mardi 16 novembre 2010

Devine en qui je suis déguisé ce soir?



DEVINE EN QUI JE SUIS DÉGUISÉ CE SOIR?


Campbellford, Ontario. Lors de la fête d’Halloween 2010 organisée par la Légion royale canadienne, deux drôles se sont présentés costumés, l’un en membre du Ku Klux Klan, drapeau confédéré cousu dans le dos, tandis que son copain (du moins je l’espère), le visage teint en noir, portant une chemise à carreaux rouge et noire, en jean et une corde attachée à son bras, tenait le rôle de l’esclave de service. Un témoin, de race noire, a exprimé le dégoût que lui suscitât cette mise en scène et s’est empressé de quitter et sa bière et le lieu. Le clou de la soirée, fut toutefois lorsque le premier prix des déguisements fut accordé aux deux complices. Mme Joy Herrington, présidente de la branche 103 de la Légion royale canadienne, absente lors de «sa» soirée, après moult critiques, a declaré, candide: «En tant que présidente de la branche 103 de Campbellford de la Légion royale canadienne, je m’excuse à toutes les personnes qui ont été offensées par ces événements qui ont marqué notre fête d’Halloween. Ces événements ne reflètent aucunement la vision de la Légion royale canadienne ni celle de ses membres. Les responsables ont été rencontrés».

Ne soyons pas trop sévére envers cette innocente. La police, appelée à mener enquête, a renoncé à toute poursuite judiciaire, considérant que le mauvais goût provenait d’un mauvais jugement. Cette logique kantienne du service de police ontarien est tout à son honneur. Cet incident, qui aurait dû passer inaperçu, rappelle cette bourde du prince Harry d’Angleterre, qui était apparu à une fête similaire, portant le swatiska nazi en brassard. Après un flot de bière, la manchette fit couler un flot d’encre.

Dans les deux cas, nous voyons des représentants d’une élite particulière: les membres de la digne Légion canadienne de vétérans d’un côté, de l’autre un prince de sang royal, recomposant ou récompensant une marque d’aliénation historique humiliante. Des drôles qui parodient l’histoire en insistant sur l’humiliation des victimes: noires ici et juives en Angleterre. Du mauvais goût. Du mauvais jugement. Sans doute. De l’innocence? Point.

L’histoire est en spectacle. Après les tragédies et les drames classiques, après le cinéma et la télévision, voici des groupes de citoyens qui se costument en officiers et soldats de la guerre de 1812 (au Canada) ou de Sécession (aux États-Unis). Voici les bénévoles de villes ou villages, en Abitibi, au Saguenay, en Vendée ou ailleurs qui recréent le fil de leur histoire à travers des spectacles à grand déploiement sur scène, où l’on voit des Amérindiens prendrent des poses romantiques ou des faux-soldats bedonnants se lancer à l’assaut d’une crète à Queenston Heights. C’est, paraît-il, la nouvelle façon qu’a la mémoire de renouer avec le passé. Une nouvelle manière dont la conscience historique se donnerait pour garder et exprimer les fiertés ou les traumatismes du vécu collectif. Ces spectacles attirent leurs adeptes. En plus, ils nourrissent l’industrie touristique qui ne peut pas toujours se payer le cachet des vedettes de musique Rock. Spectacles pour spectacles, ceux-là valent bien ceux-ci et impliquent toute une communauté dans un processus ludique où l’histoire n’apparaît plus comme une comptabilité de faits et de dates à retenir par cœur, mais une activité communautaire qui célèbre une fierté collective. À une époque où les programmes scolaires ne savent plus quoi faire de l’enseignement de l’histoire, pris entre propagande politique et «savoir inutile», pourquoi devrions-nous déplorer ces activités? …jusqu’à ce qu’elles dégénèrent en exhibitions gratuites et de mauvais goût.

Car tout le problème réside en cette dégénérescence. Où devons-nous partager entre histoire-spectacle de bon goût et démonstration d’histoire affligeante et humiliante? Dans les cas que nous avons cités plus haut (La guerre de 1812 et celle de Sécession) les adversaires étaient ontologiquement des «égaux». Anglais et Américains, les généraux Brock et Van Rensselaer descendaient tous deux d’une même souche, l’anglo-saxonne, même s’ils appartenaient désormais à deux nations différentes. Les «Bleus» et les «Gris» se sont «réconciliés» après bien des déboires et ont réussi à faire repousser d’un siècle l’égalité civile des noirs dans les anciens États esclavagistes. La nécessité de réconcilier «la maison divisée» du président Lincoln l’emportait temporairement sur sa déclaration d’émancipation des Afro-américains. En ce qui concerne les guerres de Vendée contre les soldats de la République française lors de la Révolution, là aussi la réconciliation est venue par la nécessité de consolider l’unité nationale après deux siècles de syndromes républicains, vendéens, chouans, franco-français, vichystes et autres. Le sens de l’unité finit toujours par l’emporter sans pour autant détruire les identités parcellaires, locales ou régionales, qui parviennent, le temps aidant, par s’imposer comme des pages honorables dans la constitution de cette unité.

Mais il en va tout autrement quand des épisodes non «historically correct» surgissent, abruptement, au cours d’une soirée mondaine. Les sottises du prince Harry et des deux sado-maso ontariens apparaissent moins graves que le tollé qu’ils suscitent parmi les esprits scrupuleux. Le prince Harry n’a pas l’inédit d’être apparu avec un brassard nazi au bras dans un party d’Halloween, pas plus que nos deux lascars de se déguiser en membre du Ku Klux Klan avec son esclave noir tenu en laisse. Pourquoi ces faits divers font-ils la manchette au même titre qu’un assassinat ou la sortie d’une vedette gai du placard? Pourquoi tiennent-ils l’affiche des écrans de télévision et des journaux alors que la faim dans le monde, les épidémies de sida et de choléra, les horreurs de la guerre et les crises sociales et financières mériteraient de nous tenir en haleine continuellement? L’effet sensationaliste n’explique pas tout. Ou s'il explique quelque chose, s’il se manifeste à fleur de peau, c’est qu’inévitablement un pot de fleurs a chuté et est venu s’écraser à nos pieds.

Laissons donc de côté les guerres de 1812 et de Sécession, de Vendée et autres chouanneries reconstituées pour nous arrêter à ces deux exemples qui ont suscité la colère des citoyens. Nazis et membres du Ku Klux Klan sont historiquement apparentés. Nous savons qu’Hitler partageait les objectifs et idéaux des membres du Ku Klux Klan sur la question de la pureté raciale, de la ségregation des races considérées comme inférieures et les traitements exterminatoires qu’on devrait, selon eux, leur faire subir. Le lynchage d’Afro-américains dans les États sudistes, surtout après la Grande Guerre de 1914-1918, est contemporain de l’élaboration de l’antisémitisme hitlérien à travers la rédaction de Mein Kampf. Aux vieux racises de la fin du XIXe siècle, Chamberlain et Gobineau, avaient succédé des théoriciens américains inspirés des nouvelles sciences biologiques, dont la génétique. Madison Grant et Lothrop Stoddar sont des references mondiales en matière d’hygiène raciale. Le Noir et le Juif sont des Untermenschens aux yeux des partisans de la race aryenne, blanche et caucasienne. Idéologiquement, la réprobation du racisme rend déplacé ces costumes pourtant tout aussi historiques que les uniformes de 1812 et de 1861. Symboliquement, le retour de l’hygiène raciale par la voie de la segrégation renvoie à des attitudes comportementales qui trahissent les aspirations idéologiques de la réprobation morale. La consécration du premier prix au costume K-K-K comme le confort avec lequel les copains du prince Harry acceptèrent le brassard au swatiska, montrent que l’hygiène raciale est toujours de mise en Occident. Le nazi et le Ku Klux Klan s’adressent à des pulsions viscérales haineuses qui répondent toujours présentes lorsqu’elles s’entendent évoquées. Ainsi motivées par ces têtes sans cervelle, elles jettent un goût amer dans la bouche des maîtres de cérémonie, comme Mme. Herrington, surtout lorsqu’ils sont absents du lieu où ils auraient dû chaperonner.

Enfin, l’historicité du groupe des légionaires comme celle de la jeunesse branchée qui gravitait autour des membres de la cour royale britannique, s’ils n’ont pas oublié les horreurs de la Shoah que Spielberg et autres «holocaustistes» cinématographiques ressassent inlassablement, une barrière inconsciente a soudainement surgit, partageant le sens de l’unité entre les in-group et les out-group. L’attitude du seul convive noir de la soirée d’Halloween reste éloquente. Il s’est senti immédiatement rejeté par l’accueil fait aux deux larrons et s’est tout de suite empressé de quitter la fête. Il sentait consciemment ce que les autres, inconsciemment, lui signifiaient à travers l’acceptation de la scène grotesque: son exclusion du groupe. Il est parti car il s'est reconnu extérieur à la Légion à laquelle pourtant il appartenait depuis longtemps. De même, les critiques les plus acerbes de l’idiotie du prince Harry ont également senti qu’aux yeux de la couronne britannique, ce symbole de l’unité nationale que représente tout membre de la famille royale, il y avait des citoyens britanniques «un peu plus égaux que d’autres» pour la famille des Windsor. Si le sens de l’unité crée l’historicité comme l’historicité a pour but de consolider dans l’imaginaire collectif cette unité par-delà les différences particulières, quelque chose sentait vraiment le pourri dans le royaume d’Albion.

Nous voilà donc loin des passages d’éponges sur une historicité réconciliée par la bonne volonté véhiculée par les cérémonies de commémoration. Par-delà le chemin de fer souterrain qui permis à tant d’Afro-américains de fuir l’esclavage sudiste en traversant la frontière de l’Ontario avant la guerre de Sécession et les efforts de la Bataille d’Angleterre pour venir à bout de l’imperium raciste du Troisième Reich, bref ce qui est vanté à gros traits dans les manuels d’histoire dès la petite école, au Canada comme en Angleterre, des réactions contradictoires émanent de quidams qui n’ont pas plus d’intérêt pour ce savoir que celui de fournir des idées de décors et de costumes pour les fêtes mondaines. L’histoire-spectacle, vantée même par certains historiens, montre que la caricature historique se substitue à la conscience critique, intellectuelle et morale. Il n’y a pas plus de différence à se capuchonner en membre du Ku Klux Klan qu’à se bander un œil en pirate des Caraïbes. Que le brassard nazi vaut bien celui de la Croix-Rouge. L’aplatissement est un effet morbide de ce culte de l’histoire-spectacle. Contrairement au film historique ou aux séries télés qui font illusion de re-créer la réalité passée, selon les vœux de von Rank et de Michelet, l’histoire-spectacle confond savoir et morale, laissant toute la place au symbolique pour «divertir», «amuser», «scandaliser», «écœurer», «faire rire», «niaiser», en revêtant des costumes et des allures tirées de l’imagerie d’Épinal apprise sur les bancs d’école. Le Ku Klux Klan devient rien de plus qu'une version nord-américaine de la joyeuse bande de la forêt de Sherwood autour d’un Robin Hood encapuchonné qui tient son esclave par la corde. Le brassard nazi et la chopine de bière que tient le prince Harry sont dignes des levées de coude des joyeux compères joyeux compagnons, ce qui est une vision assez réductrice de ce que furent les S.S. L’effet de l’histoire-spectacle n’est donc plus de rehausser la conscience historique, mais carrément de la dissoudre, de l’ensevelir dans une absence de conscience, un néant intellectuel, moral et spirituel. Elle ne vit que d’une mémoire atrophiée, découpée, dissoute dans l’inconscient, associée non plus aux repulsions viscérales excrétoires mais à des pulsions morbides, macabres, sado-masochistes. Le tortionnaire réapparait, certes sans le pouvoir ni les instruments de torture du bourreau nazi ou du membre du Ku Klux Klan, mais ce n’est pas parce que les fours crématories et la croix en feu ne font plus partie de l'actualité que la banalité de l’horreur ne fait pas son œuvre.

Devons-nous donc nous inquiéter de ces travers de quelques joyeux fêtards? Sûrement pas. La bêtise n’est pas le monopole d’une époque ou d’un peuple. Tous les goûts sont dans la nature, même les mauvais. «La laideur se vend bien» titre un livre qui n’est pas d’un sot. Il faut simplement décortiquer, distiller ces événements sans importance car ce qu’ils révèlent, par contre, est d’une certaine importance. Comment analyser ces faits divers? La nature vraie de l’histoire-spectacle? Sont-ce là des perversions d’une saine activité de la mémoire ou n’est-ce pas plutôt l’histoire-spectacle elle-même qui est déjà une activité perverse et subversive?

Les dérapages qui sont au centre de cet essai peuvent être considérés comme la pointe de l’iceberg. L’histoire-spectacle est perverse et subversive à la fois pour notre rapport avec notre passé, notre connaissance de ce passé, ce qu’il a imprimé dans notre mémoire et notre inconscient collectifs. Perverse dans la mesure où elle fait prendre le rêve pour la réalité, une histoire idéalisée pour une histoire vécue, des costumes du dimanche pour des vêtements quotidiens. Elle est subversive pour notre conscience morale également. Juger après coup, lorsque la lumière rouge de notre téléphone ne cesse de clignoter pour nous avertir qu’un plaignant nouveau attend au bout de la ligne, c’est qu’il est déjà trop tard. Le racisme a réintroduit l’acceptation passive. Aussi, devons-nous nous féliciter qu’il y ait des plaignants qui n’acceptent pas ces fausses drôleries. Encore faudrait-il faire un pas de plus et s’interroger sur l’importance que la métamorphose de la connaissance historique en spectacle touristique, en grand-guignol comme en Triomphe à l’Italienne de la Renaissance, menace de faire subir à notre intelligence du passé. Ce sens de l’unité si cher pour que les hommes puissent vivre en paix, sinon en fraternité partagée et réciproque qui s’étendraient au-delà des limites ethniques, langagières, cultuelles, selon l’actualité en mouvance vers une mondialisation communicationnelle sans précédent dans l’Histoire, l’interrogation, oui, est d’importance.

Nous devons nous féliciter d’avoir fait échouer la reconstitution prévue, pour le quatrecentième anniversaire de la fondation de Québec en 2008, de l’incontournable bataille des Plaines d’Abraham. Pourquoi? D’abord, parce que la bataille n’est qu’un concentré d’histoire militaire. La bataille ne signifie rien, ne valorise rien en elle-même pour le devenir collectif des Québécois ni des Canadiens. Elle signifie et valorise dans la mesure où il y a un vainqueur et un vaincu; donc qu’il y a un avant et un après la bataille. Si le vainqueur avait été Montcalm et la paix établie entre les belligérants, la bataille des Plaines d’Abraham ne signifierait rien de plus que la victoire de Frontenac sur la flotte qui amenait l’armée de Phipps en 1690. La continuité de l’historicité française en Amérique du Nord ramènerait tout cela sur une longue durée. La valeur épique se poursuivrait de la victoire de Frontenac dans celle de Montcalm, comme l'avait précédée celle de Champlain, et ici nous nous arrêtons au seuil de l’uchronie, de l'histoire-fiction… Mais Montcalm a été vaincu, les descendants des Français de 1759, déjà Canadiens, ont survécu en s’éloignant des racines françaises, les Britanniques ayant chaussé les pantoufles du Gouverneur français, la rupture historique fut donc enseignée, pendant des générations, comme une séparation originaire, c'est-à-dire un événement-traumatique. Comme au party d’Halloween des Ontariens, la reconstitution ludique de la bataille des Plaines d’Abraham aurait contenu un processus mental d’aplatissement de l’événement niant tout aspect significatif pour la population qu'elle concernait. (Et en termes d’aplatissement de l’histoire, le Ministère de l’Éducation du Québec y réussit très bien depuis deux générations qu’il est passé maître dans la façon de faire, qu’il apparaît inutile au gouvernement fédéral d’y ajouter quoi que ce soit.) C'est en ce sens, donc, que cette reconstitution aurait été perverse; dans la mesure où elle aurait réduit cet événement-traumatique, qui touche différemment les Canadiens d’origine française des Canadiens d’origine anglaise, en une séance sado-masochiste collective. Ç’aurait été l’équivalent de voir au party d’Halloween, un Ku Klux Klan amener le Jean-Baptiste de Henri Julien en laisse avec sa tuque de laine, sa pipe mais démuni de son fusil. Ce jeu ludique aurait investi les spectateurs de pulsions négatives et donner aux casseurs des motifs pour partir une émeute qui n’aurait servi de toute façon à rien dans la consolidation de l’idée d’indépendance des Québécois. Il ne faut pas trop prêter au Mariage de Figaro parmi les causes lointaines des origines de la Révolution française.

Car, outre son aspect pervers, l’histoire-spectacle sécrète aussi un aspect subversif dans la mesure où les valeurs morales sont focalisées sur la victoire (victoire des Anglais dans la bataille, des francophones dans la survivance après la défaite) plutôt que sur la convoitise coloniale et les moyens qui sont utilisés pour parvenir aux fins des belligérants. À l’heure de la lutte au terrorisme, à la guerre toujours déjà-perdue en Afghanistan où s’est empêtré le gouvernement canadien (tous partis politiques confondus), la reconstitution de la bataille des Plaines d’Abraham servait à reconsolider la confiance dans une armée sur l’action de laquelle la population civile entretient des doutes. Bref, la reconstitution ludique se serait transformée en pure propagande d’État. La complicité des participants, des spectateurs, des édiles locales aurait servi à renforcer l’absence de position critique devant les fins visées et les moyens utilisés par les gouvernements dans leurs actions internationales. Dans le contexte où le vainqueur présentait la victoire anglaise en Amérique au cours de la Guerre de Sept Ans comme la victoire des libertés individuelles de la patrie de John Locke contre le despotisme centralisateur de l’État absolutiste de Louis XV, possesseur d’une colonie sous-développée économiquement, dépendante de la métropole et sous-instruite comparée aux treize colonies américaines, la mission du Canada, actuellement en Afghanistan, poursuivrait ainsi, par le service des soldats canadiens porteurs de la liberté individuelle et personnelle contre les oppresseurs totalitaires de l’intégrisme musulman, la mission historique des vainqueurs de la bataille des Plaines. Harper/Wolfe contre Ben Laden/Montcalm. C’est à ces assimilations idéologiques, à ces condensations symboliques que l’aplatissement de la conscience historique aboutit lorsque l’esprit critique s’ensommeille et engendre des monstres. Il est bon de laisser à chaque siècle ses guerres, comme à chaque culture populaires ses fantasmes à exorciser.

Allez chercher dans le passé des sorcières, des magiciens, un bestiaire de tout accabit pour illustrer nos peurs et les exorciser rend l’Halloween elle-même totalement inefficace. Si le fait de parodier ou d’ironiser sur nos superstitions rurales pouvait, un temps, s’avérer utile pour affermir notre force de caractère dans l’enfance et recevoir, comme tribut, bonbons et friandises; à l’heure des légendes urbaines, nos sources de peurs sont visiblement autres que les chats noirs et les fantômes. La nappe de pétrole répandue dans le Golfe du Mexique aurait pu, tel que suggérée par Infoman, être personnifée par un vulgaire sac à vidange «Glad»; le réchauffement climatique par un Soleil éclatant en papier d’aluminium; l’effet de serre par une nuée filandreuse; les vilains pédophiles, qui ont pris la place de la vilaine sorcière d’Hansel et Gretel, pourraient apparaître en mon’onc' Pédo et laisser aux enfants le soin d’imaginer (donc maîtriser) leurs frayeurs face à la violence adulte. Toutes ces stratégies de réinvestir l’Halloween comme catharsis des angoisses morbides de nos enfants, angoisses qui sont souvent transmises par nous, leurs parents, s’inscriraient parfaitement dans la thérapie des contes de fées telle que proposée par Bruno Bettelheim. Mais, pour les parents, c’est tellement plus sympathique et «traditionnel» que d’en rajouter sur la mémoire des vieilles sorcières et des chats noirs qu’on ne sait plus, à l’ère de l’horreur au quotidien dans les media, ce qui distingue nos peurs d’adultes des angoisses infantiles.

Nous ne craignons plus les Nazis ni les Ku Klux Klan. C’est ce que ces faits divers nous rappellent. Comme les sorcières du XVIe siècle, ils ne sont plus que l’objet de nos risées. Pourtant, contrairement aux vieilles sorcières qui se sont metamorphosées en jeunes et jolies Wicca, les Nazis et les Ku-Klux-Klan existent toujours, font de la propagande (soft), s’insinuent de plus en plus dans les partis de droite (le Tea Party aux États-Unis), les néo-fascistes en Italie et en Allemagne, le Front National bien connu en France. L’Histoire-spectacle s’est un peu trop précipitée en croyant que l’on pouvait se permettre de rire du Diable maintenant que les canons de Sa Majestée et les leçons de citoyenneté canadienne l’auraient édenté. Après tout, comme disait Baudelaire, la meilleure ruse du Diable ne consiste-t-elle pas à nous faire croire qu’il n’existe pas?⌛

Montréal,
3 novembre 2010.

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