samedi 29 décembre 2012

De l'effet des rayons post-modernes sur les jeunes nationalistes

Nicolas Francœur-Jérémie. Les symboles du Canada

DE L’EFFET DES RAYONS POST-MODERNES SUR LES JEUNES NATIONALISTES

Mon camarade, Marc Collin, est un véritable limier. C’est mon docteur Watson et je ne l’échangerais pour nul autre au monde. Il a le don de ramener sur son site Facebook tout ce qu’il peut trouver d’images kitsch ou kétaines, montages photoshops surréalistes, dessins freak ou weird à faire peur, ou sordides (ceux-là, c’est moi généralement qui lui fournit!). Par contre, il sait aussi cueillir de superbes photos, des caricatures hilarantes, des images poétiques de l’univers et de la nature terrestre, des comportements humains courageux ou sots. Ce matin du 29 décembre toutefois, je me suis réveillé avec une cueillette sortie tout droit d’un cabinet médical de curiosités d’un de ces psychiatres du XIXe siècle, style Cabanès ou Lombroso à laquelle un courriel de Marc m'expédiait directement.

Convenons-en, les arts et la littérature ont toujours entretenu des relations ambiguës avec la connaissance historique. Rarement fidèles, des illustrations naïves qui accompagnaient les récits des chroniqueurs de la prise de Constantinople ou de la bataille de Crécy aux tableaux pompiers d’Ingres et de Meissonnier, enfin des bandes dessinées des manuels scolaires aux feuilletons télé, le couple est plutôt mal agencé. Certes, on ne demanderait pas à un artiste de reproduire le récit d’un chroniqueur ou d’un historien. Il ne peut que l’illustrer, le «représenter», dans la mesure où son Imaginaire va y associer une mise en scène personnelle à partir de certaines caractéristiques propres au récit : le moulin à vent de Valmy ou la nacelle au ballon emmenant Gambetta au-dessus des troupes prussiennes encerclant Paris.

Selon ce double courant, historique et artistique, nous avons eu des représentations de l’histoire canadienne ou québécoise aussi diverses : réalistes du temps de Garneau, romantiques avec La légende d’un peuple de Louis Fréchette, épique avec les épisodes montés en épingle par le chanoine Groulx, patriotique dans les années 60-70, évocatrice et quotidienne avec l’histoire économique et sociale à la fin du XXe siècle. Mais avec le petit «trésor» découvert par mon ami Marc, c’est carrément dans l’illustration post-moderne de l’histoire nationale du Québec que nous entrons.

Le tout, si vous désirez le consulter, se trouve au site Cartier général, dont la «galerie» se veut une illustration de l’histoire patriotique du Québec. http://cartiergeneral.com/galerie/. Tous les autres blogues couverts par ce site comportent des exposés, des récits, des rappels et quelques «fantaisies» concernant la culture nationale québécoise. Ce nationalisme, inspiré du regretté Pierre Falardeau, est virulent, mordant, sanglant même et ne fait pas dans la dentelle. C’est parfois heureux. D’autres fois moins. Le nationalisme est une idéologie et comme toutes les idéologies, il ne voue pas un respect particulier à l’intelligence. Le fédéralisme est encore plus grossier dans la mesure où sans peuple ni nation, il réussit à faire croire en un Canada uni partageant les mêmes valeurs d’un bout à l’autre de la Transcanadienne. Bref, ce n’est donc pas d’intelligence que nous devons parler devant cette «galerie» artistique, mais plutôt comment, chez de jeunes nationalistes québécois, l’art post-moderne souffle une nouvelle poétique de la construction de l’imaginaire du passé et du «sens de l’unité» de la nation. Et c’est ici que nous franchissons, nous d'un certain âge et d'une certaine culture générale, un twilight zone.

Le site est celui d’un jeune homme de vingt-six ans, Nicolas Francœur-Jérémie. Son objectif, il le précise dans sa présentation : «Cartier Général se veut principalement un recueil d’œuvres sur une grande histoire, la nôtre. Une histoire mal connue, qui mérite qu’on découvre ses nombreux héros. Je suis convaincu qu’il est plus aisé d’appréhender notre formidable histoire si on est capable de la visualiser et de l’imaginer! Surtout, cela la rend facile à partager. Il est aussi beaucoup plus intéressant d’en apprendre sur la bataille où Champlain abattit deux chefs Iroquois d’un seul tir ou sur les habitudes libertines des coureurs des bois plutôt que de lire une étude à propos des réalités sociales de l’époque dans une approche socio-constructiviste! Bref, des héros et des récits épiques». Autre charmante naïveté : «ce site se veut non partisan politiquement parlant. Mon seul parti pris étant celui du Québec».

Nicolas Francœur-Jérémie est né avec l’ère des jeux électroniques et y a projeté son goût pour le passé québécois. C’est ce mariage de post-modernité dans les média électroniques et de nationalisme traditionnel qui rend compte de cet étrange ballet de l’archaïsme et du futurisme dans une conscience historique ayant perdu tout point de repère réaliste. Il parle d’une grande histoire (la nôtre), mais c’est une histoire sans tissu, sans relations, sans liens. Il n’y a pas un enchaînement logique des «images» qui donne une historicité bien campée. Ce sont même des flashes stéréotypés depuis plus d'un siècle qui évoquent davantage les miniatures du Moyen Âge ou les bandes illustrées du manuel La Violette des années 40 que des scènes historiques à la David ou à la Meissonnier. De même, l’orthographe des textes de présentation laisse à désirer. Francœur-Jérémie ne fait pas dans la subtilité lorsqu’il s’imagine qu’on peut reconstituer une histoire davantage par l’imagination que par la connaissance objective. À ce titre, bien sûr, toute histoire devient «formidable»! Mais, c’est du conte de fées, du Walt Disney. Lorsque je me demandais où étaient rendus les héros de l’histoire du Québec, eh bien ils sont là, dans le site de M. Francœur-Jérémie. À n’en pas douter. Et ils ont revêtu les formes et les oripeaux de la post-modernité. Ils se sont dépouillés de l’«approche socio-constructiviste» (je me demande quel imbécile d’historien universitaire a pondu cette niaiserie pour parler de l’analyse critique?) pour s’en tenir à des anecdotes au goût douteux (pourquoi Champlain qui abat deux Iroquois d’un seul coup de fusil? Pourquoi les habitudes libertines des coureurs des bois? Par goût sadique? Par voyeurisme sexuel?) Là aussi le post-modernisme a ramené l’histoire des contacts entre civilisations au niveau de l'«histoire-bataille» tant honnie par Lucien Febvre, et l’histoire de la sexualité de Foucault et Veyne en étalage de grivoiseries dont se raffolait jadis Hector Grenon! Enfin, quand il complète en disant que son site se veut non partisan, je doute que les militants libéraux se délectent de sa vision du Québec. D’autre part, je doute également que si le Québec est son seul parti pris, qu’il y aime d’un même amour fraternel patriotes et chouayens, nationalistes et fédéralistes, René Lévesque et Pierre Elliot Trudeau. La négation de l’activité de l’Idéologique dans son projet l’inscrit déjà dans une «conscience malheureuse» de l’Histoire qui ne risque pas de pousser son ambition très loin, à moins d’être redondante jusqu'à l'ennui.

Rendons-lui hommage, toutefois, pour son effort et mesurons-en les défaillances. Son premier respect, il le porte à Henri Julien, l’auteur de la célèbre illustration du Patriote de 37-38, Le Vieux de 37. La naïveté du texte montre qu’un peu plus de socio-constructivisme lui aurait appris à éviter des mouse traps. Francœur semble oublier que le Patriote avait déjà été utilisé pour illustrer La légende d’un peuple de Louis Fréchette en 1887. D’abord présenté comme une allégorie, le vieux Patriote «inspire» plus qu’il ne désigne. «Il est habillé comme un paysan, comme un homme du peuple. Son air décidé et son arme font sans contexte [sic!] de lui un guerrier». Traitez un Patriote aussi décidé que celui de Julien de «paysan», et il vous fait sauter la tête de son fusil. Un «habitant», oui, bien distinct d’un vil paysan de l’ancienne France, au point que le terme «paysan», au Québec, devint une insulte méprisante. Le Vieux Patriote apparaît ici comme dans une pétarade de feux de Bengale. En fait, techniquement, il appartient à la même famille que Chatchou de l’espace, rendu populaire par une pub de Rogers avec de (faux) adolescents.

Léo Major. Un type qui m’était inconnu, est présenté sous les traits d'un pirate, ce qui ne ressort pas des différentes photos que nous avons de lui. Et pour cause : «Il combattit durant la Seconde Guerre mondiale, capturant un nombre incroyable de Nazis et il libéra à lui seul la ville de Zwolle, le tout en ayant un cache-œil de pirate et un nombre incalculable de grenades. Il participa aussi à la guerre de Corée durant laquelle il accomplit de hauts faits d’armes». En effet, ce Léo Major (1921-2008) est une découverte toute récente. Les livres d'histoire militaire n’en parlent pas. Les histoires du Québec non plus. Sans doute mérite-t-il qu’on se souvienne de son héroïsme et de son courage, mais reconnaissons-le franchement, Major est un héros de l’histoire …canadienne, et il s’inscrit parfaitement dans ce que nous savons des «légendes» de l’histoire du Canada made in English-Canada. L’iconographie ici présente relève d’un faciès de héros bédéesques à la Rambo. Non pas le Pirate des Caraïbes quand même, mais ce type de héros est plus approprié à un jeu vidéo qu’à une réflexion sur l’histoire du Québec (de fait, Léo Major était né au Massachusetts).

Alexis Trotteur reprend la légende fort connue d’Alexis le Trotteur. L'illustration de Francœur reproduit intégralement les récits du temps passé : «En fait, le véritable Alexis Lapointe, l’homme derrière la légende, coursait contre des chevaux avec une rapidité foudroyante. Né dans Charlevoix en 1860, il grandit dans une famille nombreuse mais miséreuse. On remarque assez tôt son tempérament plutôt …spécial. Il joue de manière particulièrement intense avec ses chevaux de bois, hennis volontiers et n’hésite pas à se fouetter pour stimuler ses muscles. Il développe une habileté certaine à galoper et aura éventuellement assez de jugeote pour gagner sa vie avec ses jambes. Le type, malgré tout, n’est pas trop futé, voir  [sic!] simplet, et il fait office de bête de foire sur la nitro. Il distance les chevaux, les bateaux et les premiers trains de l’époque. On raconte qu’il pouvait aussi danser toute une soirée de manière endiablée sans se fatiguer». Évidemment, c’est le retour du vieux modèle du Québécois héroïque : fort ou agile, toujours simplet, doué de qualités naturelles à la limite de la bestialité, presqu’un animal métamorphique, sa destinée est fataliste et s’achève dans un éventuel suicide une fois devenu vieux et employé de chemins de fer. À ce compte, nous retrouvons l’imaginaire misérabiliste de l’ancienne historiographie cléricalo-nationaliste du premier XXe siècle.

La Madeleine de Verchères de M. Francœur sort tout droit du récit épique traditionnel, mais sa composition artistique évoque une «aura» tirée du New Age, à un point tel qu’il se sent obligé de nous expliquer l’image : «À propos de l’image : On peut apercevoir les mains de l’Iroquois qui lui arrache son foulard. En arrière plan, une crête de canons évoquant celui qu’elle fit tonner pour appeler les renforts. Les couleurs autour de ses yeux symbolisent l’aspect hautement légendaire de sa personne, tout en évoquant le fait que son récit fut maintes fois modifié et embelli avec le temps». Ce goût pour le style New Age se retrouve maintes fois dans les évocations imaginaires de notre formidable histoire!

La chose est particulièrement évidente avec le tableau intitulé Les Feux de la Saint-Jean. «Une allégorie pour la St-Jean-Baptiste. Couronnée de lys, sa tête ornée d’un panache glorieux et fier, elle relâche un bélier-dragon pour allumer de son souffle les feux de la St-Jean». Cette figure allégorique plutôt vespérale est pourtant ornée d’un symbole de la virilité, le panache d’orignal qui fait redondance avec les cornes du bélier, car le gentil agnelet du petit Saint-Jean Baptiste frisé de mon enfance s’est mué en un mâle en rut prêt à sauter la figure allégorique et à l’emporter dans un tourbillon de flammes. Nous ne sommes plus dans l’Histoire mais bien dans la mythologie ésotérique la plus pure. Des panaches d'orignaux sortant de la tête d'une Barbie, on ne peut pas dire que c'est une association particulièrement heureuse.

Il en va encore de même avec le tableau suivant, La Mère des batailles menant les Patriotes : «Sur le dos d’un destrier, la mère de toutes les batailles mène les patriotes vers le combat, leur insufflant le courage nécessaire pour le combat. Son arme est l’épée de justice». Cette mère est la Walkyrie, bien sûr, et tout le monde ayant le moindrement un peu de culture la reconnaît. Sa furioso est tirée de la Marseillaise de Rude sur le monument de l’Arc de Triomphe à Paris. Plus hystérique que courageuse, son «épée de justice» ressemble à la torche qu’on avait placée dans la main d’Hippolyte LaFontaine dans une caricature du Punch de 1848. Mais le modèle de l'artiste est à trouver ailleurs. Chez le célèbre Douanier Rousseau, dans un tableau intitulé La Guerre. Pour ceux qui savent que les offensives de Patriotes bas-canadiens ressemblaient déjà plus à une débandade au moment de l’attaque qu’à une véritable prise d’assaut, il ne reste pas grand chose d’historique dans cette scène plus proche d'une sarabande de Goya que de Henri Julien!

Quelques arpents de neige, en mémoire de la malheureuse phrase de Voltaire, sont symbolisés par un Caribou, une allusion idéologique également à cette aile gauche et radicale du Parti Québécois qui contraste avec les autres membres pour sa vigueur à réclamer l’indépendance du Québec. Le message exprimé clairement : «Perdue, car en ce moment, le Québec se cherche, étant en manque de leader pour emmener la harde [sic!] à bon port», exprime le désarroi d'une génération de jeunes nationalistes qui attendent après la solution du sauveur qui viendrait reprendre le flambeau de la première génération d'indépendantistes : les felquistes, les Vallières, Bourgault, Lévesque, Parizeau et autres. Il y a du désarroi dans ce projet iconologique de Francœur-Jérémie.

La figure de Radisson s’ajoute à la galerie des portraits de héros partageant tous les mêmes mérites : courage, abnégation, résistance, endurance, vindicte, triomphe. Major, Madeleine de Verchères, Radisson. Trois personnes en un héros, comme une nouvelle trinité nationale, ne sont pas à séparer du manque exprimé par le tableau des Quelques arpents de neige. Là où l'on est en droit de s'interroger, toutefois, c'est comment le héros, à défaut de s'imposer auprès de la Nouvelle-France, a été fonder la plus grande compagnie de traite au service des intérêts du frère du roi d'Angleterre? Ambivalence de la figure héroïque qui peut toujours, sans avertir, se transformer en celle d'un traître à la nation. Francœur-Jérémie ne semble pas trop embarrassé par cette ambivalence baroque.

À la Manic, hommage au barrage Daniel-Johnson, qu’une chanson de Georges Dor a rendu célèbre, apparaît comme un repaire de guerriers de jeux vidéos avec un sigle sorti tout droit de l’iconographie de la B.D. de science-fiction. Pour un peu on se demanderait si c'est là le gîte de Darth Vader dont les épées au laser se reflèteraient dans les nuages se tenant au-dessus du barrage. Comme une forteresse médiévale futuriste, le barrage n'apparaît plus comme devant retenir les eaux de la Manicouagan pour alimenter en électricité la Province, mais comme une force occulte, tellurique ou aquatique, par où le Québec cesserait de jouer son éternel rôle de colonie pour tout un chacun et deviendrait une sorte de Camelot, une sorte de château du roi Arthur où sortiraient des Perceval et des Galaad d'un nouveau genre? L'intrication archaïsme/futurisme est, encore une fois, à l'image de Gotham City de Batman, une allégorie mi-fantastique, mi-gothique d'un monde hors de la réalité.

Puis, viennent Les Griffes du Diable, une autre de ces histoires folkloriques qui mettent Satan en vedette. Celle-ci est localisée à Saint-Lazare-de-Bellechasse, vers 1820. Une mère de famille décide d’aller cueillir des bleuets un dimanche matin, avec son plus jeune enfant, alors que tout le monde est à la messe. Cueillant dans le champ d’une voisine, une dispute de mégère s’élève et la seconde envoie la première «chez le diable». Il n’en faut pas plus dans ce genre de légende! De la fumée noire émane alors du sol et en sort une créature démoniaque aux grandes ailes qui demande : «Vous m’avez appelé Mesdames?» Après un moment de panique, les deux femmes s’accrochent au bébé, «puisqu’il est pur et donc intouchable par le diable» (pauvre Freud!). Le diable devient fou de rage, crie, maugrée et, dans sa colère, plante ses griffes dans le sol, dont on dit qu'on peut toujours voir les empreintes dans la région. La leçon était claire pour l'époque : le dimanche matin, c’est tout le monde à la messe et pas question de se remplir la panse de petits fruits, bleuets ou framboises.

Sautons les symboles du Canada (la feuille d’érable, le «Ô Canada», le castor et une phrase bide de Jean Lesage), pour nous retrouver avec le Régiment de Carignan-Salière, «nos héros». En tant que régiment, nous ne voyons bien qu’un seul homme qui avance, comme un malheureux inquiet, prêt à verser dans ce qui sera son destin après la pacification de la vallée du Richelieu, c’est-à-dire devenir cultivateur, un habitant, époux d’une fille du Roy expédiée par navire directement de Paris. Il est difficile de voir en ce jeune homme un héros vraiment positif. L'arrière-plan romantique, couverture nuageuse inquiétante, ne semble pas lui ouvrir la vie sur des promesses de richesses et de gloires.

Ceci contraste d'ailleurs avec la phrase célèbre : Par la bouche de mes canons. On aura certes reconnu-là la phrase de Frontenac adressée à l’émissaire du général Phipps, en 1690. Mais l’iconographie est moins claire. La bouche du canon ressemble assez étrangement à une cheminée d’usine en pleine action. Il est vrai que le canon d’artillerie n’est pas un engin particulièrement exploité par l’art post-moderne contrairement à l'âge cubiste, mais l'art de la propagande des deux conflits mondiaux du XXe siècle le représentait souvent sous cette forme, menaçant et lourd de conséquences. Il en va de même avec Tabarnak, une évocation de l’autel catholique, mais sa composition gothique en fait un reliquaire plutôt ambigüe. On y reconnaît sans doute l'influence romantique des croix juchées sur le sommet des pics dans les tableaux de Gaspard Friedrich de l'époque de la peinture romantique allemande. La petite statue de la Vierge surmontée par la croix évoque ces niches que l'on greffait aux croix de chemins dans le Québec traditionnel. De blasphème, dont beaucoup d'utilisateurs ignorent les origines, Francœur-Jérémie a eu un coup de génie un peu plus fortuné pour ce tableau que pour les précédents.

Avec Duel, c'est un retour au Patriote de 37-38 qui offre l’occasion d’une scène particulièrement violente d’un combat où le sang se mêle à la pluie. Après un rapide exposé sur les causes des Troubles, notre illustrateur avoue candidement : «L’image représente un vieux patriote éclatant le crâne d’un ennemi Anglais, dans un duel sous la pluie froide. L’arme est celle de l’Anglais, qu’il aurait peut-être dû tenir un peu plus fort. Le style muscles-saillants-je-t’éclate est quelque peu inspiré des comics américains». Le post-modernisme qui, à travers la bande dessinée et le cinéma trouve ses couleurs et ses effets, inspire de plus en plus l'illustration historique!

Coureurs des bois : le Vrai de vrai, par contre, comme pour suivre un vieux jingle du Coca-Cola, prend une pose nonchalante. On le voit mal incarner spontanément ce qui en est dit : «Insoumis, libertaires et aventureux, ils n’étaient pas nécessairement bien vus par les autorités. Ils fumaient le calumet et se tatouaient le corps ”à l’indienne”. Ils étaient assez populaires auprès des jeunes filles amérindiennes[.] Ils se rasaient d’ailleurs la barbe car le poil était loin d’être à la mode chez les Sauvages!» (De fait, génétiquement, ils sont imberbes.) En fait, un coureur des bois du temps de Rémy Couture et de Xavier Dolan. La distinction est déjà évidente pour Francœur puisqu’il nous livre tout aussitôt un Coureur des bois folklorique. Ce dernier serait donc passé date et devrait céder la place au premier! Évidemment, le coureur des bois folklorique appartient à une autre époque de l'iconographie qui s'imaginait ses coureurs des bois du passé comme étant revêtus de peaux d'animaux à fourrures, portant le mousquet sur l'épaule et posant comme devant un photographe. Par contre, «le vrai» - car l'autre, en tant que folklorique, est rejeté dans la catégorie du faux -, parce qu'il satisfait plus notre imaginaire de boutique de tatoueurs professionnels, devient soudainement plus «authentique». Bref, à chaque époque son coureur des bois dans lequel l’artiste préfère se reconnaître. C'est ainsi que l'imaginaire poétique l'emporte sur la quête historique. Aristote prend sa vengeance.

Héros : l’explorateur évite de reprendre la célèbre image de Jacques Cartier qui a illustré les paquets de cigarettes Player's au cours de tant de générations. «J’ai représenté ici un officier du 2e voyage, vêtu aux couleurs du roi de France, François 1er», nous informe Francœur. Il faut noter, encore une fois, la solitude qui enveloppait déjà le héros du régiment Carignan-Salière. Cette persistance de la solitude chez les héros de l'histoire québécoise est une problématique foncièrement nouvelle. Les illustrations traditionnelles nous les présentent toujours, accompagnés de leurs hommes ou en conversations avec des Indiens des tribus. Un explorateur seul, c'est un explorateur largué, comme Henry Hudson, abandonné en pleine mer avec son fils et quelques fidèles par ses équipages mutinés. Mais, même dans la perdition de l'équipage de l'amiral John Franklin, les explorateurs ne sont jamais seuls. Francœur-Jérémie nous offre des héros livrés à eux-mêmes, aux regards perdus dans le lointain, non un lointain héroïque et lumineux, à la manière Mao Tsé-Toung, mais perdus dans des décors vastes, vides, bleuâtres comme l'est la couleur du drapeau québécois. Couleurs froides, regards égarés, hommes abandonnés. La confiance n'y règne plus. On attend toujours la venue du Sauveur de la nation qui tisserait à nouveau le lien entre les hommes : «ton histoire est une épopée» et non un cumul ennuyeux de légendes.

La langue du lys (ou d’Ulysse?) nous dit peut-être pourquoi le Sauveur se fait tant attendre? C'est une allégorie qui, reconnaissons-le, donne un peu la chair de poule. Nous ne sommes pas loin de la scène gore avec le lys enfoncé dans la bouche, ce qui donne peu envie d’apprendre cette langue française si mal aimée. Une autre allégorie dans Devoir de mémoire, présente le harfang des neiges et illustre une phrase du poète Gaston Miron. «Nous ne serons jamais plus des hommes si nos yeux se vident de leur mémoire». Comme tous les héros de la même galerie, «l’animal possède naturellement un regard intense et une stature très noble. Il s’agit de plus d’un chasseur hors pair et d’un redoutable prédateur!». Bref, tout ce que ne sont pas les Québécois, mais tout ce dont ils rêveraient d’être! En fait le plumage du harfang renvoie à la couleur blanche du lys enfoncé dans la bouche de l'allégorie, la langue se muant en bec et les yeux révulsés de la première se métamorphosant en regard d'acier du prédateur. Comme le bélier en rut se cachait sous la toison de l'agnelet de jadis, l'évocation de l'«esprit» enfoui dans les profondeurs symboliques du corps québécois se réalise sous la forme d'une métamorphose tirée du bestiaire qui en appelle aux grandes dates du passé, ce qu'illustre le dernier tableau, Je me souviens. Deux avant-bras musclés dressés, poings serrés, aux dates tatouées dans la chair : 1534, 1759, 1774, 1791, 1837, 1840, 1867, 1948, 1960, 1970, 1980, 1995… À vous de vérifier si vous connaissez les événements associés à ces dates.


Une fois cette galerie épluchée, que retenons-nous du lieu où ont abouti nos héros d'antan? Ne nous méprenons pas sur la démarche de M. Francœur-Jérémie. Elle ne s’inscrit plus dans «Ton Histoire est une épopée», mais bien dans l’inventaire des «Légendes canadiennes». En ce sens, la «conscience malheureuse» de la conscience historique post-moderne québécoise, c'est qu'elle véhicule une conscience historique CANADIENNE, pour ne pas dire, CANADIAN, comme le persiflait Michel Brunet, sous la fiction d'une conscience historique québécoise. D'autre part, et ce n'est pas pour aider, le merveilleux l’emporte sur l’historique. Beaucoup de nationalistes ne comprennent pas qu'on ne puisse être Guy Frégault et Fred Pellerin à la fois. Passe pour l'idéologie nationaliste de M. Francœur; pour ses symboles puisés davantage dans la littérature des effets spéciaux cinématographiques ou de la bande dessinée, du New Age même. Mais plutôt que d'enlever, cela ajoute à cette structure de présentation qui convient mieux à la conscience historique des Canadiens anglais que celle héritée de la tradition historiographique des Canadiens français ou des Québécois. Nous sautons d’une légende à l’autre, du 37-38 à la Nouvelle-France et de la Nouvelle-France nous revenons à des allégories des feux de la Saint-Jean, du Caribou et autres figures emblématiques. Dans la mesure où le récit du passé raconte des événements tenus pour «véridiques» et qui ont, pour cette raison, une importance soit traumatisante, soit normative, nous ne pouvons ni les traduire, ni les associer par des emblèmes ou symboles sinon que ceux produits par la littérature d'imagination ou par la propagande des institutions et qui sont historiques eux-mêmes! Dans cette conscience malheureuse, tout est confondu. On y perd et le sens du réel, et le sens de l'unité historique de la nationalité québécoise, au point que même l'artiste se sent obligé d'expliquer sa propre iconologie!

Côté artistique, le genre est entièrement post-moderne. Il confond archaïsme et futurisme, mêle des figures tirées ici et là, de la Walkyrie aux boucs de Goya, de la peinture symboliste de William Blake au décor du Seigneur des Anneaux de Tolkien. Il est trop tôt pour savoir s’il y aura une postérité à ce genre d’expression de la conscience historique. Sans doute, dans des jeux vidéo, dans des bandes dessinées léchées, dans des ouvrages de fantaisie, il est possible d’utiliser tout cela, mais sûrement pas pour «raconter» l’Histoire, mais bien se raconter des histoires.

Car la tâche, précisément, est de raconter une histoire et non de l’illustrer de tableaux épiques ou fantasmagoriques. Il s’agit d’avoir une trame poétique, des symboles qui lient le monde du réel à l’affectivité des membres d’une collectivité, des normes, des idéaux qui ne sont pas que des visées supralunaires de courage, de vertu, de triomphe et de gloire, mais des visées infralunaires de combats quotidiens, de compétitions et de compassions journalières; des efforts sans fins pour des réussites qui apparaissent souvent vaines et, continuer malgré tout. Il n’y a rien qui ressort de tout ça. Je ne plaiderai pas pour ce que M. Francœur appelle «l’histoire socio-constructiviste» - je ne sais pas ce que c’est, objectivement -, mais je plaiderai toujours pour une historiographie critique où l’acte pédagogique consiste à investir des affects positifs et négatifs bien partagés, des normes et des valeurs qui ne se centrent pas sur le narcissisme (même celui des petites nations), le nihilisme (d’un futur sans lendemain) ni l’hédonisme d’une histoire-spectacle, d'une histoire-exotique qui tue la conscience plutôt que de la revivifier⌛
Montréal
29 décembre 2012

7 commentaires:

  1. Darth Vader est bien le nom du célèbre personnage de la Guerre des étoiles... pas Dark Vador !

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  2. En effet, je vous remercie infiniment de me corriger sur cette erreur impardonnable que je rectifie à l'instant.

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  3. Bonjour monsieur Coupal,

    Je m'appelle Nicolas Francoeur, je suis la personne derrière le projet Cartier Général. Merci pour ce texte : c'est la première fois qu'on prend autant le temps d'analyser mes travaux et la lecture était fort intéressante.

    J'aimerais toutefois éclaircir quelques points pour vous :

    1) En premier lieu merci de noter les fautes d'orthographes. Je suis le premier à râler quand j'en vois et j'essaie au maximum de les éviter. Dans l'ensemble je ne crois pas que cela laisse à désirer de manière catastrophique mais bon, il y a évidemment place à l'amélioration.

    2) Sur le fameux ''socio-constructivisme'' qui vous a fait tiquer. Dans ce texte de présentation, je veux surtout exprimer qu'il est plus facile de s'intéresser à l'Histoire lorsqu'il s'agit d'un récit, d'une trame narrative, s'approchant plus par là d'un film ou d'un roman. Ce terme de socio-constructivisme est là pour évoquer dans l'esprit des gens un certain type d'enseignement de l'histoire.

    3) Mon site est effectivement non partisan bien qu'il aborde des sujets politiques. Évidemment, j'ai en tant qu'auteur/illustrateur des opinions politiques et je ne suis pas naïf au point de croire que cela n'influencera pas mes images. Toutefois, j'ai voulu articuler mon site autour de l'idée qu'un nationaliste non-indépendantiste puisse tout de même l'apprécier; je crois sincèrement que c'est le cas.

    4) Pour le Vieux de 37 et le remarque sur le paysan : J'ai trouvé votre commentaire pertinent, j'ai d'ailleurs corrigé un peu le texte.

    5) Sur Léo Major : Vous pourrez constater dans ce billet : http://cartiergeneral.com/2012/10/16/chuck-norris-cest-de-la-petite-biere/ qu'effectivement, Léo Major pouvait ressembler à un pirate avec son cache-oeil. Le look Rambo est bien évidemment volontaire.

    6) Sur Alexis Trotteur : vous dites : ''Évidemment, c’est le retour du vieux modèle du Québécois héroïque : fort ou agile, toujours simplet'' Honnêtement ce n'est pas du tout la vision que j'ai des héros québécois, et ce n'est pas ce qui ressort de mes divers textes. Au contraire, je tente de montrer qu'ils étaient futés, rusés, intelligents et loin d'être simplets. Par contre pour cette légende précise je ne peux faire abstraction de l'histoire.

    7) Sur Madeleine : L'image ne sort pas véritablement du récit épique traditionnel. Au contraire, j'ai voulu, par le texte et l'image, montrer qu'il y avait une part de fantasmagorie dans le récit. Je sais bien que des historiens comme Trudel ont voulu démystifier son histoire et c'est à ça que je faisais référence.

    8) La mère des batailles : Je ne me suis pas inspiré de la Marseillaise de Rude bien que je puisse comprendre que vous y référiez. En fait, mon inspiration principale est venue, à la base, de la peinture ''La Pucelle'' de Frank Craig qui porte évidemment sur Jeanne d'Arc.

    9) Quelques arpents de neige : Bien que je comprenne l'association que vous faites avec le projet indépendantiste, je visais plus loin avec cette image : C'est le Québec en entier, tous projets politiques confondus, qui se cherche. Autant les fédéralistes que les indépendantistes sont en manque de réels leaders. Lorsque j'ai débuté l'image la fameuse phrase de Legault sur les Caribous n'étaient pas encore sortie.

    10) Radisson : Effectivement Radisson est un héros particulier dont les allégeances ont changées. C'est un sujet que je désire aborder sur mon blog pour en expliquer le contexte. Cela n'enlève rien toutefois au caractère fort et à l'aventure plus grande que nature de Radisson.

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  4. (suite du commentaire)

    11) Le coureur des bois : La pose non chalante est là justement pour évoquer efficacement une allure je-m'en-foutiste-, insouciante presque, envers les autorités. Pour le folklorique, je n'ai pas voulu le remiser aux oubliettes comme vous semblez l'affirmer. J'ai simplement voulu corriger la vision que tous ont de cette figure marquante de notre histoire.

    12) L'explorateur : À plusieurs reprises vous me reprochez de faire mes héros en solitaires et vous y voyez un message. Il s'agit toutefois d'un simple choix strictement graphique : créer une illustration avec plusieurs personnages est particulièrement long. Pour ma série sur les héros, j'ai donc voulu me limiter à un seul personnage à chaque fois.

    13) Sur le Harfang vous dites : «l’animal possède naturellement un regard intense et une stature très noble. Il s’agit de plus d’un chasseur hors pair et d’un redoutable prédateur!». Bref, tout ce que ne sont pas les Québécois, mais tout ce dont ils rêveraient d’être!
    C'est tout le contraire que j'affirme dans mon site : les Québécois l'ont prouvé dans leur histoire, ils ont de la gueule, ils savent être fonceurs, déterminés, voir ''prédateurs'' quand il le faut, bref il n'ont rien à envier à personne.

    Mon projet s'inspire évidemment beaucoup des médias modernes. Je travaille moi-même dans l'industrie du jeu vidéo et j'emprunte beaucoup de ses codes graphiques. C'est un choix bien volontaire et totalement assumé. Le but de mon projet est d'intéresser les gens (surtout les jeunes) à l'histoire en passant par des images fortes et évocatrices. Je ''romantise'' les images pour susciter un intérêt. J'aurais pu faire des illustrations plus pédagogiques, à la Francis Back (que j'apprécie beaucoup), mais l'impact aurait été immensément moins grand. Le but est de piquer la curiosité pour qu'ensuite l'individu puisse lire un peu sur le sujet et en avoir appris un peu sur son histoire et ses héros.
    Les images sont évidemment arrangées pour mettre nos héros sur leur côté le plus épique possible. L'éclairage est arrangé, le cadre est bien choisi, etc. Mais est-ce que cela en fait des images fausses pour autant? Je ne le crois pas. J'essaie le plus possible de lire sur chaque sujet que j'aborde pour éviter de raconter des choses qui seraient historiquement fausses. Si vous croyez que certains des mes textes colportent des faussetés, je vous serai reconnaissant de me le faire savoir.

    Que vous soyez en désaccord avec le récit, ou du moins la ''trame narrative'' que j'appose sur ces faits historiques, je veux bien. Mais sincèrement, je ne crois pas raconter des faits qui ne soient pas véridiques.

    Évidemment c'est un peu le bordel et le fouillis... je suis seul sur le projet et je fais ça dans mes temps libres, il m'arrive donc de sauter d'un thème à l'autre selon mes lectures du moment. C'est aussi question de ne pas blaser le lecteur/spectateur. J'ai décidé de raconter notre histoire sous une forme de courtes nouvelles, ou d’anecdotes, pour 2 raisons principales : une question de réalisme sur le temps qui est à ma disposition et une question d'intérêt du lecteur. Vu les réponses que je reçois, mes ''visions supralunaires'' semblent quand même intéresser les gens (et pas juste des ''indépendantistes lyriques falardistes'').


    Cordialement,

    Nicolas Francoeur

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  5. Cher monsieur Francœur.

    Il est fort appréciable que vous ajoutiez votre commentaire, même en plusieurs parties, à la suite de mon texte. Il est clair, positif et mérite d'être lu par ceux qui liraient ce message. Même si cela prend plusieurs encadrés (mode Blogspot oblige), tous ont entièrement le droit à la parole, à répliquer ou même à dénoncer ce que j'écris. Je ne censure pas les gens qui me critiquent, sauf lorsqu'ils tombent dans la vulgarité grossière. Ce qui n'est pas votre cas.

    1) Je fais également de nombreuses fautes quand j'écris, c'est donc difficile à dompter, même après 50 ans. Ce qu'il faut comprendre, en effet, c'est qu'il y aura toujours place à l'amélioration.

    2) Le problème avec le «socio-constructivisme» dont vous parlez, est le risque de tomber dans la propagande, et propagande et vérité s'excluent mutuellement, même si l'on peut se servir de la vérité comme outil de propagande, elle cache toujours des intérêts qui ne sont pas nécessairement ceux de la vérité. En histoire, le tégument est mince entre la fiction et le réel, et si des gens ne sont pas capables de distinguer des acteurs de leurs personnages, ou les publicités des bulletins d'informations, vous voyez combien il est facile de se laisser prendre à des transferts de l'auteur à ses lecteurs plus que le simple désir de l'instruire ou de susciter son intérêt. C'est un risque dont vous devez être conscient.

    3) Vous ne pouvez pas, sans contradiction assumée, dire dans un même paragraphe que votre site est non partisan tout en affirmant y défendre des options politiques. De toutes façons, des opinions, des aspirations, des idéologies vous en aurez, quoi que vous prétendiez d'une pseudo neutralité. Il y a une différence entre être nationalitaire (revendiquer et valoriser l'appartenance à un groupe humain spécifique) et nationaliste (militer en promouvant la nationalité comme l'alpha et l'oméga de tout et de rien). En ce sens, la problématique actuelle est bien «comment peut-on être nationaliste, aujourd'hui». En 1970 c'était clair. Maintenant, c'est on ne peut plus confus. Vous nagez à contre-courant alors que vos prédécesseurs suivaient le fil de l'onde, ce qui était plus facile. En ce sens, vous évitez l'extrémisme ou le fanatisme, et je ne peux que vous en féliciter.

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  6. 6) Les hommes forts sont les héros québécois, avant que le Hockey ne devienne la religion de la Sainte-Flanelle, vous le verrez assez bien avec le film sur Louis Cyr qui va sortir bientôt. Courir le plus vite (comme avec des bottes de sept-lieues), être capable de lever des poids, de tirer des autobus avec ses cheveux (comme le gros Antonio, qui a fini misérablement sur les bancs de trottoirs au coin des rues Saint-Denis et Mont-Royal à vendre ses photos du temps de ses beaux jours), être le plus fort (Louis Cyr) le plus grand (le Géant Beaupré, dont la dépouille embaumée a séjourné 3 ans dans un entrepôt avant d'être exposée pendant des années à l'Université de Montréal, comme une attraction morbide), le «rocket» Maurice Richard, les lutteurs Johnny et Jacques Rougeau, etc. C'est un «archétype» plus symbolique que réel. Ce type de héros est bien particulier et distinct des autres auxquels vous faites référence. Ce sont des «compensations» culturelles pour un peuple longtemps colonisé, incertain de son identité, déchiré entre plusieurs aspirations contradictoires. Bref, incapable de surmonter son défi historique et qui choisit l'ambivalence plutôt que l'affirmation. Or ces héros sont des substituts collectifs fantasmatiques, d'où que la plupart sont demeurés pauvres malgré les fortunes qu'ils ont drainé vers leurs sponsors. Notons que, pour la grande satisfaction du clergé catholique qui préférait des Québécois croyants aux Québécois savants, le modèle d'anti-intellectualisme primaire, qui domine toujours notre société, faisait de ces héros de substitution des êtres sans malices ni menaces.

    8) Vieux symbole indo-européen, la mère des batailles - l'imago de la mauvaise mère - c'est la déesse Kali dans la mythologie indienne. Elle n'a vraiment rien à voir avec Jeanne d'Arc ou Madeleine de Verchères. Longtemps, elle a envahi l'image de la mère québécoise qui jouait à la fois le rôle maternel et le rôle paternel, ce qui en a fait une mère castatrice. Celle des Américains est encore plus castratrice au possible! (voir l'histoire d'Hanna Duston (http://en.wikipedia.org/wiki/Hannah_Duston.

    10) Radisson a fait l'objet d'une bande dessinée assez bien documentée. En effet, le contexte explique fort justement ses revirements d'allégeance. Mais il n'est pas le modèle des explorateurs. C'est plutôt l'exception. Maître de son aventure, la plupart des autres sont restés des pilotes, des guides, des truchements, prématurément disparus : Jean Nicolet noyé, Étienne Brûlé tué, La Salle assassiné, l'échec des La Vérendrye, etc.

    11) James Dean n'aurait pas pu être coureur des bois. Celui-ci est moins en opposition avec l'autorité qu'il est au service de compagnies, dont certaines étaient financées par les subsides mêmes du gouverneur, voire des Jésuites. Le coureur des bois est un fournisseur, bon commerçant, homme d'affaires avertis entre le prix qu'il paie ses fourrures et ce qu'il en demande à ses clients. S'il apparaît un aventurier, c'est à cause de nos préjugés sédentaires qui en font un exploiteur d'Indiens et un fournisseur intraitable. Pour l'époque, c'était un matérialiste douteux, un type sans foi ni patrie, aux mœurs de sauvages. Les Jésuites ont ainsi excusé la mort d'Étienne Brûlé, tué et mangé par les Indiens.

    12) Je comprends les limites techniques qui vous oblige à limiter la production des personnages. Son malheur est qu'il implante dans l'esprit des lecteurs le mythe que l'histoire est le produit de quelques personnalités exceptionnelles - c'était déjà ça dans les années 50 avec la collection de Guy Laviolette «Gloires Nationales» -, alors que ce ces héros ne sont que les produits d'une époque, d'un contexte social qu'il ne faut pas négliger. Le risque demeure le paradoxe de restituer à un peuple son histoire tout en l'en dépossédant.

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  7. 13) Les Québécois, des prédateurs? Peut-être pour eux-mêmes, mais sûrement pas pour les autres. Alors que les Anglo-Saxons ont exterminé quantité de tribus indiennes; les Français n'en ont exterminé qu'une seule, les Renards, à cause de la violence de leurs attaques. Nous n'avons rien en commun, au niveau éthologique, avec cette espèce d'oiseau (le harfang des neiges). Il est vrai que durant la Première Guerre mondiale, les Allemands avaient une frousse du diable lorsque les Canadiens montaient à l'assaut d'Ypres ou de Paschendaele, parce qu'ils se barbouillaient la figure comme des Indiens et s'élançaient en lançant des cris de guerre. Hors de cet état d'exception, les Québécois sont essentiellement masochistes, motivés par une haine de soi issue de la honte d'avoir été colonisés par plus puissants qu'eux après qu'ils aient réussi à pacifier et à dominer les autochtones du Saint-Laurent. Cela leur donne aujourd'hui une très grande capacité d'empathie sans pour autant en faire des modèles de courage devant les options décisives.

    Mon but n'est pas de condamner ni de vous démoraliser, bien au contraire. La poésie épique est une chose, l'histoire en est une autre. Si vous cultivez le culte des héros, comme dans les années 50, vous extrayez vos personnages du vécu accessible au commun des mortels. Même si, comme Homère ou Virgile, vous racontez des choses vraies, l'important résidera toujours dans la forme. Quel que soit le choix que vous prendrez, il sera légitime. Moi, j'ai été attiré par l'histoire non par l'exactitude des faits mais par la charge symbolique émotive, un peu comme vous l'êtes par l'histoire de Léo Major. Plus que des portraits, ce sont des moments alors qu'il faut saisir : à l'époque c'était Cartier plantant sa croix, Dollard au Long-Sault, Iberville et le Pélican, Frontenac et son canon, Montcalm blessé à mort sur son cheval, Salaberry sur son tronc d'arbre, etc. Comme pour la guerre de Troie, c'est le mouvement qui saisit l'Imaginaire, qui donne l'impression que l'histoire se fait, plus que des portraits statiques. À ce compte-là, l'exactitude, le côté véridique est moins important, l'épopée confine à la mythologie plus qu'à l'histoire. Pour le moment, il me semble que c'est ce qui vous motive.

    À l'impossible, nul n'est tenu. Vous avez beaucoup de courage et de détermination, et je salue encore votre effort, malgré les critiques qui, comme le titre le disait, s'adressaient moins à vos ouvrages qu'à une question sur ce que sera la conscience historique à l'âge de la post-modernité. Votre travail en est un exemple. Devant le flot migratoire et l'ouverture sur l'histoire universelle, que restera-t-il de l'histoire du Québec dans une génération ou deux?

    Je sonde évidemment ce qui se fait, dans le contexte technologique vers lequel tend notre monde. Que ce soit votre passe-temps en même temps qu'une mission que vous vous donnez, c'est plus qu'honorable. Continuez donc votre travail sur votre site, en souhaitant qu'il attirera autant de jeunes personnes comme il semble déjà, selon vos dires, en attirer. Nous ne pourrons tous qu'en bénéficier.

    Jean-Paul Coupal

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