dimanche 14 avril 2013

Archéologie de la contre-culture québécoise

Claude Péloquin, murale de Jordi Bonet au Grand Théâtre de Québec

ARCHÉOLOGIE DE LA CONTRE-CULTURE QUÉBÉCOISE

Depuis que mes années d’université sont passées, je ne cours plus les conférences intellectuelles. Si, ce jeudi soir du 11 avril 2013, je me suis rendu à celle organisée par la librairie Olivieri pour la sortie du numéro de la revue Liberté, c’était plus par un heureux hasard que par l’objectif d’y assister. J’ai d’ailleurs manqué les premières minutes de cette conférence portant sur le phénomène de la contre-culture québécoise dans les années 1960-1970. Une vingtaine d’auditeurs assistaient à la table de discussion animée par Olivier Kermeid. On y retrouvait trois collaborateurs à ce numéro, Catherine Lalonde, Jonathan Lamy et Jean-Philippe Warren.

Le placard d’invitation était formulé ainsi :
    Il est de bon ton de se moquer de la contre-culture aujourd’hui. Les communes, l’amour libre, le LSD et le patchouli, comme tous les clichés, sont en effet souvent risibles. Mais l’héritage de la contre-culture se limite-t-il bien à ces bêtises ?

    Le Québec moderne doit beaucoup, comme on le sait, à la Révolution tranquille, et bon nombre de figures de la contre-culture se sont permis de rappeler le point de départ politique, réformateur et rebelle de cette révolution dont les acteurs sont devenus, au fil du temps, trop dociles. Et si la contre-culture avait servi, entre autres, à pointer du doigt le début de l’endormissement des révolutionnaires tranquilles? Leur lente mais sûre institutionnalisation?

    Avec cette causerie nous désirons prolonger la réflexion aborder dans le dernier numéro de Liberté et nous nourrir d’une question essentielle: que s’est-il passé au juste pendant cette période qui, au-delà des jugements esthétiques ou éthiques, fut marquante pour l’art au Québec? Cette contre-culture existe-t-elle encore? A-t-elle été récupérée par l’industrie culturelle (ses détracteurs diraient qu’elle en a toujours fait partie)? A-t-elle disparu des radars? A-t-elle des héritiers, si oui, lesquels?
En fait, ce placard est passablement «caricatural» en lui-même. Qualifier de bêtises les stéréotypes des communes, de l’amour libre, du LSD et du patchouli, donne, tout en s’en défendant, une image quelque peu équivoque de ce que l’on entend parler. Autre élément dissonant : l’opposition entre la «bonne» Révolution tranquille (soudainement mise au pluriel) et la «mauvaise» contre-culture qui serait «le début de l’endormissement des révolutionnaires tranquilles; leur lente mais sûre institutionnalisation». Cette vision manichéenne est simpliste en soi tant la contre-culture a participé de la Révolution tranquille et que sans la Révolution tranquille, l'explosion de la contre-culture n'aurait pas été possible, comme le démontre l'échec de Refus global en 1948. Cette hypothèse de l'endormissement fait écho aux critiques des communistes de l’époque, mais dans les faits, l'endormissement révolutionnaire est venu de ceux-là mêmes qui se faisaient les défenseurs du prolétariat et les encaisseurs de l'État, comme le montrent, encore une fois, le scandale de l'îlot Voyageur, l'éloge de la richesse de «l'économiste» de La Presse et la rigidité centraliste démocratique qui a été celle du Bloc Québécois pendant 20 ans. Après avoir étalé les jugements pré-conçus, le placard nous invite donc à nous interroger sur ces années de contre-culture québécoise. Que s’est-il passé au juste qui déborderait les limites du jugement esthétique et éthique? La contre-culture a-t-elle été récupérée? Est-elle disparue des radars? A-t-elle des héritiers et si oui, lesquels, ce à quoi on associe une caricature de l’Anarchopanda!

Ayant manqué le début de la causerie, je suis arrivé au moment où les intervenants discutait d’une manière assez souple sur la contre-culture avec ses icônes : Denis Vanier, Josée Yvon; même Michel Tremblay y est passé. Ma première question en moi-même était «de quoi parlent-ils?» Et j’ai eu un moment de doutes lorsqu’un assistant leur a demandé d’où venait ce terme de contre-culture? Personne à la tablée ne pouvait y répondre et postulait, sur le mode de pensée analogique, à  l’origine anglaise de l’expression Quiet Revolution, qui, «traduit», nous a donné cette périodisation de l'histoire du Québec. J’étais un peu gêné, en tant qu’historien, de voir des gens qui discutent de la contre-culture, des intellectuels visiblement intelligents et passionnés par leur objet, ne s’être jamais posé la question de l'origine de l'expression.

Comme je suis paresseux, alors j’ai consulté Wiki afin de m’informer. Le terme (parfois écrit en un seul mot, contreculture - ce qui laisse supposer qu’il aurait pu être d'origine allemande -, provenait du sociologue Theodore Roszak (1933-2011), professeur d’histoire à l’Université de Californie, plus connu pour ses romans d’anticipations et quelques essais. Le mot, il l’aurait inventé en 1968 pour son essai Vers une contre-culture (The making of Counter Culture), de même qu’il inventa la notion d'écopsychologie en 1995. Pour Roszak, la contre-culture serait un «phénomène structuré, visible, significatif et persistant dans le temps».  Reste le plus difficile à faire : définir le phénomène. Pour Roszak, il lui arriva un malheur identique à celui de Christophe Colomb.  Le terme contraculture se retrouvait déjà en 1960, sous la plume de John Milton Yinger, dans un article de l'American Sociological Review, éditée par l'association américaine de sociologie. Yinger publiera en 1982 Countercultures: The Promise and Peril of a World Turned Upside Down, d’où que c’est à lui que certains attribuent la paternité du terme. Cela, aucun des participants ne le savait, ce qui faisait preuve d’un manque de méthode rudimentaire. Définir les mots, en faire l’étymologie et l’historique avant de les utiliser, c’est ce que le bonhomme Lucien Febvre enseignait à ses élèves.

Ne nous fâchons toutefois pas trop contre nos jeunes intellectuels. Wiki n’en dira pas plus long. Il associera la contre-culture à la façon dont Heidegger utilisait le concept de zeitgeist (esprit du temps, une mode), des expressions de l’éthos, des aspirations (idéologiques), des rêves (psychiques) d’une population spécifique (essentiellement la jeunesse) au cours d’une période donnée (ici les sixties et seventies). Enfin le paragraphe qui en appelle aux cultural studies, ramène au ton même du placard de présentation : «une contre-culture est une sous-culture partagée par un groupe d’individus se distinguant par une opposition consciente et délibérée à la culture dominante». Ma foi, c’est ce que j’attendais comme définition du phénomène. C’est bref, empirique, stricte, vidé de sens et de contenu. Mais c’est un outil délibérément pratique pour l’historien.

La seconde remarque qui me laissa songeur fut lorsque nos mêmes conférenciers convinrent qu’il n’y avait pas d'essais d’analyse et de synthèse de ce que fut la contre-culture au Québec dans ces années 60 et 70. Bref, le sujet est tellement vaste et tellement «éclaté» à la fois, qu’il apparaît difficile, audacieux ou prétentieux à un chercheur unique d’en saisir toute la portée. Pourtant, depuis le XIXe siècle, d’autres contre-cultures sont apparues ici et là, partout en Occident, qui autrement plus complexes, ont eu leurs chercheurs capables de donner d’excellentes synthèses. Le mouvement impressionniste en peinture, rejeté par l’académisme dominant, trouva en Napoléon III un protecteur qui leur permit un Salon des refusés, en 1863, où Manet exposa son fameux Déjeuner sur l’herbe. Dada et le Surréalisme relèvent de la contre-culture si l’on pense à l’académisme bourgeois (Barrès, France, Bourget) comme à la tradition réactionnaire (Claudel, Daudet, Maurras) de l'époque. Le Fascisme, par la définition que lui concoctèrent le Duce et son philosophe, Gentile, passait pour une contre-culture dont on connaît les effets politiques pervers et subversif. Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale ont ainsi multiplié les groupes marginaux dans les années 1950, en Amérique plus qu’en Europe, encore trop ébranlée par la reconstruction. Mais le Plan Marshall, qui imposait la consommation des produits culturels américains, en particulier les films hollywoodiens, allait offrir l'opportunité de lancer plusieurs contre-cultures nationales. C’est contre cet «impérialisme culturel», importé, imposé, que des mouvements nationaux, puis proprement contre-culturels se développeront au tournant des années 60 dont le cinéma de la Nouvelle Vague française, avec Truffaut, Rohmer, Varda, Eustache, Rivette, Chabrol et, bien entendu, Godard, allait être la réponse. Il apparaît possible, avec les documents que nous avons, de se lancer dans une première étude historique et analytique de la contre-culture québécoise. J’ai même sous les yeux, le livre de Steven Jezo-Vannier, San Francisco L’utopie libertaire des sixties, publié aux éditions Le mot et le reste, en 2010, sur la contre-culture américaine.

Le phénomène de la contre-culture des sixties couvre sans doute toute la civilisation occidentale, mais chaque nation, chaque localité y apporte sa spécificité. Les influences sont grandes d’une contre-culture à l’autre, et cela tient à son éclatement et au fait qu’elle est bien une culture relevant d’une minorité créatrice. La Nouvelle Vague du cinéma français s’oppose moins à la tradition cinématographique française qu’à l’avalanche de films américains des années cinquante. En ce sens, elle joue un rôle identique à celui du Néo-Réalisme italien, qui, après la déroute du fascisme et après la guerre, a établi son nid dans la Cinecitta. Rosselini, Visconti, de Sica vont non seulement aborder des thèmes condamnés par la morale bourgeoise italienne, mais des thèmes franchement contre-culturels. Chez Pasolini surtout, avec Teorema (1968) qui sera diffusé par la contre-culture du monde entier. On peut dire que son film posthume, Saló ou Les 120 journées de Sodome (1975), marque, dans l’esprit du cinéaste italien, le triomphe de l’establishment sur la contre-culture, où le sexe et la joie de vivre inspiraient ses dernières œuvres cinématographiques avant de sombrer dans l'univers morbide du marquis de Sade et de la république sociale des fascistes nazifiés. De même, ce n’est pas sans raison que Antonioni ait été tourner son film le plus contre-culturel, Zabriskie Point (1970), aux États-Unis. L’explosion finale de la maison en plein désert où se sont réfugiés les riches après la mort du jeune rebelle qui a tué un policier, apparaît clairement comme une prophétie cataclysmique des valeurs du régime établi en Europe par l’«occupation» américaine.

Les Britanniques ont réagi de même. La décennie 1960 a été vécue comme une véritable révolution culturelle : au cinéma, en littérature, en arts et à la télévision. Si le phénomène des Beatles peut apparaître à prime abord une culture du fond de tavernes de Liverpool, les jeunes aux cheveux longs ont quand même bonne mine et ne se révèlent pas des opposants politiques dangereux dans cette ère de Guerre Froide. Ce ne sont pas les Beatles qui vont lancer la vague contre-culturelle, pas même les Rolling Stones. C’est la contre-culture américaine, l’underground, qui bientôt va les entraîner, sous la direction de John Lennon, vers des chemins inspirés ailleurs, dans les Indes ou au Népal. Qu’un cinéaste américain comme Stanley Kubrick ait trouvé en Angleterre des auteurs comme Anthony Burgess et Arthur C. Clarke pour l'inspirer, n'est pas un hasard. Pour lui, il y avait là, en Angleterre, une antithèse à la société américaine comme Henry James en avait trouvé une au début du XXe siècle.

Performance avec lièvre mort
L’Allemagne aussi fut un foyer contre-culturel, mais sa défaite de 1945 et sa division la plaçant au cœur de la Guerre Froide, cette contre-culture attendit le mouvement étudiant des années 1960 pour apparaître autre chose que des créateurs isolés, à l’exemple de Joseph Beuys (1921-1986), sans véritables liens entre eux. C’est au cours des années 1970 que l’Allemagne vécut, avec un certain retard, une vague contre-culturelle assez forte dont Peter Fleischmann avec Scène de chasse en Bavière (1970), et R. W. Fassbinder au cinéma, apporteront un équivalent au Néo-Réalisme italien.

Ces rapides survols de la contre-culture européenne n’avaient pour but que de montrer la spécificité nationale de chacune d’entre elles. Anti-américaine dans l'ensemble, parfois tentée par la mobilisation communiste ou ouvriériste, les questions sociales sont généralement au cœur de ses thèmes et de ses problématiques partout en Europe. L’Angleterre, qui a vécu de façon un peu moins tragique les effets de la Seconde Guerre mondiale, s’est reprise en se mettant en garde contre l’influence américaine en investissant dans une culture anglo-saxonne propre, radicale, avec des cinéastes comme Lindsay Anderson et plus tard, Stephen Frears. À l’opposé d’une littérature cinématographique commerciale ou kitsch des James Bond, on peut trouver Georgy Girl (1966) de Silvio Narizzano, mais surtout les extravagants films de Ken Russell dont La symphonie pathétique, inspirée librement de la vie et de l'œuvre de Tchaïkovski et Women in love, d'après le roman de D. H. Lawrence, restent ses meilleurs. L’essentiel pour la Nouvelle Vague britannique, encore plus que pour son équivalent français, c’est de se distinguer des productions américaines, non seulement commerciales, mais parmi ce qui peut se produire de mieux dans le cinéma des États-Unis.

Car, pour les Britanniques, la contre-culture devait s'imposer contre le monopole américain, y compris en matière d'art underground. L'effort était double, à la fois linguistique et culturel. Déjà la culture des fifties était nettement marquée par une littérature, des arts plastiques, un cinéma nettement en guerre avec la tradition littéraire et académique. Si San Francisco, comme le dit Steven Jezo-Vannier, marque le point de repère de l’utopie libertaire des sixties, la contre-culture des fifties était essentiellement itinérante. Elle commença avec les beatniks aux blousons de cuir, dont Marlon Brando a rendu la tenue iconologique. C’est après avoir observé la décennie des années 50 que Yinger a sorti pour la première fois l’expression, définissant par la négative, un mouvement qui se voulait une «renaissance» des thèmes moraux et artistiques américains les plus ancrés dans l’histoire. «Ils furent les premiers à protester contre ce qu’ils considéraient comme la fadeur, le conformisme et le manque d’objectifs sérieux sur les plans social et culturel de la vie que menait la classe moyenne américaine. Si une grande partie du pays participait joyeusement au vaste mouvement migratoire vers les banlieues, eux, en revanche, rejetaient ce nouveau style de vie, né de l’aisance, et s’inventaient un autre mode d’existence, ils étaient les pionniers de ce que l’on allait bientôt appeler la contre-culture. Si bien des jeunes gens de leur génération avaient envie de se marier, d’avoir des enfants, de posséder automobiles et maisons, de fréquenter des voisins au même train de vie que le leur, ces jeunes gens considéraient la banlieue comme une vraie prison. Ils ne voulaient pas d’un avenir avec retraite garantie, mais recherchaient avant tout la liberté - celle de faire sa valise pour partir sur-le-champ à l’autre bout du pays, s’ils le désiraient. Ils se voyaient comme des poètes dans un pays de philistins, comme des hommes et des femmes à la recherche d’un destin spirituel et non matériel». Ce paragraphe de David Halberstam (Les Fifties, Paris, Seuil, 1995, p. 214), définit très bien le concept et l’esprit de la contre-culture qui nous concerne, y compris au Québec.

Réaction esthétique à la fadeur et au conformisme de la culture américaine corsetée par l’anti-communisme du sénateur McCarthy. Un film comme Rebel without a cause (1955), où l’on voit le jeune James Dean en révolte confronter un père (joué par Jim Backus, Thurston Howell III dans Gilligan’s Island) portant un tablier, penché à quatre pattes, ramassant le plateau et l'assiette jetés sur le tapis, traduit cette réaction devant des Américains «émasculés» par la vie de banlieue et dont les fils se débattent à mort contre des mères qui les étouffent avec le verre de lait et la jarre à biscuits. La lutte à cette dévirilisation de l’Américain en devenir appelait non à une consommation plus grande, plus féroce, mais à un retour aux origines de l’Amérique : la vie simple, la transhumance, la lutte pour se faire une place au soleil, dans la nature plus que dans les villes industrielles où le salariat aliène les corps et les esprits, la liberté sauvage des mœurs qui n'impose pas à une nuit une quelconque promesse de mariage. Lointain héritiers de la pensée de Emerson et de Thoreau, pour eux, contrairement à la contre-culture européenne qui aura toujours une façade politique mettant aux défis les régimes de De Gaulle, de Willy Brandt ou de Aldo Moro, les beatniks américains seraient intégralement réactionnaires, c’est-à-dire non ouverts sur un projet idéologique portant vers une utopie de société à créer, mais partisans d'un retour à la source de l'américanité contre une certaine trahison bourgeoise des valeurs profondes américaines : «Leur premier groupe [de Beatniks] s’était constitué à l’université de Columbia, à Manhattan. Les étudiants qui y réussissaient le mieux, ceux qui n’auraient aucun problème à faire partie de l’Ivy League, les considéraient comme des parias. Leurs manières de s’habiller, leurs comportements, leurs origines, chez eux, rien n’allait. En vérité, c’était un groupe d’amis assez improbable. Allen Ginsberg, a 17 ans, était un jeune homme du New Jersey timide et maladroit, mais enthousiaste, qui ne savait pas encore trop s’il devait prendre l’université au sérieux ou non. En décembre 1943, il fit la connaissance de Lucien Carr, venu récemment de l’université de Chicago. Carr écoutait du Brahms dans sa chambre; Ginsberg, qui était seul et s’ennuyait, frappa à la porte. “J’ai entendu de la musique”, dit-il. “Elle te plaît?” demanda Carr. “Je crois qu’il s’agit du quintette avec clarinette de Brahms”, répondit Ginsberg. “Tiens, tiens! Une oasis dans ce désert!” Carr ouvrit une bouteille de vin. Ginsberg était ébloui, y compris par la beauté de son hôte» (ibid. pp. 214-215). Rien là qui n’appelle aux caricatures évoquées par le placard de nos conférenciers. Carr était déjà tout entier dans Greenwich Village lorsqu'il présenta Ginsberg à William Burroughs qui tenait une position de «sage». Kerouac s’ajouta au groupe. Le but de celui-ci, comme des Futuristes italiens du début du siècle, était de vivre intensément, donc à l’opposé de l’univers concentrationnaire banlieusard qui s’installait progressivement dans l’Amérique triomphaliste.

De là le milieu antithétique qu’ils vont se forger. Comme l’écrit encore Halberstam : «Les beatniks, ou beats, pour leur donner le nom qui leur est resté, n’avaient de respect que pour ceux qui étaient différents, qui vivaient en dehors du système et en particulier en hors la loi. La vie criminelle les fascinait et ils croyaient que les hommes qui avaient connu la prison avaient fait l’expérience de la plus grande liberté par rapport au  système. Dans son livre [Go], Holmer décrit leur monde : “Des turnes minables d’arrière-cours, des cafétérias à Times Square, des boîtes à be-bop, des myriades de bars dans le coup, les rues elles-mêmes. Un monde habité par des gens accros aux drogues ou à d’autres habitudes, cherchant à s’enfoncer un peu plus dans leur folie; et reliés entre eux par les fils invisibles du manque, d’anciens menus délits, ou par l’étrange reconnaissance d’affinités. Ils avaient constamment la bougeotte, vivaient la nuit, se précipitaient  pour prendre un contact, puis disparaissaient soudain avalés par la prison ou la route, et réapparaissaient tout aussi brusquement, se cherchant les uns les autres. À leurs yeux, la vie était clandestine [underground], mystérieuse, et ils semblaient n’avoir conscience de rien d’autre en dehors des réalités des coups, des piaules où coucher, de s’éclater au jazz le plus frénétique et de continuer comme ça”» (ibid. pp. 218-219). On a là l’essentiel du modèle de vie opposé à la sécurité bourgeoise, qui faisait craindre à chaque père, à chaque mère de famille, que l’un des membres de sa progéniture se fasse beatnik. Avec le roman de Kerouac, On the road (1957), la mystique beat trouva son Jean de la Croix et sa montée du Carmel. Comme le dit le titre de l’étude sur le phénomène hippie par Michel Lancelot : Je veux regarder Dieu en face (Paris, Flammarion, Col. J’ai lu, #396, 1968), il y a beaucoup de ce souhait qui s'exhale dans l'ensemble de l'œuvre de Kerouac.

Une fois l’Amérique traversée à pied, en auto ou en train, c’est à San Francisco - Frisco - que la contre-culture américaine trouva son foyer. Tour à tour, ou en même temps, Beatniks, Diggers, Merry Pranksters, Hippies, Hell’s Angels y vinrent s’y établir. Ces groupes se voyaient accompagnés d’artistes de toutes sortes de qui sortirent les mots qui allaient faire le tour du monde : Don’t trust anybody over thirty de Jack Weinberg, leader du Free Speech Movement, qui indiquait clairement le «conflit des générations» qui fondait la contre-culture contre la culture bourgeoise dominante; Today is the first day of the rest of your life de Gregory Corso, auteur beatnik, qui fit du carpe diem le fondement de la morale de vie contre-culturelle; Can you pass the acid test? défiaient les Merry Pranksters à leurs postulants, ce qui montre combien la contre-culture exigeait des rites initiatiques apparentés à ceux des sociétés primitives; Power to the Imagination, All power to the people, inspirés probablement de l’imagination au pouvoir des soixante-huitards français et repris par le Berkely Liberation Program de 1969; de même Create your own reality, inspiré des écrits de Jane Roberts et qui traduit un certain existentialisme sartrien; Turn on, tune in and drop out, credo de Timothy Leary, le théoricien du LSD. Be here now, formule de Richard Alpert, alias Ram Dass. Si Frisco était le port  de la contre-culture, Haight-Ashbury en était le cœur, et est resté jusqu’à nos jours avec Greenwich Village à New York, les pôles d’attraction de la mémoire contre-culturelle américaine.

Avec la guerre du Vietnam et l’enlisement des troupes américaines dans la jungle indochinoise, la contre-culture trouva matière à déborder les paramètres éthiques et esthétiques pour se faire volontiers politique. Les hippies devinrent des yippies avec le manifeste de Jerry Rubin, Do it, auquel le Yes we can du candidat Obama apparaît comme un lointain rappel d’un demi-siècle perdu. Si, en France, l’Internationale Situationniste de Guy Debord dénonçait la société du spectacle, pour Rubin, la révolution, c’était le théâtre dans la rue:

Tu es le théâtre.
Tu es l’acteur.
Il n’y a pas de chiqué.
Pas de spectateur.

Julian Beck et le Living Theatre
À l’heure où le théâtre délaissait la scène à l’italienne pour devenir le happening, où l’impro-visation non encadrée, non réglementée à la différence de nos actuelles soirées d’impro, le scénique et le politique se fondaient l’un dans l’autre. Alors que des politiciens, aujourd’hui, acceptent de paraître dans des téléromans ou des sketches télévisés, c’était le commun des individus qui se hissait au pouvoir, comme dans une fête des fous démocratiques, brandissant sa pancarte, s’opposant à la conscription militaire ou à la politique réactionnaire de Reagan, alors gouverneur de Californie. Le yippie de Rubin était anarchiste et non communiste, libre-penseur, libre-discoureur, libre-créateur. L'usage de ses drogues n’était pas perçu comme un accroc et ses expériences visaient les limites de la psyché humaine. Les drogues contribuaient à la socialisation de la contre-culture, alors que dans notre monde actuel, elles consacrent la solitude de l'isolisme individuel.

Le paradoxe sur lequel il faut maintenant insister, c'est la reconnaissance de l’aspect purement régressif de cette démarche, résumé laconiquement par Rubin : «Notre message, c’est : ne grandissez pas. Grandir, c’est abandonner ses rêves». À première vue, comment conseiller à des jeunes gens tout feu tout flamme, qui ont fuit la maison de banlieue de papa et le verre de lait et la jarre à biscuits de maman, de ne pas «grandir»? Cette contradiction réactionnaire est la contradiction qui porte en elle la défaite de tout le mouvement contre-conturel occidental. Du point de vue idéologique, il est possible d'expliquer la chose : l’américanité, en abandonnant ses rêves fondateurs, s’était reniée à travers la petite-bourgeoisie de banlieue. La sauvagerie de la vie libre exprimait la vérité profonde de l’Amérique. Les destins tragiques, ceux de James Dean et de Marilyn Monroe, de Jimmy Hendrix comme de Jim Morrison et Janis Joplin, confirmaient la mythologie des westerns et des films de gangsters : vivre dangereusement, vivre intensément, mourir jeune avant que l’âge ne vous ait rendu sénile et vulgaire, il y avait là un lointain écho au «théorème de Théognis» de l'ancienne Grèce, qui disait qu'il n'y a pas de mort plus belle que celle d'un jeune homme sur le champ de bataille. Du point de vue symbolique, ce mode de vie appelait, inconsciemment, à retourner dans le sein maternel, celui de la terre où se creuse la tombe des morts. Mourir jeune, mourir beau, avant que le sida injectée par une seringue souillée où un coït non protégé, ne pouvait être qu'une chimère éphémère. Car, au-delà des exhibitionnismes, du nudisme, de la violence, la contre-culture était motivée par cette quête infantile de la pureté, de la décence et de l’honnêteté. À BAS L’OBSCÉNITÉ. GLOIRE À DIEU. BANNISSEZ LE MOT «FUCK». (J. Rubin. Do it, Paris, Seuil, Col. Points Actuels, # A4, 1971, p. 220). Parce que les bourgeois huppés de banlieue ne cessent de le répéter à toutes les phrases… Voilà pourquoi, lorsque la peste des temps modernes se conjugua avec le néo-libéralisme conservateur de l'ère Thatcher et Reagan, elle finit par balayer l'essentiel des rêves infantiles véhiculés par la contre-culture.

Qu’il se soit mêlé aux groupes contre-culturels les revendications des Noirs pour l’égalité des droits civils (avec Eldridge Cleaver), le féminisme le plus radical (Angela Davis), les mouvements de reconnaissance des homosexuels comme des êtres sains et moraux (Harvey Milk), tous ces apports ne modifiaient en rien les principes de base de la contre-culture établis au cours des fifties. Les sixties ne firent qu’ajouter une profondeur liée à l’immanence des conditions politiques et sociales. La récupération ne commença qu’à la fin de la décennie, après la convention démocrate de 1968 tenue à Chicago, lorsque la répression sauvage avec laquelle les policiers américains tabassèrent les yippies de Rubin finit de rompre toute attente politique des mouvements contre-culturels.

Parallèlement, la contre-culture artistique finissait par rejoindre certains milieux de la grande bourgeoisie américaine. Des artistes déjà cotés, comme Andy Warhol, servaient de pont entre une culture acceptée pour son excentricité, le Pop Art, et une culture underground dont les films de Warhol lui-même et ceux de Paul Morrissey dont les titres : Flesh, Trash et Heat, mettant en vedette l’acteur Joe Dallessandro, icône de la culture gay, présentait pour la première fois à l’écran un prostitué mâle tapinant afin de permettre à l’amie (lesbienne) de sa femme d’avorter. En un seul film, c’était plus ce que la bonne conscience américaine pouvait en prendre! Si le réalisateur John Schlesinger, avec Midnight cowboy (1969) put reprendre le thème de la prostitution mâle, et y substituer l’usage des hallucinogènes à la place de l’avortement, rendant le film plus acceptable pour le grand publique, la culture de l’underground américain trouvait ainsi une voie commerciale pour transiter vers la culture de masse. Désormais, le monde des paumés n’était plus seulement celui des ruelles et des hôtels de passe des fifties, mais des demeures de millionnaires, des orgies de capitalistes issus des romans de Sade, des endroits où se rencontraient des vedettes de cinéma, des modistes internationaux, des coiffeurs homosexuels, mais aussi des poètes maudits, des dandies bientôt rongés par le sida et des starlettes promises à une overdose. La rencontre fatale du 10500 Cielo Drive, en juillet 1969, lorsqu'une soirée d'intimes tenue à la résidence Polanski à Los Angeles, où les drogues dures pimentaient une veillée déliquescente, fut perturbée par l'invasion de domicile par les disciples de Charles Manson, tout aussi sous l'effet des speed et autres LSD, s'acheva dans une boucherie sanglante rarement vue. Le monde bourgeois converti à la contre-culture voyait la contre-culture sauvage se présenter sous sa forme la plus hideuse. Si tous pouvons régresser, nous ne régressons pas tous avec la même délicatesse. Une fois de plus, le rêve américain retrouvait sa pente fatale de la destruction et de l’aliénation morbide.

Et la contre-culture québécoise dans tout ça? Lors de la présentation à la librairie Olivieri, j’ai exprimé que si Michel Tremblay pouvait être associé à la contre-culture, c’était dans la mesure où sa dramaturgie était inspirée de la tragédie grecque, de ce théâtre antique qui précède la loi aristotélicienne des trois unités à la base de tout le théâtre classique que l’on produisait au Québec depuis des décennies, le seul autorisé par le clergé catholique. Quittant les malheurs des héros tragiques et des dieux méprisants, le coryphée devient, dans Les Belles-sœurs, Germaine Lauzon, la gagnante d'un lot impressionnant de timbres Gold Stars, et le chœur est constitué des femmes qui, avec elle, collectionnent (et se volent) les timbres, se lamentant sur leur condition humiliante et rêvant à des rêves aussi médiocres que le fut leur existence. C’était la tragédie grecque appliquée au petit peuple prolétaire et sous-prolétaire des petites rues de quartiers de Montréal. Il y a là une piste qui permet de mieux comprendre ce que fut la spécificité de la contre-culture québécoise.

Je fis en plus référence au recueil de poésie de Paul Chamberland, Le prince de Sexamour, ouvertement pédophile, m’interrogeant à savoir si un tel livre serait publié aujourd’hui? Non pas que le poète le réécrive ou non, mais serait-il publié sans entraîner une censure ou un scandale des Mères indignées du Québec aux téléjournaux? Une répétition du scandale qui avait accompagné la présentation des Fées ont soif, à la fin des années 1970? Bien sûr, tout le monde convint qu’un tel livre ne serait pas publiable aujourd’hui. Les participants attribuaient à la réaction morale développée depuis plus de vingt ans qui rendrait impossible cette publication, alors qu’elle permet des obscénités et des grossièretés retenues comme de mauvais goût mais banales sur les heures de grande écoute à la télévision.

Un large pan de la problématique se découvre ici. Si nous conservons à l'esprit que la publication du Prince de Sexamour est de 1976, préfacée par Josée Yvon et Denis Vanier qui, deux ans plus tôt, avait publié un recueil de poésie au titre provocateur du Clitoris de la fée des étoiles, profanant l’innocence et la pureté de l'enfance par le voyeurisme de la zone érogène féminine jusque-là tenue «cachée»; si nous acceptons le fait qu'en remontant à seize ou quatorze ans plus tôt, alors que Baudelaire, Victor Hugo et Jean-Paul Sarte osaient à peine sortir le bout du nez hors des enfers des librairies du Québec; nous saisissons mieux la violence du renversement symbolique et moral de la psyché québécoise. Ce qu’elle n’aurait pu tolérer en 1960, sauf sous la supervision d’un directeur de conscience, devenait permis, voire impératif quinze ans plus tard. La pression morale se relâchait soudainement et la tension énergétique refoulée depuis près d’un siècle et demi se libérait à travers une formidable explosion à laquelle ne résistait aucune censure, aucune limitation, aucun interdit. Toutes les transgressions, même celles qui nous semblent aujourd’hui inacceptables, étaient franchies. Dans la mouvance de la Révolution tranquille, dans un contexte d’anomie où l’on savait ce qui se perdait et qu'on ignorait encore ce qui s’en venait, la levée des interdits apparaissait nécessaire pour ne pas que l’effondrement psychologique et morale soit traumatisant et destructeur pour la mentalité québécoise.

Le théâtre, qui se développe toujours au moment des crises anomiques des sociétés, devint le lieu où se passa l’essentiel de la transgression. Les problèmes moraux et sociaux abordés par un Marcel Dubé, dans la droite ligne du théâtre américain de Tennessee Williams et d’Arthur Miller, où les fils homosexuels et les relations incestueuses étaient évoqués tragiquement mais avec pudeur, débouchaient dans l’hystérie de la duchesse de Langeais et de Hosana, pièces de Michel Tremblay. Toute une série de pièces hors normes, publiées à l’époque par les éditions Léméac, autorisait des scènes de nu, de masturbation, de meurtres sur scène. La plupart de ces pièces, aux titres parfois longs ou flamboyants, eurent une vie assez brève, mais elles appartenaient à la contre-culture des années 1960-1970.

Le cinéma underground restait limité. Inspirés davantage par les cinéastes de la Nouvelle Vague française ou les documentaristes de l’O.N.F., le cinéma commercial québécois, sombre et morbide, se voyait entremêlé avec des thèmes contre-culturels. Deux historiens, Denys Arcand et Denis Héroux produisaient, dès 1961, Seul ou avec d’autres, sur le milieu universitaire où figuraient deux des futurs membres du groupe Les Cyniques (dont Marc Laurendeau, fils d’André) et le sociologue Guy Rocher, qui allait participer à la Commission Parent chargée de réformer l’éducation. En 1965, Denis Héroux, et un autre historien, Noël Vallerand au scénario, réalisait Pas de vacances pour les idoles, avec Joël Denis. En 1968, Héroux devait réaliser le premier film de fesses, Valérie, un film d’ailleurs très moralisateur. La nudité, l’une des enseignes de la contre-culture passait progressivement dans la conformisme le plus bourgeois de la scène québécoise. La contre-culture se retrouvait chez des cinéastes moins courus par le grand publique. Gilles Groulx, Jean-Pierre Lefebvre et André Forcier, avec L'eau chaude, l'eau frette (1976) s'inscrivaient en dehors des cercles mondains.

À la jonction de l’Amérique et de l’Europe, la contre-culture québécoise tendait à s’appuyer en alternance sur l’une et sur l’autre. D’une part, il s’agissait de conserver une formation culturelle appuyée sur la langue française et ses défauts (le joual), une culture incomplète, trop longtemps dictée par des impératifs religieux et surtout moraux; de l’autre il y avait la tentation de l’américanité comme transgression, récupérant les mythes américains comme valeurs québécoises : la fuite, la drogue, l’émulation de Jack Kerouac (interrogé par le très sérieux scientifique Fernand Séguin au Sel de la semaine à Radio-Canada, en 1967, deux ans avant sa mort), le besoin de s’éclater, d’atteindre les situations limites tant au niveau psychologique qu'au niveau social.

En 1948, un groupe d’artistes, déjà contre-culturels, avait publié le manifeste Refus global. Il n’eut aucun succès publique. Prématuré pour l’époque, le manifeste annonçait ce que serait la grande libération des années 1960. C’est l’échec de ce premier mouvement contre-culturel qui rendit possible la formidable floraison d’œuvres dans les sixties. Si la guerre du Vietnam eut un impact sur la contre-culture québécoise moindre qu'aux États-Unis et en Europe, c’est surtout parce que le nationalisme québécois avait investi cette contre-culture de sa charge politique. L’indépendance et le socialisme devinrent, en effet, des éléments qui transformèrent les hippies en yippies et qui se conclut le soir du 20 juin 1980, avec l’échec du Oui au référendum. Pour Jacques Godbout, le Québec d’après le référendum devenait un microcosme de la Californie, et surtout de la Silicon Valley et de ce qui allait devenir l’informatique domestique et démocratique. En ce sens, les blogues que je fais sur mon ordinateur, sur lequel j’applique mes leçons de dactylographie, serait l’héritage le plus commun et le plus authentique de la contre-culture, le reste ayant été dissous par la culture commerciale, qui a su absorber génération après génération de contestataires, et l’usure de ses survivants qui ont trouvé à se placer ici ou là, dans les appareils de l’État. Un poète-rocker comme Lucien Francœur, produit de la contre-culture, s’est vite laissé «enfirwaper» dans la culture de consommation jusqu’à se faire porte-parole télévisée d’une chaîne de burgers alors qu’il se plaint, aujourd’hui, que ses élèves, au collégial, ne savent pas écrire, bien que lui-même ne soit pas capable d’écrire au tableau sans faire de fautes!

Le regain d’intérêt pour l’épisode de la contre-culture des sixties est sans doute commandé par le cynisme et la morgue qui caractérisent notre époque, mais il apparaît impossible de créer un mouvement semblable. Le répéter est devenu impossible, considérant que les voyages initiatiques sont aujourd’hui commandités par des agences de voyages; la drogue un produit de consom-mation courant; le sexe pratiqué hors de tout interdit. Le viol des enfants et les meurtres sadiques ne peuvent quand même pas devenir porteurs de valeurs ni de symboles positifs. La contre-culture fut une ouverture attendue et espérée (de Réjean Ducharme, la pièce Inespéré et Inattendu) afin de se libérer d’un lourd fardeau moral pharisien devenu insupportable, d’où l’importance accordée aux changements de comportements moraux aussi bien dans la bourgeoisie que dans la petite-bourgeoisie québécoises. L’effondrement du pouvoir clérical et ses interdits coupables se réalisa en une décennie, laissant la place à toutes les éventualités culturelles. Si la plupart d’entre elles restèrent marginales ou furent éphémères, certaines donnèrent des œuvres qui passeront à l’histoire. Aujourd’hui, les ouvertures semblent encore obstruées, comme en 1948 pour l’équipe du Refus global. C’est ce qui nous exaspère et nous désespère à la fois. La quête continue. Pour l’intellectuel, ne reste que cette phrase qui m’est apparue en rêve : Arbre lisant, de quel point regardes-tu le palais?


Montréal
14 avril 2013

5 commentaires:

  1. Monsieur Coupal,

    Les beatniks et les écrivains de la Beat Generation (Kerouac, Ginsberg et co.) sont deux choses complètement différentes.
    Voir/lire les explications d'un site spécialisé.

    http://www.emptymirrorbooks.com/beat/whats-the-difference-between-beat-and-beatnik.html

    De même, Beattles ne prend qu'un T.

    Sinon, merci, belle lecture.

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  2. Ce n'est pas gênant avec un PhD Histoire sur le mur ?

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    1. Mme Enck, dans l'article que vous citez, commence par distinguer Beat Generation de Beatniks. Mais au fur et à mesure qu'elle avance dans son développement, la distinction s'embrouille. Dans le contexte des Fifties, c'est compréhensible. Mais les anciens de la Beat Generation dans le courant des années 60 vont devenir conservateurs. Kérouak lui-même approuvera la guerre du Vietnam. Et les beatniks des années 50 ne seront pas nécessairement les hippies des années 60. Quoi qu'en dise Ginsberg, la Beat Generation a fourni aux Beatniks ce que Gramsci appelait les «intellectuels organiques», i.e. ceux qui exprimaient ce que la génération qui suivit la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis ressentaient face à la culture bourgeoise et consumériste qui s'établissait.

      En ce sens, ils sont parfaitement comparables aux romantiques d'après le Siècle des Lumières. Contre le primat du rationnel, les romantiques chantèrent la grandeur des sentiments, des traditions et des expériences du moi, et ce jusqu'au suicide (Kleist) ou à la folie (Hölderlin). Parallèlement, le mouvement romantique se développa sur le front politique dans les universités - en Allemagne, les Burschenschaften, ces groupes d'étudiants militants et nationalistes dont l'un d'eux, Karl Sand, assassinat le poète allemand Kotzebue, agent du gouvernement tsariste -, devaient donner les premiers mouvements nationalistes. Le cosmopolitisme des créateurs romantiques se serait senti à l'étroit dans le mouvement nationaliste, mais les nationalistes adoptèrent les thèmes des écrivains et compositeurs romantiques.

      Le phénomène est ici similaire. Les beatniks des années 50, qu'importe ce qu'en pensèrent les autorités, adoptèrent les thèmes et les valeurs des écrivains Beat. Ils appartiennent à une même «mode», un même zeitgeist. Cela ne veut pas dire qu'ils se confondaient les uns dans les autres, mais chronologiquement, ils sont inséparables.

      Mais, je peux toujours me tromper. Un PhD Histoire sur le mur (mon diplôme est dans un tiroir car mes murs sont tapissés de livres) n'épargne pas les erreurs. Et je vous remercie de m'en avoir informé. Mais je demeure sur mes positions en ce qui a trait à l'analyse.

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  3. Mathieu L Bouchard19 octobre 2013 à 19:29

    Yippies ? Vous voulez dire yuppies ? Les yippies étant autre chose...

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    1. Non, c'est bien Yippies, ces hippies fortement politisées plutôt que «fleurs bleues». Les Yuppies, Young Urban Professionals, ont souvent été d'ancien Hippies, certains mêmes Yippies, mais en changeant souvent l'orientation politique.

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