait que rendre compte que tous les partis politiques de l'Assemblée nationale n'en forment plus qu'un et que le nationalisme conservateur va bien main dans la main avec la social-démocratie des solidaires. L'estomac politique de François Legault a cette particularité de digérer aussi bien le vieux fascisme conservateur rétrograde que le fascisme woke de ses adversaires solidaires; le libéralisme des grands financiers comme le corporatisme de la petite-bourgeoisie de province; le fédéralisme de Martine Biron que le souverainisme de Bernard Drainville. À la rigueur, la C.A.Q. est un organisme capable de phagocyter tous les résidus politiques et convient à un morcellement intellectuel et moral d'une société essentiellement coloniale et régressive.

Le néo-fascisme se développe rapidement grâce aux techniques et aux pratiques de com-munication de masse inaugurées avec le siècle nouveau. Les réseaux sociaux suppléent les réseaux publiques de communication et accélèrent ce que mettait tant d'efforts à accomplir l'archéo-fascisme du XXe siècle : l'interpénétration de la sphère publique et de la sphère privée. Contrairement au fascisme originel qui s'identifiait avec l'État qu'il tenait en tutelle, le néo-fascisme s'identifie avec la société qu'il alimente comme un courant électrique. Il réalise ainsi le souhait exprimé par l'idéologue nazi Robert Ley lorsqu'il affirmait que «la seule personne en Allemagne qui a encore une vie privée est celle qui dort» [cité in Charlotte Beradt. Rêver sous le IIIe Reich, Paris, Payot, Col. P.B.P., # 513, 2018, p. 45], en parvenant, par les sollicitations publicitaires et le mimétisme voyeuriste individuel sur les réseaux sociaux, à pénétrer cet ultime refuge de la vie privée qu'était le rêve. C'est ainsi que le fascisme nouveau s'accomplit à travers un ensemble de stratégies idéologiques et politiques qui tentent d'impliquer la responsabilité de chaque individu dans les actions collectives passées et à l'origine des problèmes actuels d'intégration sociale et sexuelle.

- Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui tente de faire reposer sur chacun des individus les causes et la responsabilité des changements climatiques.

- Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui établit un double standard criminel qui rend responsable chaque homme d'une particularité homicide (et donc judiciaire) réservant aux femmes une spécificité gravissime (féminicide) lorsqu'elles sont victimes d'un acte criminel. Ce qui implique le basculement du genre masculin dans la règle du Killing is no murder.

- Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui oblige à satisfaire au nom de la santé mentale, ces ados en mal de leur sexualité par des stratégies médicales, chirurgicales, pharmaceutiques, thérapeutiques et juridiques favorisant le transgénisme, sans égard aux conséquences futures, plutôt qu'investir dans une stratégie d'acception de soi..

- Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui rend responsable chaque citoyen du mal être des immigrants qui se disent heurtées par, voire refusent les normes civiques de la vie en société.

- Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui efface la longue pratique multicivilisationnelle de l'esclavage au nom d'un seul, le noir, auquel nous devrions accorder une exceptionnalité dictant l'usage de nos mots et condamnant préalablement toute intention dans l'utilisons de ces mots.

- Est fasciste la stratégie idéologique et politique qui attribue à chacun d'entre nous la responsabilité du génocide autochtone en s'octroyant le fardeau d'une «réconciliation» qui ne sera jamais une réparation autant qu'un enjeu de chantage comme il a été démontré au début de 2020 avec l'occupation des voies ferrées et l'interruption durant un mois de la circulation ferroviaire pan-canadienne, outrage qui s'est facilement fait oublier derrière la campagne anti-Covid du gouvernement fédéral.

Sont fascistes, parce que ce sont des responsabilités de la sphère publique dont on fait porter la culpabilité morale sur les épaules des individus privés. C'est oublier que la société est autre chose que la somme des groupes d'intérêt qui la constituent et que les intérêts de ces groupes spécifiques ne sont pas assimilables à ceux de la société astreinte aux contingences des temps. La solidarité des générations n'impose pas plus que la fin des situations d'injustices et l'amélioration des conditions de vie actuelles de ses membres.

Mais si le nouveau fascisme passe facilement de la sphère publique à la sphère privée, il assure, simultanément, une infraction de la sphère privée dans la sphère publique.

- Est fasciste, aussi, qui exige de la collectivité une intolérance contre ceux qui ne pratiquent pas les mêmes vertus qu'il s'impose au nom de la cause environnementale par exemple.

- Est fasciste, qui pratique des dénonciations sur les réseaux sociaux entraînant des procès sur la place publique avec l'espoir que les tribunaux satisferont aux plaintes légales. (#Me Too a beau représenter un courant légitime, mais il entre dans la stratégie fasciste lorsqu'il s'agit de porter la légalité du tribunal sur la place publique sans équilibre entre l'accusation et la défense).

- Est fasciste qui fait reposer sur une responsabilité sociale la résolution de ses ennuis personnels comme de ses névroses psychologiques et sexuelles.

- Est fasciste qui entend établir des institutions publiques particulières pour chaque culture parcellaire au détriment des codes civils et criminels de la société.

- Est fasciste qui, au nom d'une pratique sexuelle ou raciale, impose à ses contemporains une conduite ou une pratique qui mutile son droit à sa liberté d'expression.

- Est fasciste qui exerce un chantage psychologique, moral ou financier au nom de torts commis dans le passé et étrangers aux cadres moraux propres aux temps actuels. De même que les membres d'une famille ne doivent pas être tenus responsables des agissements de l'un de ses membres, les générations actuelles ne sont plus à être tenues responsables pour les actions commises par leurs ancêtres dans le passé. C'est à la société de juger des torts et des injustices présents et à y remédier, non aux individus.

Sont fascistes parce que ce sont des responsabilités privées qui doivent être portées par les intéressés seuls et non un fardeau de la collectivité. Si la société est plus que la somme de ses individus, les individus ne peuvent qu'exiger leurs droits à la liberté, la sécurité et la dignité humaine et de meilleures conditions favorables pour atteindre au plein épanouissement personnel. Ils ne peuvent culpabiliser la société de ne pas accéder au bonheur. La sphère privée n'a pas à s'étaler et attendre de la sphère publique une quelconque reconnaissance de ses manifestations intimes.

Que le fait de vivre en démocratie ait pulvérisé le corps social en ses multiples atomes individuels, entraînant en retour une indifférence propre aux passions satisfaites sur la seule échelle personnelle, suscite un fascisme-soft - qui ressemble dangereu-sement aux vieux fascismes, comme l'ont révélé l'usage du passeport vaccinal et des propagandes de ségrégation par les autorités «scientifiques» et gouvernementales qui l'ont accompagné sous la pandémie -, nous montre que bien de vieux démons grouillent toujours sous les apparences joviales de notre société de satisfaction. On peut donc jouer aux éplorés et aux vengeurs comme on a joué aux confinés il y a deux ans. Ça meuble une existence vide traversée d'agitations subites mais sans consistance. Qui s'est souvenu de l'engagement de millions d'individus qui arpentaient les rues de Montréal derrière Greta Thunberg, il y a trois ans, lorsque Trudeau et son phoney de ministre de l'environ-nement viennent d'autoriser certains types d'ex-ploitation pétrolière à reprendre du service, acceptant ainsi de repousser les échéances des accords de Paris sur l'émission des G.E.S.? Comme le fascisme et le nazisme, voire le communisme qui leur ressemble par sa veine totalitaire, se fixer un objectif signifie appliquer son contraire.

Dans ces conditions, on peut suspecter que Kamloops ne sera guère mieux qu'un autre mythistoire occidental chargé, d'un côté, satisfaire les wokes qui épousent la cause autochtone; d'autre part, apaiser les angoisses existentielles d'une civilisation en phase régressive avancée, satisfaite économi-quement et politique-ment, qui se crée des culpabilités en vue d'échapper aussi bien à son vide intérieur qu'à ses vraies responsabilités. Il va même jusqu'à établir  un nouveau colonialisme sur la conscience amérindienne, de manière analogue à ce qui est reproché aux missionnaires d'avoir accompli avec la conversion au christianisme déculturant leurs ancêtres. Sans doute les millions promis par le gouvernement fédéral finiront-ils par s'écouler lentement, séchant quelques larmes aux «survivants», mais le plus gros ira probablement gonfler d'un océan d'argent les coffres des banques, comme on l'a vu faire lors du règlement de la Baie James en 1976⏳

 

Jean-Paul Coupal

Sherbrooke, 12 août 2022.