jeudi 14 juin 2012

La Banane guidant le peuple québécois


LA BANANE GUIDANT LE PEUPLE QUÉBÉCOIS

Il n’y a pas une journée où un ministre du gouvernement Charest ne pousse une niaiserie en publique. C’est épuisant. J’ai été poli avec Mme Saint-Pierre, et elle s’est excusée! Non que je m’attribue une responsabilité personnelle dans sa décision, mais puisqu’il est permis de délirer, autant que j’en profite un peu moi aussi. Surtout que la veille, pour m’endormir, j’écoutais les débats à l’Assemblée nationale où le ministre de la Justice se débattait comme un diable dans l’eau bénite pour justifier les propos de Mme Saint-Pierre. Et ne voilà-t-il pas que, le lendemain matin, elle reconnaît ses torts et s’excuse, certes du bout des lèvres, d’avoir pu heurter quelques artistes qui affichent le carré rouge infernal. Avouez, tout de même… Mais, restons modeste je vous prie.

Puis, c’est au tour du terne ministre de la Santé, Yves Bolduc, le successeur du sympathique docteur Couillard, à subsumer un «message subliminal» dans un pastiche d’une toile de Delacroix! Décidément, la paranoïa n’a plus de limites. Cette légende urbaine des années 1970, qui faisait chercher un crâne de mort ou une face de démon dans des cubes de glace d'un verre de Smirnoff reproduit sur quelques grands panneaux publicitaires affichés dans le métro de Montréal, a sûrement impressionné l'esprit du jeune Yves lorsqu'il faisait ses études en médecine pour que, trente ans plus tard, il découvre des «messages subliminaux» dans une pastiche, précisément …pas très subtile. Comme disait Talleyrand, «tout ce qui est excessif est insignifiant», et aux insignifiances d’un groupe de vieux anarchistes sur le retour, répondent les insignifiances de ministres en fonction. Puis, le Premier ministre, frappé d’une droite avec la défaite de son parti dans son château-fort d’Argenteuil, frappé d’un revers sous le menton par les amendements du Parti Québécois sur trois lois à voter concernant son si précieux Plan Nord, assomé enfin d'une gauche étudiante qui lui a fait user de son droit de baîllon en Chambre pour passer la loi scélérate 78, il s’est enfin couché par terre, pour l’été, en en appelant à des poursuites judiciaires contre les paroles violentes et niaiseuses d’une chanson du même groupe Mise en Demeure qui a pastiché la toile de Delacroix.

Jean Charest a ouvert le robinet de la violence, et depuis, il coule plus d’eaux de ressentiments de droite et de colères de gauche qu’il ne pouvait s'imaginer contenir dans la population québécoise. La baignoire déborde, et pour cette raison, il lance des menaces à tort et à travers. Sa panique est celle d’un vaincu qui, coup après coup, manque ses cibles qui se retournent contre lui. Il est devenu un polichinelle de ses propres frustrations. Il s’agite comme un dément en essayant de garder une voix monocorde feignant parfois l'indignation, sans plus de vigueur, dépassé par ses propres maladresses mais se refusant à les reconnaître. Décidément, le mercenaire que le Parti Libéral a été débaucher au Parti Conservateur du Canada risque d’engloutir, pour une bonne décennie, toute possibilité pour les Libéraux de reprendre le pouvoir majoritaire après la prochaine élection. Alors que le gouvernement Harper fait tout pour polariser la colère des Québécois contre lui et ainsi donner des munitions aux activistes de la Souveraineté, la C(r)A.Q. rafle les Libéraux déçus ou qui n’ont pas reçu la part du gâteau qu’ils s'attendaient recevoir alors que le Parti leur disait que les fonds de tiroirs étaient vide. Avec la Commission Charbonneau, ces Libéraux déçus vont réaliser qu'on leur a menti et que Charest s'est joué d'eux. Lorsqu’une armée est en déroute, use d’intimidation, de violence policière, de menaces judiciaires, s’apitoie sur son sort, tout ça parce que trois leaders du mouvement étudiant, dont deux à peine sortis de l’adolescence, sont parvenus à lui tenir tête, c’est un signe qui ne trompe pas. Goliath a été étourdi par la roche qu’il a reçu en plein front et on pourrait très bien imaginer un Nadeau-Dubois en David s'apprêtant à lui trancher la tête de son épée. La fin de la session parlementaire ne fait que ramener la morale du récit biblique.

Et les sottises du Ministre Bolduc? Inutiles sur le plan politique, elles peuvent permettre, toutefois, de sonder les profondeurs «subliminales» même du Ministre en interrogeant sa propre lecture du tableau modifié de Delacroix. Au fait, que dit-il, notre Ministre Bolduc? En véritable expert de l’histoire de l’art, il affirme qu’«il y a toujours des messages subliminaux (sic) qu’on passe avec des peintures comme celles-là. Pour certaines personnes qui eux autres sont vulnérables, ça pourrait présenter un risque». Cette phrase, assez mal construite avouons-le, nous dit qu’il y a TOUJOURS des messages subliminaux dans des peintures comme celles-là. D’un côté, que ce soit de Delacroix ou de Mise en Demeure de l'autre, le ministre reconnaît que toutes peintures ayant un sujet politique, TOUJOURS, contient des messages que des «esprits simples» - ce qui exclu notre ministre qui, lui, ne s’en laisse pas passer une! - seraient «vulnérables» et donc apte à les entraîner à commettre des actes de violence irréparables. Ce mépris de la population qui n’a pu se payer les cours de psychiatrie avancée de l'art du docteur Bolduc appartient au péché d’«élitisme» qui est devenu l’un des péchés mortels en démagogie.

Quand l’art se fait propagande, l'œuvre qui sert nos intérêts peut être considérée comme des Beaux-Arts, alors que celle qui sert les intérêts adverses ne sont que de vulgaires tableaux malicieux et dangereux. C’est la simplicité même du docteur Gœbbels : plus c’est gros, plus ça pogne (excusez mon allemand!). Bolduc trouve le tableau de Mise en Demeure trop gros pour qu’il l’avale, mais pas assez pour que des «esprits simples» ne se sentent stimuler par la «Banane anarchiste guidant le peuple».

Mais ti-Yves comprend qu’il ne s’est pas exprimé très clairement. Aussi, sent-il le besoin de préciser : «Ça peut toujours être mal interprété. Mais tout ce que je peux dire, c’est que c’est de mauvais goût et ça peut être inquiétant». De mauvais goût, sans doute, mais, que voulez-vous, tous les goûts sont dans la nature, même les mauvais. Vous n’avez qu’à regarder les choix artistiques du gouvernement Harper, et vous comprendrez! Le Ministre aurait pu dire, s’il avait eu vraiment une formation d’esthétique, que c’était kitsch, mais le kitsch a ses amateurs, et ils sont sûrement nombreux à Sagard et dans les milieux de la haute-finance québécoise. Au mauvais goût est surtout associé l’inquiétude. Décidément, Yves Bolduc tremble dans son fond de culotte, puisqu’il insiste: «C’est inquiétant de voir que les gens aient pu faire une peinture de ce type-là. Même si on dit que c’est ironique ou que ça fait partie de l’humour, c’est un humour noir qui n’est pas très approprié». Alors que tout le monde se scandalise à propos de la vidéo de Rocco Magnotta, notre René Huygue national considère que le pastiche de la toile de Delacroix est encore plus inquiétant que le découpage en morceaux de Lin Jun! Pourquoi alors lancer la pierre au professeur Trahan puisque Mise en Demeure produit des pastiches encore plus dangereux pour le maintien de l’ordre dans la société québécoise! Que la flicaille de Montréal ait trouvé la reproduction du poster chez les Khadir, dans leur très chic maison du Plateau Mont-Royal, c’est encore plus inquiétant, puisque les Khadir font sûrement partis de ces «esprits simples» qui se sont laissés entraîner par le message subliminal de la pochade et ont été ainsi manifester avec le carré rouge, apportant avec eux la violence, l’intimidation et la terreur. Inquiétant. Inquiétant. Inquiétant.

Les délires cohérents pseudo-analytiques du docteur Bolduc ne nous disent rien sur la qualité de la pochade elle-même, mais beaucoup sur l’esprit qui règne dans le ministère. Les rendez-vous du mercredi du Conseil des Ministres doivent être choses assez lugubres, merci. Derrière le scalp frisotté du Premier ministre, des idées sombres doivent se mêler avec des stratégies gouvernementales pour sauver son plan chéri, le Plan Nord, que l’opposition vient de lui couper sous le pied pour le reporter à la reprise de la session en automne, et comme il ne veut ni ne peut déclencher des élections avant que son plan soit fermement inscrit dans les lois, la mécanique de sa politique l’achemine vers l’un des échecs comme seuls les Québécois peuvent s’en payer en matière politique. Après les deux référendums, après le sabotage de la réforme Parent de l’éducation, après le bourbier des services de santé, après la folie Olympique, voici un projet-bidon pour lequel le personnel politique, pro et contra, s'est dépensé pour le voir s’écraser plus vite que les deux premiers «plans» Nord de l’Histoire du Québec. Et Jean Charest ne verra jamais son nom attribué à un des barrages de l'Hydro sur la Romaine! Tristes perspectives.


Mais revenons au tableau. En fait, le pastiche est-il si inquiétant que le suppose le Ministre? L’original, La Liberté guidant le peuple, qui illustre la révolution parisienne de 1830 qui renversa la monarchie restaurée des Bourbons de Charles X pour la remplacer par une monarchie citoyenne (i.e. constitutionnelle) avec le «roi-poire», Louis-Philippe d’Orléans, est certes un tableau de propagande révolutionnaire peint par le fils illégitime de Talleyrand, Eugène Delacroix (1798-1863). Cet artiste, élève de Géricault et que Baudelaire élevait au pinacle de l’art français du XIXe siècle, ce romantique élégiaque qui faisait entrer la peinture romantique là où le néo-classicisme des David et des Ingres avait triomphé sous le Premier Empire de Napoléon Bonaparte et de la Restauration, était un peintre d’histoire des plus originaux. Sa scène du Massacre de Scio où les Turcs ont sabré les révoltés grecs est un autre de ses tableaux politiques. Par contre, le sadisme imprègne l’œuvre peinte et dessinée de Delacroix. La mort de Sardanapale, d’après des légendes antiques d’un roi vaincu qui fait tuer son harem de femmes nues par ses satrapes avant de se suicider, est plus énigmatique. Qui voyait-il en ce Sardanapale? Bonaparte? Charles X ou, plus simplement, son père illégitime Talleyrand? Mieux qu’un Magnotta, Delacroix savait hisser l’horreur au sublime, reproduire des scènes où l’érotisme et la mort s’enlaçaient sans user des figures hideuses des tableaux de la fin du Moyen Âge. En un sens, Delacroix fut un producteur de scènes gore du XIXe siècle, mais il fut surtout un peintre d’histoire qui, tout en défendant son idéologie libérale, ne sombra jamais dans le kitsch où sombrent toutes propagandes politiques. Là réside sans doute une part de son génie.

Si subliminal existe, c’est dans le tableau de Delacroix qu’il faut le rechercher et non dans la pochade de Mise en Demeure. Ce qui y trouvent les Jean Charest et Yves Bolduc, ce n’est que la méchanceté assumée de poubellistes de gauche qui s’affichent comme anarchistes, comme les poubellistes de droite s’affichent pour le gros bon sens petit-bourgeois. Autre chose donc le tableau qui a tant de fois été pastiché par des groupes ou groupuscules politiques français ou autres. Delacroix n’était pas un peintre politique, et La Liberté guidant le peuple fut une œuvre de commande passée par son marchand, Huro, qui, sans doute, voulait profiter des circonstances populaires pour fournir sa clientèle. Écrivant à son frère, un général, Delacroix résume son tableau à une barricade… Se promenant dans les rues de Paris, il a dressé des séries d’esquisses qu’il utilisera pour meubler les scènes qui entourent l’allégorie féminine de la Liberté. Tom Prideaux (Delacroix et son temps, 1798-1863, s.v., Time-Life International, 1973, p. 103) décrit ainsi le tableau:

«Le premier plan est un charnier où morts et mourants gisent dans des attitudes lamentables. Au-dessus, dans la fumée, se déroule le combat. De chaque côté, des insurgés se ruent à l’assaut dans les vêtements civils d’une armée de rencontre, depuis un gamin des rues coiffé d’un béret, brandissant deux pistolets comme s’il jouait aux gendarmes et aux voleurs, jusqu’à un étudiant un peu guindé sous son haut-de-forme. On a dit que Delacroix aurait donné ses propres traits à ce dernier. Il ressemble en effet à l’un de ses auto-portraits». Dans la pochade de Mise en Demeure, c’est Jean Charest qui figure parmi les morts gisant dans des attitudes lamentables, mais il y a aussi un membre du groupe anarchiste qui tient la position diamétralement inversée au Charest gisant. Le gamin de Paris demeure identique à l’original tandis que la figure d’Amir Khadir remplace celle de Delacroix dans le personnage un peu guindé sous son haut-de-forme. Il s’agit en fait de l’un de ces intellectuels dandies qui fréquentaient les cafés au moment de la révolution de 1830. Dans le contexte actuel, le Khadir guindé et le Charest lamentable sont disposés non selon la volonté du groupe anarchiste, mais selon la volonté même de Delacroix. Le «subliminal» appartient donc au XIXe siècle, à la situation parisienne bien plus qu’à la volonté des méchants anarchistes qui l’ont «adapté» au goût du jour.

Prideaux poursuit: «Au centre, un blessé se dresse sur ses bras pour jeter un regard d’extase sur le visage de la Liberté, qui domine ce combat mortel, en brandissant le drapeau français. Delacroix a eu l’audace de rogner le haut du drapeau, ce qui augmente considérablement la sensation de mouvements spontanés, comme si la Liberté venait de surgir et brisait le cadre du tableau». Ce deuxième jet de subliminal qui sème l’inquiétude dans l’âme du docteur Bolduc provient du fait que le blessé, qu’un médecin pourrait prendre comme un agent porteur de la souffrance, se transforme purement et simplement en agent de police admiratif devant l’allégorie anarchiste de la Banane qui a remplacé le tricolore français par le drapeau noir de l’anarchie. Bref, c’est l’ordre mis à genoux devant l’Anarchie venant de surgir et bris[er] le cadre du tableau. Ici, la pochade amplifie le potentiel affectif contenu dans le tableau original. Delacroix, après tout, ne faisait que présenter la passation des pouvoirs de la monarchie absolue et nobiliaire à la monarchie constitutionnelle et bourgeoise. Revue et corrigé par Mise en Demeure, c’est littéralement à un changement de structures de société qu’en appelle la pochade retouchée. Ce qui est plus choquant, selon moi, c’est que l’allégorie qui appelle au dépassement et à l’élévation de la condition humaine est remplacée par un fruit dont la pelure est associée à la bêtise (glisser sur une peau de banane). En ce sens, le «subliminal» se retourne contre le groupe anarchiste lui-même et le précipite parmi les poubellistes de l’histoire. Car, rappelle Prideaux, «pour Delacroix, la conception de la Liberté, mi-déesse, mi-femme du peuple, paraît provenir de quantité de sources. Une ode en vogue pendant l’été de 1830 la décrivait ainsi: “C’était une femme aux puissantes mamelles, à la voix rauque, aux durs appâts”. Prideaux, ajoutant l’anecdote à l’allégorie enrichit le potentiel significatif du tableau, rappelle que «Delacroix en avait vu une figure analogue dans une illustration du Childe Harold de Byron, et sans aucun doute avait-il présente à l’esprit l’histoire d’une jeune couturière qui vengea son frère fusillé sur les barricades en tuant neuf gardes suisses”. Il est difficile de prêter à la Banane anarchiste une quelconque fraternité avec l’un ou l’autre de ces malheureux jeunes étudiants énucléés par les douilles en plastique utilisées par les satrapes de la police de Montréal ou de la soi-disante Sûreté du Québec.

Si le sadisme présent dans l’ensemble de l’œuvre de Delacroix se retrouve dans La Liberté guidant le peuple, l’atmosphère imbue de poudre à fusil et de bâtiments éventrés par les canons suggère davantage la mélancolie, celle-ci également familière de ses œuvres et n’échappant pas à la mise en scène du tableau. Peint dans les mois qui ont suivi les trois journées révolutionnaires de juillet 1830, le tableau possède en lui déjà les déceptions qui viendront vite du nouveau régime bourgeois de Louis-Philippe. La Liberté, chez Delacroix, est autre chose qu’une liberté politique ou constitutionnelle; elle est une émanation de la pulsion qui habite tout créateur, donc surgie en lui-même. C’est Sa Liberté guidant les arts vers l’affranchissement de l’académisme, celui du néo-classicisme de l’ordre impérial puis monarchique.

Jacques Henric, dans son ouvrage, La peinture et le mal, mentionne que «Delacroix, dans le choix des sujets et dans la manière qu’il a de les traiter, dans le superbe et coléreux mouvement de son énonciation, met à vif le nerf même de la Création. Dante et Virgile aux Enfers; la boucherie sexuelle: sa Pietà viandeuse et dégoulinante, Mort de Sardanapale, les Enlèvements de Rebecca et autres Batailles de Taillebourg; le boxon: Femmes d’Alger; la Femme, qu’il ne rate pas: sa George Sand en habit d’homme justement: parodie d’image pieuse représentant la Jeanne d’Arc berrichonne en innocent bas-bleu dont le menton fuyant dénonce une connerie de fond intraitable; et l’acquisition, par la révolte et par l’angoisse, dans un paroxysme de couleurs, de la liberté: la Lutte de Jacob contre l’ange du Seigneur, moment où la vérité de ce danseur qu’est l’être avançant contre la force se révèle dans son nerf navré. “Il lui toucha le nerf de la cuisse qui se sécha aussitôt”, et le voilà à jamais déjeté du monde, installé par rapport à lui dans un décalage irrattrapable et une inguérissable boiterie…» (Paris, Grasset, Col. Figures, 1983, p. 70). C’est dans le mesure où c’est bien le Mal qui est le moteur de l’Histoire que les tableaux de Delacroix sont d’authentiques «tableaux historiques» et non pas des œuvres de propagande, comme l’est devenue la pochade de Mise en Demeure.

La Liberté tenant son fusil à la baïonnette fait écho à cette Liberté expirant sur les ruines de Missolonghi, peinte trois ans plus tôt (1827) et qui servait d’allégorie, non pas encore à la France, mais à la Grèce en pleine guerre d’indépendance contre l’empire ottoman. La Banane anarchiste a troqué le vieux fusil pour une kalashnikov. La Liberté guide avec un mutisme dont la parole reste intérieure; la Banane crie, gueule, admoneste un troupeau qui ne semble pas la suivre. Les deux seins gonflés de la Liberté ont été remplacés par le pénis de la Banane dressé dans l'ombre contre sa cuisse. L’élan vital qui animait le tableau de Delacroix s’abîme dans une obscénité qui annule précisément la portée révolutionnaire de la pochade. La figure nourricière de la Liberté cède la place non à une figure paternelle pourvoyeuse, mais à une figure infantile où la métaphore du fruit jointe avec la présence de l'arme apparaît redondante avec l'organe qu'elle évoque. Le Jean Charest lamentable contre le Khadir guindé, le policier en extase devant la Banane et le terroriste masqué à la droite d’Amir Khadir qui remplace un combattant à visage découvert dans le tableau de Delacroix accentue l’aspect «inquiétant» dans la mesure où ils ébranlent les certitudes de l’ordre d’un régime politique qui ne s’est jamais remis en question comme incarnant le seul type de démocratie envisageable. Car si la pression exercée au départ par le mouvement étudiant continue de s’étendre, ne serait-ce que dans une portion appréciable et variée de la population, il apparaîtra impossible que celle-ci et son gouvernement puissent avoir raison en même temps, au moment où ils s’affrontent. La rhétorique effrontée du gouvernement consiste à dire qu’il a raison et que la population en colère à tort. Or, le vox populi dans un comté reconnu comme forteresse libérale lui a montré qu’il pouvait le désavouer! Le jeu politique de la Chambre d’Assemblée se retourne contre son projet-locomotive sensé conduire son parti à la victoire aux prochaines élections, cet automne où dans un an. L’impossible soumission des étudiants appuyés par des artistes, des plumitifs, des syndicats, des enseignants, des petits-bourgeois, présente une conviction dans leur bon droit que la légalité ne peut affecter. À partir de ce moment, le doute s’installe davantage dans le camp du parti politique que dans celui du mouvement populaire. Comme les révolutionnaires parisiens de 1830, ce mouvement populaire pourrait s’avérer plus fort que la nation tout entière et provoquer une modification de la donne politique qu’aucun parti présentement ne peut évaluer avec certitude. En ce sens, violence pour violence, le Parti Libéral est rongé de cette inquiétude que manifeste notre esthète médecin qui, décidément, et c’est à souhaiter, reste meilleur médecin qu’interprète d’art ou même comme politicien⌛

Montréal
13 juin 2012

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