samedi 5 janvier 2013

Le «Mamelonet de Février»

Saint Georges et le dragon, icône russe

LE «MAMELONET DE FÉVRIER»
OU LA NÉCESSAIRE MISE À MORT DES UNIVERSITÉS

Avant même que ne s’ouvre le Sommet sur l'enseignement supérieur commandé par le Gouvernement du Parti Québécois, il est facile de prédire combien les discussions vont s’écarter des problèmes essentiels du monde universitaire pour ne parler de ce qui plaît aux «principaux intéressés» : d’argent, il est impondérable d’affirmer ceci : les universités, au Québec et oserai-je étendre la proposition dans l’ensemble du monde occidental?, doivent mourir pour que la culture intellectuelle puisse revivre.

Jusqu’à présent, je ménageais la chèvre en lui enlevant le chou de sous ses sabots pour les restituer aux écoles techniques financées essentiellement par les milieux d’affaires qui en profitent et les secteurs où elles sont indispensables à la recherche et aux progrès de la connaissance et de l’intervention dans les différents milieux naturels et humains. Je laissais le «ventre mou», ce secteur dit des «savoirs inutiles» pour reprendre l’heureuse expression de Michel Foucault, à un financement d’État dû à son rôle premier qui est d’assurer l'entretien et la promotion de l’intelligence propre à une civilisation. Or, il avère que l’université elle-même, dans son ventre le plus mou, est encore plus pourrie qu’on pouvait l’imaginer. Ici au Québec, ailleurs aux États-Unis comme en France, on assiste à l’effondrement du «haut savoir» en tant qu’un Idéal du Moi propre aux institutions universitaires qui n’atteignent plus, au mieux de leur Moi idéal, qu’à pensionner quelques vedettes de la recherche et des enseignants dont le but est de produire une quantité incommensurable de textes, de recherches, d’enquêtes aux résultats souvent les plus insignifiants qui soient, afin d’assurer le conservatisme d’une minorité dominante qui fait sous elle comme un vieillard incontinent. Les universités ne sont plus à la «traîne» mais bien à la «couche» et aucune Pamper’s, si absorbante soit-elle, ne peut éponger les fèces de méthodologies paresseuses, de rhétoriques creuses, d’épistémologies oiseuses, de curatelle de l’intelligence par les fonctionnaires accrédités par une institution qui vit de renvois d’ascenseurs avec les entreprises et surtout avec les gouvernements. Reconnaissons-le, l’échec des universités québécoises (et je parle toujours ici des centres mous, pour moi le secteur technique est clairement évacué), dans la compétition internationale tient beaucoup moins à une question d’argent et de financement qu’à toute une série de situations déplorables qu’il faudrait réparer si la chose était encore possible.

La première cause de l’échec : l’impréparation des étudiants par les milieux primaires et secondaires de l’enseignement publique.

Essayons d’ordonner, de manière méthodique, les causes de l’échec des universités québécoises. Il faut le reconnaître, les étudiants qui arrivent à l’université sont, règle générale, mal préparés à affronter les défis de la démarche intellectuelle. Exclure l’éducation publique du «Sommet» - disons plutôt, afin de garder la juste proportion de cette réunion, du «mamelonet» de l'enseignement supérieur -, c’est déjà exclure l’un des principaux vices de malformation. Comment, dans des cours universitaires, des étudiants se trouvent-ils dans l’incapacité de lire des textes ne comprenant aucun terme technique, forcés de s’arrêter à tous les cinq ou dix mots pour vérifier leur signification dans un dictionnaire usuel? D’où provient ce manque de vocabulaire? D’où provient, également, ce manque de maîtrise de l’écriture à une époque où des correcteurs automatiques sont intégrés à tout traitement de texte? Les étudiants ne prêtent aucune attention à ce qu’ils écrivent, ni comment ils l’écrivent et encore moins à leur contenu puisqu’ils ne prennent même pas la peine de les réviser afin de les corriger. Du moins, jadis, y avait-il au niveau secondaire des cours d’introduction à l’usage de la bibliothèque. Des cours, également, sur l’apprentissage de la méthode de recherches, de travail avec les livres, comment utiliser les tables des matières, les index, les collections. Quand, en 1977, j’ai retrouvé ces cours que j’avais suivi en secondaire II moins d’une décennie plus tôt au département d’Histoire de l’UQAM, dans un cours de méthodologie que les professeurs tiraient au sort pour ne pas avoir à le donner, je me disais déjà que quelque chose d’important se passait PRÉSENTEMENT. En 1990, alors que je travaillais dans une librairie de livres neufs et usagés, je rencontrai mon ancien professeur d’études médiévales à la même université. Lui demandant comment se déroulaient ses cours, il poussa un profond soupire et m’expliqua que les étudiants ne savaient plus lire même les textes les plus informatifs, les introductions les plus simples, sans usage de termes techniques sur la matière. Vingt ans plus tard, je m’aperçois que même en France, des étudiants sortis des lycées de la République sont atteints des mêmes maux. Le vocabulaire de la langue s’efface au profit de l’usage d’abréviations phonétiques, J’t’m. J’t’a-i. Les mots se laissent deviner plutôt qu’exprimer. Même Flaubert, Hugo et Proust sont rendus «illisibles» pour les jeunes générations. Il est difficile de penser qu’une telle pratique ne puisse empêcher la prolifération de problèmes d’inhibition chez les adolescents. Là, il n’y a pas que la paresse qui en bénéficie.

Les objectifs des cours élémentaires et secondaires étant d’amener les étudiants à «fonctionner en société», l’aspect culturel - celui de la culture savante -, cède le pas à des connaissances qui se partagent entre le divertissement (le culte des vidéo-clip, des vedettes, du sport, de la pornographie, etc.) et celui des savoirs orientés vers les techniques (les mathématiques, les sciences et même les arts sont orientés vers le «marché de l’emploi», la culture scientifique même est absente de ces programmes). On veut produire en série des comptables François-Legault, au langage bébéesque, à la maturité attardée, aux intérêts partagés entre des spectacles extravagants comme ceux du Cirque du Soleil et des connaissances générales liées à la pratique du golf et du jeu de poche. Il ne faudrait surtout pas prendre l’image que les 30 vies de Fabienne Larouche nous offrent à la télévision pour un reflet de ce qui s’enseigne dans les écoles secondaires. Bien sûr, il y a des professeurs dévoués et engagés dans «le processus d’éducation» de la jeunesse. Il y en a, parmi les plus vieux, qui restent pour déplorer la baisse des exigences qui n’a pas, pour autant, relevée les résultats scolaires. L’incapacité réelle d’endiguer le phénomène du décrochage montre à quel point l’école n’est pas ressentie par les élèves comme un lieu d’intérêts et d’épanouissement. Il est facile de mettre la responsabilité sur You Tube ou Internet, mais il ne faut pas chercher à l’extérieur des écoles les origines de problèmes liés à la déficience même des contenus des programmes, à l’attention et à la concentration mentales des élèves, à des exigences et des pratiques qui laissent déjà sous-entendre à l’élève qu'il est mentalement dans un état d’incapacité intellectuelle à saisir une culture ou une connaissance plus abstraite. La déficience première, ici, appartient aux pédagogues du ministère et aux enseignants complaisants.

Sont-ce là les objectifs que s’étaient fixées la Commission Parent dans les années 60, une commission formée de membres du clergé et de l’élite universitaire de l’époque? J’en doute. Ces gens étaient des humanistes et ils considéraient les étudiants qui, désormais, démocratiquement, allaient accéder à l’éducation supérieure tout à fait capables de s’adapter aux exigences des milieux universitaires, à l’exemple de tous les petits Américains, les petits Français et les petits Britanniques. D’où vient alors ce problème qui, comme je l’ai dit, semble également toucher aussi bien les jeunes Québécois que les jeunes des autres nations occidentales? Si j’observe l’attitude des différents gouvernements québécois depuis trente ans, des dirigeants des milieux d’affaires comme des élites intellectuelles, je ne peux que conclure à un SABOTAGE implicite des instruments que nous nous étions dotés après la remise du rapport Parent.

En effet, les réformes administratives qui n’ont cessé de se multiplier ici et là, accrochant sur des objets aussi secondaires que les modes docimologiques par exemple, indiquent qu’il s’agit d’un modèle de destruction en ciseau. D’une part, la réduction des exigences auprès des élèves, d'autre part, la normalisation des notes en bout d'année. D'abord, on demande moins avec la certitude qu’on va obtenir plus. Évidemment, moins que vous exigez, moins on vous livrera. De la diminution de la quantité de mots de vocabulaire appris, vous obtiendrez encore moins de mots de vocabulaire retenus. Il en va également de la grammaire, où on a perdu un temps énorme à reformuler pompeusement les anciennes règles, pourtant assez claires, des conjugaisons et des accords, ce qui eut pour effet de marquer, de signifier, une nette rupture avec les anciens modes d’apprentissage de la langue, refluant les vieilles grammaires méthodiques aux poubelles. Quel parent, instruit dans l’ancien système, peut expliquer avec les formules abscons de la nouvelle grammaire, les règles qui sont pourtant appliquées dans les faits de la même façon à leurs enfants ou petits-enfants? Ce fossé a des conséquences plus graves qu’il n’y paraît, car il isole les cultures générationnelles les unes des autres, rompant ainsi une transmission du savoir, et laissant sous-entendre aux enfants et aux adolescents que leurs parents étaient de sacrés ignares alors qu’ils en sauront toujours plus que les enseignants sortis des «formations déficientes des maîtres» de l’université! D'autre part, à l'autre extrémité, celui des résultats de fin d'année, on procède à l'opération magique de la normalisation des notes. Comme le redoublage est devenu exceptionnel, on pratique une opération magique qui consiste à faire passer au-dessus de la note de passage ceux dont les résultats sont en-dessous. Ça s'appelle la normalisation des notes. Les notes individuelles sont recalculées à partir de la moyenne de la classe. Ainsi, les pochetons montent dans l'échelle des notes, mais les notes des meilleurs étudiants sont, par le même exercice, abaissées (même légèrement). Le message implicite est celui-ci : faites le moindre effort et vous serez acceptés au niveau supérieur; efforcez-vous au mieux et vous serez sanctionnés. Voilà la structure en ciseau du sabotage qui démontre assez bien que le minimum d'exigence de la part des élèves est une fourberie. Résultat : les élèves arrivent au Collégial et à l’Université avec un bagage de connaissances restreint qui les rend inaptes, toujours davantage, à suivre les mêmes programmes des années précédentes. Pour les meilleurs étudiants, qui verront la supercherie des normalisations de notes se poursuivre, c'est le début du cynisme et du désintérêt de l'apprentissage supérieur. Dans les faits, rendus à l’université, l’ajustement à la baisse des programmes et des contenus de cours donne en 2013, au premier cycle universitaire, ce qui était voilà un demi-siècle le résultat d’un niveau de cours classique (aujourd’hui, le secondaire).

Gustave Moreau. Hydre de Lerne
Cette culture de l’ignorance à l'intérieur des institutions de haut-savoir se poursuit car l’arbre tend à s’incliner sur une base déjà mal partie. Les problèmes rencontrés à l’université sont donc à chercher, en grandes parties, dans les choix pédagogiques et didactiques qui ont été faits depuis une trentaine d'années aux niveaux élémentaire et secondaire. Redresser cet arbre mal dressé est plus difficile à faire qu’on ne le pense, car il n’y a pas eu de relève d’un enseignement sérieux et formateur. De la démocratisation de l'éducation, on est passé à la dénonciation démagogique de l'élitisme. Il suffisait d'étaler une culture savante, même rudimentaire, pour se voir traiter d'élitisme, et d'être tenu pour un adversaire méprisant ou condescendant envers la culture populaire! Cette complaisance démagogique réduisait la culture populaire à l'ignorance la plus crasse. La complicité des partis politiques, des gouvernements, des ministères de l’Éducation successifs, des commissions scolaires et des syndicats d’enseignants qui réclamaient toujours moins de tâches et plus d’argent, a suffit pour mettre par terre le projet d’une vraie démocratisation de l’éducation qui aurait pu réussir si, au lieu de se masquer les yeux devant l’ampleur des exigences nécessaires, on avait arrêter de «normaliser» les notes afin de «niveler» les résultats scolaires (c’est-à-dire faire monter les pochetons tout en abaissant les efforts des étudiants volontaires) pour se faire croire que tout Québécois était capable de sortir avec un doctorat dans sa giberne.

La seconde cause de l’échec : l’adaptation à la baisse des exigences universitaires.

Comme nous venons de le voir, les exigences à la baisse aux niveaux élémentaires et secondaires ont forcé les exigences collégiales et universitaires à suivre le pas. Dans les secteurs techniques, le mal est moindre considérant que la technique fonctionne essentiellement sur l’imitation et l’émulation. On reproduit sempiternellement des problèmes basés sur les mêmes formules de résolution et on obtient des résultats déjà prévisibles. Une fois sur cette lancée, la recherche vise à dépasser les résultats acquis et les chercheurs finiront toujours par dépasser le goulot d’étranglement qui bloque une technique inférieure et permet d'accéder à une technique supérieure. Croire qu’il en va de même dans les sciences humaines ou sociales, en critique littéraire ou artistique, relève de la perversion épistémologique.

J’ai été témoin de l’expression de cette perversion en 1979, lorsqu’un professeur qui enseignait l’histoire du mouvement ouvrier au Québec, toujours à la même UQAM, dans une assemblée, avait déclaré qu’il n’était pas utile de donner de la culture (historique) aux étudiants mais de leur apprendre la méthode scientifique, qui dans son jargon voulait dire la «science marxiste-léniniste». Pour un anticlérical comme moi, c’était là une sottise, mais l’ensemble du milieu, marxiste ou pas, convenait de cette perversion liée à un sentiment d'infériorité face à la méthode scientifique articulée sur une base épistémique développée dans les recherches en physique. Mais dans les sciences humaines, ici, une formule expliquait le réel comme un mot de passe faisant ouvrir la porte de la caverne d’Ali Baba. Aujourd’hui, nous récoltons les «petits trésors» issus de cette caverne. On peut les retrouver dans ces enquêtes que se plaisent méchamment à produire certaines émissions de télévision qui ouvrent annuellement «la chasse aux cancres» à la porte de l’UQAM ou de l’Université de Montréal : «qui était Jeanne Mance?», «qui a peint la Joconde?», etc. Le culte de la «méthode scientifique» idéale répondant aux critères d’une épistémologie élaborée ailleurs, dans un autre terreau parfaitement étranger, les sciences pures, et inapplicable dans le contexte des sciences humaines ou sociales - le popperisme! - avait pour but à la fois de discréditer la valeur des résultats de la recherche dans ces domaines des sciences humaines et sociales, et nourrissait ce «complexe d’infériorité» parmi les enseignants qui se rabattirent dès lors sur un positivisme archaïque, schizophrénique (le savoir positif est à la fois savoir méthodique et aveu d'ignorance) et antisynthétique (la disparition de la synthèse en histoire, en littérature, en arts et en sciences est une catastrophe culturelle et une déstructuration voulue de la conscience historique, qu’elle soit de couleur nationale, sociale, genre ou locale). Le résultat a été, une fois la «méthode marxiste-léniniste» effondrée (bien avant la chute du mur de Berlin), qu'il n’est plus rien resté pour relever l’apprentissage culturel et même des méthodes d'enquête, sinon que des vieilles recettes tirées de l’histoire économique et sociale (l’économétrie), les statistiques et les échantillonnages de discours. Il n’est pas toujours sûr, même, que la critique interne et la critique externe des documents aient résisté à cette crise épistémologique de l’historiographie.

La sociologie, l’économie, les sciences politiques, l’anthropologie et la linguistique ont moins souffert car, au départ, ce sont des spécialisations récentes dont les méthodes sont relativement restées les mêmes. Que l’on soit disciple d’une soi-disant école américaine ou française, les élèves copieront les méthodes liées à la chapelle à laquelle appartient leur professeur. Il sera ainsi assuré d’avoir des «équipes de recherches» pour obtenir des subventions auprès des organismes fédéraux et provinciaux. Comme le cercle s’est refermé avec les départs à la retraite, le palliatif de l’usage des chargés de cours, travailleurs contractuels et autonomes sans promesses d’élévation hiérarchique, sauf pour une certaine protection syndicale, le résultat est que les professeurs-chercheurs concentrent dans leurs mains les directions de thèses. Avec pour résultat que la qualité de la matière s’est détériorée, contribuant à son tour à la baisse des exigences pour les futurs étudiants. Comme me disait laconiquement un professeur, il y a de cela plus de trente ans : à l’université, les étudiants passent et les professeurs restent. En effet, nous sommes à même aujourd'hui d'en constater les résultats. «Après nous le déluge», la médiocrité des premières générations d’enseignants universitaires a cultivé la dépendance d’étudiants moins cultivés, moins autonomes, moins indépendants d’esprit pour obtenir des chercheurs passifs, fidèles, toujours inférieurs par rapport au savoir du maître, et lorsque ceux-ci ont levé les pattes, ils étaient en position de prendre la relève. Ces nouveaux technocrates - car ils traitent la matière humaine selon la gestion des biens des morts -, sont étonnants d’ignorance dès qu’on les fréquente un peu. Ils ont généralement des idées usées, qu’ils croient redécouvrir comme l’invention de l’eau tiède. Ils épatent des journalistes plus ignorants qu’eux et médusent un public de certifiés dans une technique ou dans une autre. En bout de ligne, la culture savante meure avec leur ignorance et leur fatuité, et comme dans un Molière, nous nous laissons faire la leçon par des Diafoirus. Le langage bébéesque de Charles Tisseyre est l’équivalent des diagnostics d'un Sganarelle, tant on s’imagine mal un Fernand Séguin s’adressant de cette manière à ses auditeurs - le récit des tribulations du bébé mammouth est une pièce d'anthologie -, qui étaient pourtant des gens ayant fait parfois pas même une septième année!

La troisième cause de l’échec : la gérontocratie pensionnée.

Il ne s’agit pas d’affirmer que les enseignants universitaires sont tous des cancres et qu’ils n’ont pas à bénéficier de la reconnaissance qui leur est due. Beaucoup d’entre eux, comme leurs équivalents de l’élémentaire et du secondaire, déplorent la baisse des exigences et la médiocrité des résultats trafiqués par des études comparatives où l’on fait paraître de hauts niveaux d’excellence nos institutions. On oublie trop rapidement qu’un siècle et demi de collèges classiques et d’études catholiques à Rome de jeunes séminaristes québécois n’ont jamais fourni un seul grand théologien de réputation au Québec, alors que dans la France persécutrice, les catholiques produisirent une récolte appréciable d’auteurs (de Claudel à Bernanos) et de théologiens catholiques (de Maritain à Chenu)! La chose se poursuit sous l’enseignement universitaire laïque. Certes, certains universitaires québécois ont publié des Que sais-je?, sont des auteurs Seuil ou Gallimard, ou reçoivent des honoris causa ici ou là. Nous n’avons jamais été séparés du monde, ni sous l’époque cléricalo-nationaliste du premier XXe siècle, ni sous l’époque laïque du second. Le fait est que ces indicateurs ne représentent rien. Ce sont-là des pratiques universelles; des renvois d’ascenseurs à l’échelle planétaire. Des mœurs universitaires fondées en Europe et aux États-Unis et auxquels nous nous sommes adaptés comme tout le monde. Les contributions, toutefois, sont parcellaires et généralement limitées au niveau strictement local ou national. Cherchez un Marc Bloch, un Lucien Febvre parmi les historiens québécois? Est-ce un hasard si la plus grande (du moins la plus grosse) biographie de Samuel de Champlain, «père de la Nouvelle-France» est le produit d’un historien américain? Et le collectif sur La Guerre de Sept Ans autant de contributions originales françaises que québécoises? C’est bien que les autres s’intéressent enfin à notre histoire. La question demeure : pourquoi n’avons-nous pas été capable d’exporter notre histoire à l’étranger? Il est trop facile de se rabattre sur la résistance des milieux universitaires ou d’éditions en France, plus intéressés par l’histoire américaine que l’histoire québécoise ou canadienne. À un certain niveau, nos chercheurs, nos enseignants universitaires et nos éditeurs ont dormi au gaz, préférant aller se pavaner à la foire de Francfort plutôt que d’élaborer une stratégie afin de percer les marchés du haut-savoir à l’étranger. Après tout, comment le leur reprocher, puisqu’ils dépréciaient la culture générale dans leurs propres institutions, pourquoi l’auraient-ils cultivée ailleurs?

C’est là le résultat de l'entretien du fardeau des «pensionnés», les derniers qui profitent des avantages syndicaux négociés au cours des années 70, protection qu'ils ont refermée sur eux-mêmes pour ne pas avoir à partager l’argent mis à leur disposition par les gouvernements. Cette rapacité, qui n’a rien à voir avec la réputation ou la compétition des universités québécoises avec leurs consœurs étrangères, s’est terminée (ou se termine présentement) dans des scandales de primes de départ à des gestionnaires ou des recteurs incompétents ou tout simplement fraudeurs. Dans la mesure où le «Mamelonet de Février» serait une mini-Commission Charbonneau des fraudes universitaires, ce serait au moins ça de gagner, mais l’aura sociale du milieu en fait, comme une mafia de l'intelligence, un univers d’omertà et de protections digne du pire panier de crabes. Le pensionnat des chercheurs et des enseignants universitaires conforte la sécurité qui tend à cultiver une certaine paresse, une indigence et un confort intellectuels. Il assure une alliance tacite entre les membres d’un même département et l’ensemble du milieu universitaire, de sorte que les universitaires consciencieux sont obligés d'assurer la protection des incompétents qui se sont faufilés là par les jeux de coulisses. À ne pas vérifier si les exigences de renouvellement de la formation des maîtres s’effectuait, les sérails d'universitaires incompétents se sont vite peuplés d'étudiants paresseux. On règle ses comptes en famille, derrière des portes closes avec des fenêtres donnant sur le chèque de paie dont les fonds proviennent de l’extérieur. C’est le guichet des carmélites universitaires, qui confirme le mot profond d'Alain de Libéra, dans son livre Penser au Moyen-Âge, qu'un universitaire n'est pas nécessairement un intellectuel et un intellectuel un universitaire. Les palabres entre universitaires dans des cénacles restreints et itinérants - les call-girls comme les appelait Kœstler et qu'a filmés Alain Resnais dans La vie est un roman - sont une gratification auto-référentielle, la reconnaissance des pairs étant l’équivalent d’une franche camaraderie de soutiens. L’usure des pensionnés, dont le niveau de vie élevé oblige à toujours conserver son poste, même au-delà de l’âge de la retraite, finit par imposer à la charge financière des universités des has been déphasés qui polluent la santé intellectuelle de l’institution. En même temps, des aspirants en pleine capacité de produire des textes, des recherches, des enseignements intéressants se voient contrés par l’obligation reconnue par les plus hautes cours de justice du Canada, de conserver ces dinosaures rabougris.

La quatrième cause de l’échec : le goût des modes universitaires.

En devenant de plus en plus au «service de la société», comme n’importe quelle entreprise économique, le savoir universitaire s'est trouvé réduit au niveau d'une marchandise qui dissimule derrière elle la vraie raison de l’existence de l’institution. L’université existe pour ceux qui en vivent, comme je l’ai déjà dit ailleurs. La marchandise est un savoir fétichisé qui n’ouvre sur aucun emploi assuré, sur aucune reconnaissance assumée par le milieu, sur aucun perfectionnement de la conscience ni des aptitudes humaines et sociales. C'est un bibelot inutile et dont l'esthétique ne vaut pas les frais de scolarité payés. Certains vivent encore sur l’illusion du «haut savoir» qu’elle dispense. D’autres viennent y réaliser des rêves de jeunesse frustrés. En fait, les programmes font compétition entre eux, les cours se présentent comme des petits bonbons à sucer, les professeurs font du noyautage pour combler des classes qui autrement seraient vides. Bientôt, verrons-nous Jean Grondin danser le Gadamer style pour s’attirer une clientèle jeunesse en philosophie classique ou en herméneutique? Le verrons-nous couché par terre, dans un ascenseur sous un panda platonicien se faisant aller le bedon ou en train de se tortiller avec un Paul Ricœur à grosses lunettes noires embarquant dans sa Ferrari après un petit coup de déhanchement? Jusqu’où l’élite universitaire sera-t-elle prête à se lancer dans la publicité racoleuse pour amener plus de clientèle analphabète à discuter des dialogues socratiques ou de l’impératif catégorique de Kant?

En fait, cet avilissement dans la propagande de vente et de «séduction» du marché du haut-savoir provient précisément de l’engourdissement due à l’importance des pensionnés jointe à leur succession par des enseignants peu cultivés, peu sensibilisés à l’importance du savoir culturel et rivés à des spécialisations et des techniques intellectuelles plutôt stériles.  Contrairement à l'Europe, les universités québécoises ne construisent pas leur clientèle sur des réputations. Le fait d’avoir véhiculé pendant plus d’une génération qu’à l’université, «on - on désignant ici les départements et leurs enseignants - n’est pas intéressé à ce que vous pensez», mais à ce que vous produisez en termes de recherches et de publications (ce qui était sous-entendue), campait l’étudiant dans un rôle accessoire à l’institution. Le fait que les départements aient accumulé la production de critiques de textes, des commentaires de critiques de textes, etc. plutôt que de développer une philosophie originale ou d'engager une tradition de recherche, confirme le refus de l’usage de la culture tant elle conduit à la pensée et à l’interprétation du monde per se, c'est-à-dire une maturité de l’université dans son Idéal du Moi. Or, c’est le contraire que nous obtenons aujourd'hui.

La mode y est également pour beaucoup. Certes, il n’y a plus d’orientation marxiste-léniniste dans les cours, ni dans les lectures et encore moins dans les travaux. On remplace cela par des doctrines ou des théories à la mode. La sémiotique, par exemple, a été présentée comme le summum de la sémiologie, alors qu’elle n’était qu’un décodage technique d’effets qui servent aujourd’hui à fabriquer des effets spéciaux plutôt qu’à vraiment comprendre la peinture, la sculpture ou le cinéma en tant qu'arts. Lorsque ce n’est pas une méthode qui est mise en vedette, ce sont de nouveaux objets : la sexualité a ainsi succédé aux luttes ouvrières et au syndicalisme dans l’historiographie québécoise. Mais si on descend plus bas, nous trouvons des objets d’histoire à la mode, en France ou aux États-Unis. Ce n’est pas que ces objets ne méritent pas notre attention. Bien au contraire. Mais ils sont lancés, comme ça, comme des fusées sans direction, sans aucun projet d’harmonisation qui en feraient un véritable feu d’artifices. Comme il n’y a plus de volonté de synthèse, ces objets sont des électrons libres qui iront là où les étudiants de maîtrise et de doctorat pourront les conduire, là où leurs directeurs pourront les récupérer pour leurs propres recherches (tout étudiant aux études avancées se départit de la propriété de ses recherches au profit de l’université, c’est-à-dire de ceux qui en sont les professionnels, il lui est difficile après de revenir pour dénoncer un plagiat). Le diplôme équivaut à lui faire fermer la gueule!

À un autre tournant, les critiques journalistiques de cinéma, de livres, d’art sont formés à l'image des appréciateurs du défi Pepsi versus Coke plutôt que des Georges Bataille ou des Maurice Blanchot. Pourquoi? Pour avoir un job aux papier-cul quotidiens de Péladeau et de Desmarais. Telle est l’importance de l’université dans le milieu «intellectuel» québécois. Maintenir le niveau culturel, intellectuel, savant, aussi bas que possible. Créer des consommateurs de produits bêtes et inutiles. Meubler des consciences vides d’images qui ne sont rien de plus que des signaux pavloviens afin d’assurer l’accroissement des échanges économiques. Discréditer la valeur civilisationnelle de la culture. Déprécier le savoir comme étant un «empêcheur de tourner en rond», ce qui favorise le cynisme politique et social et la «dé-citoyenneté» des individus. La prostitution de l’enseignement universitaire au divin marché est la position actuelle de ces institutions appelées à comparaître sur leur liste de dépenses auprès du ministre Duchesne peu curieux, de ce farceur de Bureau-Blouin qui commence à peine à fréquenter l'université, et autres députés et observateurs participants au «Mamelonet de Février». Dès le départ, l'exercice suscite peu de crédibilité.

Pourquoi sonner le glas des universités québécoises?

Parce que c’est un système irréformable. Comme pour tout ce qui est corrompu et avili par le capitalisme, qui est le système le plus anti-civilisationnel qui soit, lorsque les institutions sont pourries de l’intérieur par des mentalités productivistes (publish or perish, peu importe que ce soit), ou par des contournements de travail (se contenter d’exiger la lecture de l’introduction et de la conclusion d’un livre pour en tirer un résumé déprécie les efforts d’écriture que demande une véritable thèse) et que le mensonge l’emporte sur la franchise des intentions et des intérêts, il est difficile de penser extirper les mœurs établies qui sont en plus reliées à des réseaux extérieurs animés par l’avidité de l’argent. Je me souviens, du temps où j’étais étudiant en doctorat à Concordia comment mon directeur de thèse, Geoffrey Adams, me rapportait que certains donateurs qui voulaient, généreusement, offrir de l’argent à un département, se voyaient court-circuités par l’administration universitaire qui s’occupait d’encaisser les donations et les redistribuer à leur discrétion. Ensuite, comment se demander pourquoi les «généreux donateurs» ne se sont plus pressés aux portes de l’université pour faire des dons!

Il n’y a plus qu’à recommencer à zéro - et suivre la leçon de courage que Kipling enseignait à son malheureux fils dans son poème If -, puisque nous avons gaspillé la chance que les années 1960-1970 nous offraient. Abolir les universités québécoises (toujours exclues des départements techniques), c’est mettre fin à un régime universitaire inefficace, qui n’apporte plus rien ni à la société qui la défraie de ses deniers, ni à ses étudiants qui paient pour des programmes miteux. Il faut, si on a la foi, s’en remettre à la loi évolutionniste qui dit que le besoin crée l’organe. Avons-nous vraiment besoin de ces départements d’histoire, de sociologie, de psychologie, d’arts et de lettres? Il faut se poser franchement, courageusement, la question aux risques de la réponse la plus décourageante. Non. C’est de l’argent perdu, nous n’en voulons plus. Alors plaçons cet argent dans ce que le populo minuto veut puisqu'en démocratie, il est «roi» : les sports, les divertissements de masse, les journaux sanguinolents, les jokes d’Adam et Ève, les soins de santé surtout… Parce qu’un petit bobo est tellement affligeant!

Mais, il n’y a pas que des visions désolantes à tirer de l’abolition des universités.

Si le besoin crée l’organe, alors cet organe sera de meilleur aloi. Il n’attirera pas ceux qui croient que l’enrichissement est automatique à l’instruction (même universitaire). Nous risquons d’avoir un personnel enseignant plus passionné, donc mieux formé à transmettre la connaissance, que des pensionnés désabusés et cyniques en fin de carrière. Ce serait un avantage pour tout le monde.

Si le besoin crée l’organe, alors cet organe exigera des sélections plus sévères puisqu’il n’aura pas les moyens d’attirer des étudiants mal préparés. Le ressac du laisser aller des écoles élémentaires et secondaires les obligera, par sentiment de honte ou par pression parentale, à investir sincèrement dans les méthodes d’enseignement afin d’obtenir des étudiants capables de passer des tests d’admission à un programme universitaire, comme il se fait en France et ailleurs. L’acceptation automatique n’est pas un corollaire nécessaire de la démocratisation de l’éducation; il faut une évaluation qui permet de distinguer les possibilités des étudiants de comprendre et de s’intégrer à un milieu de  diffusion des connaissances et de culture. Ceci ne relève pas d’un élitisme qui empêche l’émergence de bons étudiants comme la gérontocratie actuelle tend à miner l'avenir des universités.

Si le besoin crée l’organe, cet organe aura un programme défini, une insertion dans une démarche, une volonté de fonctionner au meilleur de ses capacités. Il sera une synthèse de savoirs afin d’insérer la spécialisation dans un tout et non la gaspiller dans une masse de production et de consommation d’objets de recherche. Bref, l’université retrouvera ce qui manque le plus présentement à ses étudiants : un sens à l’engagement intellectuel. Les demandes à la mode ne dicteront plus les offres universitaires. L’université cessera d’être un marché de la connaissance et de la culture.

Si le besoin crée l’organe, il ne pourra servir de pension. Cela prendra un sens intériorisé de la gratuité de la part des enseignants aussi bien que de la part des étudiants pour reconstruire un authentique système universitaire, car mettre un système en place, dans un monde qui étrangle par des liens d’argent et des réseaux communicationnels dominés par des exigences de masse, impose une vie frugale, une vie sans passions de célébrité, de richesse, de pouvoir. Pourquoi est-ce dans les monastères au début, puis dans des écoles royales que les premiers humanistes de l’histoire ont-ils trouvé lieux pour s’enraciner? Parce que le travail intellectuel exige un certain retrait (mais sûrement pas un retrait total) du monde. Il a une fonction évangélique dirions-nous, bons chrétiens que nous sommes, et surtout, il a un désir d'apport de la connaissance au monde. Il reprend la pensée de Socrate qui disait que le savoir était libre comme l'air que l'on respire. Voilà pourquoi, qui se montre désireux de l’acquérir pour des raisons gratuites plutôt que des raisons mondaines ne reculera pas devant une certaine frugalité courageuse. Les réseaux sociaux ne font pas qu’offrir des désavantages corrupteurs, ils peuvent rendre également possible des liens que l’éloignement, autrefois, empêchait. Les réseaux universitaires de l’avenir, s’ils doivent se recréer, n’auront plus autant besoin de locaux absurdes, parce que vides la plupart du temps, pour un échange en continue qui permettra de suppléer aux institutions devenues des distributrices à diplômes, comme d’autres sont des distributrices à gâteaux ou à condoms.

Si le besoin crée l’organe, cet organe mettra l’administration en tutelle à ses activités premières. Si tout organisme a besoin de contrôle et de gestion, la gestion ne doit pas devenir la fin d’une institution ou d’un organisme. À partir de ce moment, on verrait vite se reformer les élites de doyens, chanceliers, recteurs et tout ce qui coûte trop à des institutions dont l’accès aux revenus est limité.

Si le besoin crée l’organe, il est évident que les
…vraiment?
exigences seront plus élevées. Il s’agira de distinguer les enfants des adultes. Une université qui prend des étudiants qui n’ont pas les aptitudes intellectuelles ou mentales de participer à la société étudiante, les fourvoie, les vole, les abuse. Un marché universitaire n’a aucun respect de sa «clientèle étudiante». Il joue de la démagogie pour remplir les goussets des régistraires. Il est prêt à distribuer des diplômes sans évaluation sérieuse des postulants. Des recherches absurdes, dont j’en ai exposé une ailleurs, reçoivent la même attention, sinon plus, que des recherches méthodiques avec des résultats beaucoup plus sérieux. Le temps d’en finir avec cette perversion, cette subversion de l’institution universitaire, est venue et quels que soient les rapports qui seront déposés sur les tablettes à l'issue du «Mamelonet de Février», le mal restera identique dans les universités, et le lent pourrissement ne pourra aller qu’en s’accentuant⌛
Montréal
5 janvier 2013

9 commentaires:

  1. Je ne sais trop que penser de ce texte. Son propos est plutôt juste, mais il est politiquement tout à fait irréaliste. J'ai connu le milieu universitaire intimement et j'en suis sorti plutôt dégoûté. J'ai en tête des tas d'exemples qui corroborent votre propos. Dans le monde universitaire comme ailleurs, la bureaucratie devient sa propre fin et les acteurs qui s'y trouvent sont bien loin de la joie dans la quête frugale de la connaissance.
    Daniel D

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    1. Ce que j'en dis politiquement est bien entendu irréaliste. Ce que je veux mettre en perspective, c'est ceci : ou bien on continue à ignorer la décomposition du système d'éducation québécois (ou occidental peu importe), à la manière que nous nous sommes aveuglés sur la corruption, et lorsque tout sera pourri, on ne pourra constater que l'organe ne sert plus à rien du tout; ou bien on prend conscience des racines profondes du malaise et on extirpe les racines pourries, ce qui entraîne la confrontation avec les milieux établis : les milieux d'affaires (qui ne voudraient pas avoir à charge seuls d'entretenir les écoles techniques dont ils sont les premiers bénéficiaires), l'État (pour qui l'université demeure l'endroit où il puise ses technocrates et ouvre des pensions aux politiciens déchus); la cléricature universitaire (qui parasite le système tout en le rendant sénile). Dans le premier cas, c'est la solution du laisser-faire, laisser-pourrir, dans le second c'est une réaction saine que de couper le membre qui gangrène (ce que prescrit la Bible soit dit en passant!) Jadis, l'Église a asphyxié l'Université avec la suprématie des Facultés de théologie; plus tard, des universités entretenus par l'État ont été engorgées par des Juristes; aujourd'hui, le consumériste s'apprête à en faire un Wall Mart de produits intellectuels coûteux, pas toujours de bonnes qualités et sans aucune promesse d'insertion pour les postulants/acheteurs d'une quelconque carrière apte à assurer leur vie, ce qui équivaut à une fraude. J'ouvre le choix. Je vous remercie de votre attention, et si vous avez une solution, n'hésitez pas à la faire part au monde, nous en avons prestement besoin.

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    2. La quête frugale du savoir est loin de déboucher nécessairement sur une carrière et je vois difficilement comment cela pourrait être systématiquement le cas. Mon fils a commencé une maîtrise en sciences politiques à l'UQAM, en plein dans le mou comme certains pourraient dire. Je ne sais pas trop ce qu'il va réussir à faire d'une point de vu professionnel avec cette maîtrise, mais je sais qu'il y est à sa place. L'intérêt qu'il porte pour les sciences politiques et en particulier pour la géopolitique et le monde des relations internationales va bien au-delà de sa fréquentation du milieu universitaire. L'université ne suffit pas pour former une personne dans son domaine d'étude et le gros de ce que nous aurons appris en ce domaine ne proviendra pas de la fréquentation du milieu universitaire.
      Ce sont des forces lourdes qui tirent vers le bas notre système d'éducation et pour le politique agir à l'encontre de cette tendance est beaucoup plus complexe que de simplement laisser couler. Vaste sujet...
      Daniel D

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    3. Fils a eu 20 ans à Téhéran. Il est entrée en Georgie alors que ce pays était en guerre contre la Russie. Il a fait l'Asie Centrale, a visité le Xin Guiang, a enseigné l'anglais en Chine. Selon lui l'UQAM se compare favorablement avec le milieu universitaire qu'il a connu pendant un an en Suisse. Il s'intéresse beaucoup à la géopolitique. Et son domaine d'étude l'intéresse de façon intrinsèque. Il se peut qu'il devienne prof de Cegep éventuellement, comme il ce peut fort bien que cela ne lui arrive pas. Il est bien bien au fait des méandres du monde universitaire et du caractère fort incertain de la reconnaissance pécunière et sociale de son diplôme éventuel. Il a pour cela l'exemple de son père qui à cet égard a échoué lamentablement...
      Daniel D

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    4. Ah ça non! Vous n'avez pas échoué l'essentiel, puisque vous l'avez, lui, votre fils. C'est un homme débrouillard, cultivé, qui a déjà du vécu dans le corps. Ce n'est pas le cas de la plupart des étudiants qui viennent de milieux petits-bourgeois et qui n'ont pas la même formation d'expérience que votre fils. La géopolitique le passionne, alors je ne suis pas inquiet pour lui, s'il ne trouve pas à se placer dans une institution, il y aura toujours un Organisme Non Gouvernemental qui pourra bénéficier de ses compétences. C'est un homme dont le niveau de conscience est plus développé que bien de ses collègues plus jeunes.

      Bien sûr que le niveau des cours de l'UQAM est comparable à celui de bien des universités européennes. Le monde occidental est un pain de sucre, s'il se disloque, il se disloquera de partout, comme un iceberg qui fond. Ce dont je parle, c'est un problème de civilisation et non seulement d'une localité, d'un État, et je constate, ne serait-ce qu'à titre d'exemple, combien les bulletins d'information en France ressemblent de plus en plus aux bulletins nord-américains!

      Enfin, je ne crois pas que vous lui serviez d'exemple d'échec mais plutôt de persévérance et qu'il a envers vous une immense reconnaissance pour l'encouragement que vous lui apportez malgré vos regrets. À ce titre, je suis autant un échec lamentable, et c'est par refus de cet échec imposé qu'avec mes moindres moyens, j'essaie de partager ce que j'ai acquis pour ne pas que cela soit gaspillé avec tout ce que ma formation m'a coûté, à moi et à la société québécoise!

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    5. Je considère avoir une dette envers la société québécoise Je sais bien que tout n'est pas perdu. Et je me plais à me rappeler de temps en temps ces mots de Laurent Thailarde: «Désormais la seule aristocratie sera celle de l'esprit»
      En ce qui concerne fils je lui ai déjà dit qu'il est ce que j'ai réussi de mieux dans la vie. Vous avez bien deviné l'esentiel.

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    6. Alors, considérez que votre dette envers la société québécoise est effacée.

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    7. Ouais... malheureusement ce n'est pas si simple pour moi. Revenons à votre texte de épart. Je vais vous illustrer une partie du problème et ce problème n'est pas près de trouver une solution. Mon domaine d'étude est relié à la géographie, l'urbanisme et à l'aménagement. Les programme dans ce domaine d'études ce sont multipliés dans la universités québécoises au cours des dernières années; particulièrement au niveau du doctorat. Il y avait une maîtrise en études régionales à L'UQAC et à l''UQAR, chacune de ces universités a créé un programme de doctorat en ce domaine. Il y avait une maîtrise en études urbaines conjoint INRS-URBANISATION_UQAM, ils viennent d'y ajouter un doctorat. Il y avait une maîtrise en géographie à l''Université de Sherbrooke, ils viennent d'y ajouter un doctorat spécialisé en télédétection. Il y avait une maîtrise en Aménagement du territoire à L'Université Laval, il y ont ajouté un doctorat dans le même domaine, alors que le département de géographie offre déjà un programme de doctorat. Tout ¸a ne tient pas debout et je ne peux interpréter cette enflure des programmes universitaires de maîtrise et de doctorat dans ce domaine très précis que par la volonté bureaucratique des petites structures universitaires de vouloir grossir comme les crapauds de la fable. La bureaucratie universitaire devient sa propre fin, bien avant son but premier qui devrait être l'amélioration des connaissances et comme vous le dites le plaisir frugal de la recherche.
      Comme un ministre de l'éducation, qui par essence ne fait que passer, peut-il obliger les institutions universitaires et leurs machines bureaucratiques bien installé à faire marche arrière et à se déconstruire partiellement ?
      Ça n'arrivera pas.
      Daniel

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    8. Les départements universitaires ont une grande latitude de décisions et d'actions. Le gouvernement n'intervient pas dans la vie intérieure des universités, sinon pour commander des études et enquêtes, au même titre que les entreprises privées ou les syndicats. Les universités sont jalouses de leurs prérogatives. L'enflure de la technocratie est généralisée dans tous les secteurs, et surtout le secteur public. Il en va de même en Europe et même aux États-Unis; malgré les menaces répétées contre la technocratie, chaque gouvernement qui se succède, chaque rectorat qui se suit, laisse un appareil administratif toujours plus lourd que lorsqu'il l'a reçu des mains de son prédécesseur. Tel est l'un des symptômes les plus évidents d'une perte de contrôle sur la croissance de l'État et de ses appareils. Tous les déclins de civilisation ont connu cette phase, ce phénomène à des degrés divers.

      La multiplication des programmes entraîne le recoupement des matières et l'éclatement des disciplines. Et la géographie est l'une de celles qui a le plus éclaté entre les sciences de la terre, l'urbanisme et la géographie humaine récupérée par différents départements. Pour éviter de disparaître, elle s'est inventée de nouvelles orientations de recherches et d'enseignements. Comme il faut sauver le personnel universitaire, les départements survivent en se gonflant comme la grenouille, car au cours des dernières décennies le personnel universitaire a réalisé qu'un département pouvait mourir.

      J'en donnerai l'exemple du département des études médiévales à l'U de M. qui a fini par être absorbé par le département des études anciennes. Ce département avait été formé par les Dominicains durant la Seconde Guerre mondiale, à partir des documents évacués pour leur éviter la destruction en Europe. L'Université de Montréal, qui avait une expertise durant les années 50-70 de réputation mondiale a décidé de sacrifier les études médiévales lorsque les universités ont commencé à être victimes des coupures budgétaires (sous les Conservateurs de Mulroney), d'où cette réaction mercantile de vendre les cours et les programmes comme des produits de beauté. On multiplie les titres de cours (selon les modes, les inscriptions), les programmes enflent (afin d'accroître les diplômations qui exposent les performances des universités dans la compétition). Et le tout, sans nécessairement créer des postes nouveaux puisqu'il s'agit de conserver le personnel qui pourrait être balayé par les nouvelles technologies.

      La logique est celle-ci : une caste veut sauver sa peau, monopoliser les montants d'argent disponibles (toujours plus restreints), généralement provenant d'organismes comme le Fonds de recherches en sciences sociales ou son équivalent du Québec. Les distributions de bourses sont fixées par des membres des différents départements qui sont liés par des chaînes de monte-charges. X donne une bourse au protégé de Y et l'année suivante Y donnera une bourse à un protégé de X. L'utilité de la recherche, sa pertinence, sa diffusion, la qualité de l'encadrement de la recherche et les résultats ne valent plus grand chose. La loi de Gresham qui s'applique à la fausse monnaie s'applique également à la diplômation. Les «faux» diplômes discréditent les «vrais». Le système se survit à lui-même, n'hésitant pas à scier la branche sur laquelle il se trouve assis. C'est une logique d'auto-destruction. Et il en va ainsi à tous les paliers de la civilisation. L'irrationalité l'emporte sur la raison même. C'est une pente d'entraînement fatal à laquelle tout le monde se résigne (la résiliance a bon dos) et pour ceux qui sont bien placés : «après nous le déluge». Aujourd'hui, parler de la gestion de la richesse est une farce, on doit entendre la gestion de la décroissance, ou plus exactement de la décadence, du déclin ou tout simplement du crash…

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