jeudi 7 juin 2012

La loi scélérate 78 et le «règne de la Terreur»

Sir James Henry Craig (1748-1811)
LA LOI SCÉLÉRATE 78 ET LE «RÈGNE DE LA TERREUR»

Lorsqu’à l’âge de onze ans, je reçus le livre de Farley-Lamarche, Histoire du Canada, des Clercs de Saint-Viateur, il y avait un chapitre, le 27e, intitulé «Le “Règne de la Terreur” - Craig (1807-1811)». Ce n’était certes par la Terreur de la Révolution française, mais, avant la gouvernance de Colborne à la suite de la répression des Troubles de 37-38, le gouvernement de Sir James Craig (1748-1812) fut vécu par les Canadiens-Français comme un véritable «règne de la Terreur». Qu’est-ce qui faisait de Craig un gouverneur «terroriste» alors que la population canadienne demeurait exceptionnellement passive devant les tourments révolutionnaires qui se déroulaient alors en France.

Le premier trait de ce terrorisme était la volonté d’assujettir la Chambre d’Assemblée (l’Assemblée nationale) et l’Église, les deux puissances canadiennes-françaises de l'époque.

Le second trait était l'opposition entre l’entourage financier du gouverneur et l’adversité de la résistance des députés canadiens-français : d’une part la Clique du Château, de l’autre le Parti des Canadiens-Français (futur Parti Patriote).

Les juges nommés par le gouverneur et non éligible par la Chambre.

Craig intimida les Canadiens-Français en faisant saisir le journal Le Canadien et arrêter des députés opposants.

Craig et ses conseillers protestants anglophones travaillèrent à un projet d’union des Canadas et à l’abolition de la Constitution de 1791 (donc de l’existence de la Chambre d’Assemblée), dans le but d’angliciser le plus rapidement possible la population d'origine francophone.


À la fin de son mandat, Craig, sentant venir sa mort, tenta bien de se montrer moins brutal, mais le fait est que lorsqu’il demanda son rappel et repartit en Angleterre, la population, en général, poussa un soupire de satisfaction. Le nouveau gouverneur, Sir George Prevost joua le rôle du bon cop après que Craig eut joué celui du bad cop et réussit à entraîner la résistance canadienne-française contre l’invasion de 1812 par les troupes américaines.

Craig n’eut pas besoin de recourir à une loi scélérate, comme l’actuel gouvernement Charest avec sa loi 78. Pour cause. En tant que gouverneur colonial, il relevait de la loi britannique et son mandat le plaçait bien au-dessus de la Chambre d’Assemblée. Contrairement au roi d’Angleterre, dont on dit qu’il règne mais ne gouverne pas, Craig, lui, régnait et gouvernait, de sorte qu’aucun Britannique de l’époque ne l’aurait toléré à Londres à la tête de l'exécutif. Ce qu’apporta le gouvernement Craig à l’héritage québécois? D’abord, un mode d’intimidation de la population jugée racialement inférieure à la population française d'Europe. Contrairement aux Britanniques, aux Français et aux Américains, la docilité canadienne-française, depuis l'âge de la Nouvelle-France, pliait facilement sous la corruption et le pouvoir arbitraire. L’Église, qui devait quand même souffrir des rebuffades sous le «règne de la terreur», enseignait le Omni potestas eo Deo avec une insistance, elle-même terrorisée, de se voir réduire à l’oppression dont souffrait alors l’Église catholique en Angleterre même. Contrairement à la Clique du Château, formée de marchands richissimes de fourrures et de bois, véritables lèches-bottes du gouverneur, l’Église n’entrait pas dans la complicité coloniale, comme elle allait le faire après 1837-1838. Elle se savait elle-même sous l’épée de Damoclès et par le fait même, ourdissait une résistance passive.

Pourtant, dire que toute la collectivité canadienne-française se soumettait passivement à Craig serait une erreur. Des députés libéraux - Papineau, Bédard, Blanchet - tenaient un discours qui dénonçait de manière assez franche la politique de Craig et de son entourage. L’éditeur du journal Le Canadien, Lefrançois, fut mis aux arrêts par ordre du gouverneur et son imprimerie saisie. Ce geste d’intimidation avait pour but de faire cesser la circulation des idées et, dans le contexte des guerres napoléoniennes, l’Angleterre avait sévi avec la même sévérité envers la presse jacobine anglaise. Mais le journal publié par Lefrançois n’avait rien d’un journal jacobin français!

La leçon n’avait pas été suffisamment comprise et après les Rébellions, le gouverneur intérimaire Colborne promena la torche dans les plaines de la Montérégie, incendiant les fermes et jetant sous des températures de -10, -20º les familles canadiennes qu’on soupçonnait d’avoir participé aux rébellions. Cette fois-ci, la leçon fut bien comprise et la passivité canadienne-française s’installa, de sorte qu’en 1917 et en 1942, lors des deux guerres mondiales, on trouva bien peu de Canadiens-Français pour résister à la conscription de manière musclée. Il y eut des déserteurs certes, comme dans la partie anglophone du pays, mais cette désertion poursuivait la résistance passive du temps de Craig. De sorte qu’il fallut attendre la décennie 1960 pour voir des mouvements d’origine petite-bourgeoise jouer à la Guerre d’Algérie au Québec, le F.L.Q., le F.A.R. et autres cellules «terroristes» qui émettaient des communiqués et commencèrent à poser de véritables actes de violence. Du terrorisme populaire, on passa progressivement au terrorisme d’État lorsque le F.L.Q. cessa de faire sauter des boites aux lettres pour s’en prendre à un attaché commercial, puis à un ministre du cabinet Bourassa qu'ils enlevèrent coup sur coup. Le maire de Montréal, paniqué, en pleine élection, comme aujourd’hui il est en plein festival de la Formule-1, téléphona au Premier Ministre du Québec pour lui demander d’appeler le Premier Ministre du Canada afin de faire entrer l’armée au Québec. Ce qui fut fait. Les démonstrations militaires n’empêchèrent pas la mort du ministre mais parvint à sauver la peau de l’attaché commercial. Je me souviens de ce que me disait ma mère avant qu’on ne retrouve le cadavre de Pierre Laporte dans le coffre d’une auto: «Tu vas voir, ils vont tuer le Canayen et pis sauver l’étranger». Entre nous, il faut dire que ma mère n’avait nul don de voyance!

L’intimidation parvint à étouffer les groupes terroristes et permettre à un parti politique de reprendre l’idée d’Indépendance du Québec, associée à une politique de socialisme démocratique. Mais, sur le coup, la terreur avait suffisamment marqué pour entraîner la réélection de Robert Bourassa à une forte majorité deux ans plus tard. Ce n’est qu’une fois les esprits ressaisis, en 1976, que le vote se débarrassa de cette lavette avec laquelle tout le monde s’essuyait… Lors du référendum de 1980, le gouvernement fédéral usa d’une intimidation discrète. On envoya des avertissements avec les chèques de pensions de la sécurité de la vieillesse dans lesquels on rappelait à qui les personnes âgées devaient leur sécurité! Une campagne (fédérale) contre l’alcool au volant s’étalait avec un grand «Non, ça se prend bien»… En 1995, l’évolution étant ce qu’elle est, on usa moins d’intimidation que de chantage affectif avec ce «love-in» des Canadiens venus de tout partout du pays au centre-ville de Montréal. Désormais, la leçon enseignée par Craig se résumait en «si tu ne peux séduire, intimide».

C’est précisément ce à quoi nous avons assisté lors des «négociations» entre les représentants étudiants et le gouvernement Charest. D’un côté, la terreur d’État, l’intimidation. «C’est 75% d’augmentation sur trois ans, un point c’est tout». Devant la résistance, de moins en moins passive des étudiants, on assista à deux tentatives de séduction avec de fausses négociations. On proposa des aménagements qui ne touchaient en rien la revendication principale; le gouvernement, en plus, clama à qui voulait l'entendre, que les gagnants de sa réforme du financement des universités seraient les familles pauvres et celles de la «classe moyenne», alors que l’action étudiante visait à faire gagner les enfants des familles riches. On atteignait au comble de la démagogie libérale où Charest apparaissait comme un Robin des Bois des étudiants qui voulaient étudier contre les méchants shérifs des associations étudiantes. Qui dit que le ridicule tuait encore? Des marches silencieuses ou pacifiques à des centaines de milliers d’individus à Montréal se terminèrent, parfois, avec des actions violentes. Des attentats dérisoires mais dangereux furent commis dans le métro de Montréal. Du vandalisme, le saccage de vitrines de certaines banques échauffèrent les esprits des organisateurs de festivals d’été. Le Premier Ministre Craig vota une loi spéciale, la loi 78, visant essentiellement à museler les rassemblements, les encerclant, les dispersant, augmentant les occasions de déclarer les rassemblements illégaux afin de taxer leurs contrevenants d’amendes salées. Cette première démarche purement terroriste et dissuasive s'inscrivait dans l'intimidation de départ. Aussi, fut-elle méprisée par les protestataires, et la police elle-même s’avoua impuissante à bien faire respecter la loi scélérate.

Une dernière ronde de négociations s’acheva dans la rupture des pourparlers. Le Premier Ministre Craig décida de diviser le mouvement étudiant en isolant la CLASSÉ et son porte-parole, Gabriel Nadeau-Dubois, le désignant ouvertement comme la cause de tous les troubles et à l’origine des menaces qui pesaient sur la course de autos de riches de Bernie Ecclestone. Dès lors, on fit venir Nadeau-Dubois au bureau de la Sûreté du Québec, où les satrapes du gouverneur l’interrogèrent (sans le passer à tabac toutefois, les mœurs s’adoucissant diraient Voltaire), puis le libérèrent. Il s’agissait d’une première mesure de harcèlement, puisque toutes les tentatives de séduction s’étaient avérées vaines, aucune mouche n’ayant goûté au sucre offert par le gouvernement. Là encore, il était inutile de se faire prophète pour deviner qu’une escalade de la violence et de terreur s'amorçait.

Puis, le 6 juin 2012, des lettres furent envoyées dans différents bureaux de comtés de députés et ministres libéraux ainsi qu’à des animateurs de radio-poubelles de la région de Québec, des enveloppes libérant une certaine substance blanche. Un mot d’avertissement disait à celui qui ouvrait la lettre, quels symptômes il ressentirait dans les minutes qui suivraient : maux de têtes, troubles de la vue, nausées, etc., enfin, tous les symptômes de l’anthrax. Après analyses, il s’avéra que ce n’était que du bicarbonate de soude (de la «petite vache»)! À chaque appel d’un bureau de comté en panique ou d’un gueulard en pâmoison, policiers, pompiers, ambulanciers intervenaient pour soulager les hystéries à défaut d’avoir d’autres maux à soigner. En fait, plus que la peur, c’était l’angoisse qui motivait ces gens à ressentir des inquiétudes qui, objectivement, ne se concrétisaient pas. Le tout était signé de l’Armée révolutionnaire du Québec, un groupuscule qui passait jusqu’à ce jour pour complètement insignifiant.

Le climat de terreur engendre la terreur. La grossièreté du gouverneur Craig pouvait s’appuyer sur un pouvoir arbitraire, celui de la conquête militaire, et de la légitimité de la Couronne et du Parlement britannique. Celle du Premier Ministre Craig s’appuie sur un processus électoral démocratique qui, si démocratique soit-il, peut être usé arbitrairement. Craig - le gouverneur - n’a jamais été l’objet de menaces directes, par contre, les guerres napoléoniennes et les menaces américaines suffisaient pour insuffler aux colonisés l’idée qu’ils auraient pu se soulever contre l’autorité gouvernemental. Craig vivait une angoisse paranoïde issue d’une fièvre obsidionale mineure: les visées velléitaires françaises et l’agressivité que les Américains développaient de plus en plus devant les opérations d’enlèvements de marins américains par la marine britannique. La guerre allait se déclarer après le départ de Craig, mais à aucun moment, encore moins qu’en 1775, des Canadiens-Français rejoindraient les armées américaines, qui ne cherchèrent pas à les rallier.

Le gouvernement Charest ne vit aucune angoisse semblable à celle endurée par Craig, mais il sent son pouvoir menacé au moment où il s’engage dans une entreprise de conquête économique du Nord québécois, aussi, toutes les mesures dressées contre son gouvernement sont-elles perçues comme des menaces à la poursuite de son projet ambitieux de développement. S’il le faut, il étirera son mandat jusqu’à l’extrême limite de sa durée afin d’être certain d’enclencher le processus de liquidation des richesses naturelles aux investisseurs qui se montreraient intéressés. Des marchés, tel le marché chinois pour ne parler que de celui-là, peuvent se laisser facilement tenter par l’exploitation des riches mines du sous-sol québécois. C’est cette clientèle de nouveaux parvenus capitalistes que le gouvernement libéral courtise. De ses mines et de ses rivières, il entrevoit une économie compétitive à celle de l’Alberta qui se permet maintenant, avec le gouvernement conservateur Harper à Ottawa, de mener le Canada du bout de la baguette. L’alternative à l’indépendance du Québec passe par son renforcement économique. C’est la voie libérale de l’insertion du Québec dans le Canada. C’est là où son idéologie rejoint celle de Craig qui entendait assimiler la majorité francophone à la minorité anglophone par une union qui ne viendra que trente ans plus tard.

Le gouvernement Charest, comme le gouverneur Craig, a sa propre Clique du Château, non plus château Saint-Louis, mais le château Desmarais, à la Malbaie, Sagard. Les hommes d’affaires, toutes tendances politiques confondues, s’y retrouvent. Ce pôle baroque d’ornementations anachroniques et de classicisme kitsch donne un relui à une minorité dominante qui vit en partie des entreprises commerciales internationales. Comme la Clique du Château, qui comprenaient des riches seigneurs moins intéressés par le développement de leurs terres agricoles que par le commerce des fourrures ou du bois nécessaire à la construction navale d’un Empire essentiellement thalassocratique, la Clique de Sagard vit de la concentration des média, à commencer par la Presse (Power Corporation). La dynastie (père et fils) est étroitement liée à des entreprises françaises (Paribas, Dassault, Peugeot et Rothschild); la dynastie a contribué financièrement à l’élection de Nicolas Sarkozy, un arriviste politique dont la grossièreté a vite fatigué les Français habitués à plus de decorum de la part de leurs présidents. Moins portés que d’autres financiers à faire la manchette des journaux à potins, les Desmarais sont forts parce que discrets. L’excentricité de Sagard n’est que la libération d’un colonisé fortuné, longtemps refoulé, qui «veut faire comme si» il appartenait à la cour du colonisateur. Pour ces raisons, il a toujours exercé sur les partis Libéral du Canada et du Québec une influence occulte qui ne se traduisait pas seulement par le financement des partis politiques. L’esprit de Sagard, c’est l’esprit de la Clique du Château deux siècles après Craig. Il n’a pas changé; il n’a fait que s’adapter à l’évolution d’une situation déjà aliénée. Ce qui a changé par contre, ce ne sont plus les hommes d'affaires qui enveloppent le gouverneur pour mieux le surveiller et le dénoncer à ses supérieurs à Londres, mais c'est le gouvernement lui-même qui se rend au château prendre les commandes pour ensuite faire les livraisons de pizza de tout un chacun.

Cet esprit de «clique», autant que de classe, imbu le gouvernement libéral de lui-même. Il en tire plus de vanité et de légitimité que du processus électoral. C’est une ploutocratie plus qu’un parti dirigeant un gouvernement pour le bien de la collectivité. Cet aspect anachronique amplifie la légitimité du processus électoral qui n’est qu’une démocratie boutiquière dont le gouvernement demande le respect à l’égal de celui que nous aurions pour le boutiquier lui-même s’il s’avouait totalitaire. Seulement, comme le régime politique n’est pas totalitaire, le gouvernement libéral s’est lancé dans une suite de politiques qu’il a mené tambour battant contre des populations locales qui se sont mobilisées et ont décidé de lui tenir tête, pour enfin en triompher. Après s’être obstiné dans l’affaire du mont Orford, du Suroît, de la commission d’enquête sur la corruption dans le monde de la construction, chaque fois il a dû reculer, perdant ainsi la face aux yeux, et de la population et de ses bailleurs de fonds de la Clique du Château. L’ultime affrontement, celui de la contestation de la hausse des frais de scolarité, rendait son recul encore plus humiliant, pour ne pas dire impossible. Voilà pourquoi il s’est entêté une ultime fois dans sa confrontation.

Il est indéniable que la tendance à plier sous l’intimidation n’est plus acceptable pour la population québécoise. Le recours à une loi spéciale, une loi scélérate comme on en faisait en France à la fin du XIXe siècle pour museler les syndicats et les actions anarchistes, la loi 78, dont nous avons analysé ailleurs le contenu et les intentions, a transformé une confrontation à un affrontement potentiellement porteur de violence de part et d’autres. Cette loi, contestée par les mouvements étudiants et syndicaux, plait particulièrement aux Québécois mus essentiellement par des ressentiments inhibés et que des bavards grossiers et insolents de la radio et de la télévision poubelles entretiennent à travers leurs discours démagogiques. De Montréal à Québec, du Lac Saint-Jean à l’Abitibi, ils expriment avec vigueur un esprit de terroir qui n’a pas toujours la saveur d’un conte d’Alphonse Daudet ou de Marcel Pagnol. Ancrés dans une vision nationale passéiste, geignards mais soumis à la lettre plutôt qu’au principe du droit, ils focalisent sur les groupes contestataires une audace qui leur manque et qui ne pourrait que s’exprimer à travers une figure paternelle forte, un Duplessis par exemple. Un Pierre Trudeau ou un Jean Chrétien à la rigueur. Anti-intellectuels, anti-moderniste, anti-métissage virulents, ils se sentent, non sans raison, les laissés pour compte d’un développement régional épuisé. De la droite modérée représentée par le nouveau parti d’un François Legault, la C.A.Q. (disons plutôt la C(r)AQ), nous trouvons là un amalgame de petits entrepreneurs régionaux, de petits capitalistes jouets des grands sur la scène boursière, une masse régionale dont l’inertie dans l’anonymat et la pauvreté pèse sur la reprise en main de leur propre développement. Aussi, se plaindre et endurer en attendant l’occasion d’exprimer une parole vengeresse, reste la seule action qu’elle semble en mesure d’assumer.

À l’opposé, on retrouve une minorité bruyante qui refuse d’inhiber sa colère pour la traduire en ressentiments refoulés. Ici, l’exhibition peut aller des attroupements silencieux aux concerts de casseroles et aux manufestations. Les jeunes femmes s’y prêtent avec autant, sinon beaucoup plus d’ardeur, que les jeunes hommes. Comme en 1968, en Europe et aux États-Unis, les manifestations étudiantes ont débouchées sous toutes sortes de formes d’exhibitions, généralement festives, mais débordant parfois dans des confrontations violentes avec la police, celle-ci jouant souvent le rôle d’agents provocateurs pour obtenir sa part de contraventions exigée par un gouvernement qui veut se servir de ces manifestations pour terroriser l’ensemble de la population et détourner le vote des «pleins de ressentiments» vers le parti Libéral plutôt que la C(r)AQ, le parti qui mobilise leurs intérêts. La colère exprimée est essentiellement urbaine, et se fait entendre encore plus fort dans les grands centres métropolitains. Face aux Dutil et Courchesne, les manifestants présentent l'ours panda anarchiste et la banane. Sous Charest, c’est à Montréal, mais sous Craig c’était à Québec, là où le journal Le Canadien exprimait des idées libérales et démocratiques contestant l’absolutisme du gouverneur colonial qu'il devait sévir. Aujourd’hui, le Parti libéral n’éprouve pas le besoin de museler les média de communication courants : les journaux, la radio, la télévision sont pour lui. À peine les journalistes oseront-ils faire quelques observations ou présumer des doutes sur la qualité de la gouvernance du Parti, mais l’essentiel demeure ce respect du fétiche de l’urne électoral comme dispensatrice de la légitimité démocratique. Cette nouvelle convention démocratique s’est transformée en métaphysique de l’auctoritas, alors que le régime et le pouvoir ne sont détenus que par des groupes d’intérêts partiels de l’ensemble de la société. Ce sont plutôt par les média sociaux que se transmettent les appels à la désobéissance civile et à la résistance à la loi scélérate.

Le député de gauche, Amir Khadir, du comté qui fut celui de Gérald Godin et qui couvre une bonne partie du Plateau Mont-Royal, à Montréal, a été arrêté au cours d’une manifestation déclarée illégale. Sa fille était arrêtée le lendemain à la résidence de ses parents pour avoir participé à actes condamnés en vertu du code criminel de la ville de Montréal. Khadir, seul député de son parti Québec Solidaire à l’Assemblée nationale, avait annoncé qu’il n’appuierait pas la désobéissance civile, mais qu’il ne s’y opposerait pas. Pour y avoir participé, il est devenu la cible des policiers qui l’ont embarqué dans le panier à salade. Cette situation n'est pas honteuse en soi, comme le plastronnent les députés, tous partis confondus, puisque les députés Bédard, Blanchet et Taschereau ont été également emprisonnés par l'arbitrarité du gouverneur Craig. Déclenchant des élections, les trois députés prisonniers furent réélus dans leurs circonscriptions respectives. C'était déjà là de la désobéissance civile populaire! Cette situation a montré la lâcheté et le grotesque du Parti Québécois qui affichait le carré rouge en plein Parlement afin de défier le Parti Libéral au pouvoir. Combien de fois ai-je dénoncé la complicité tacite de l’opposition à la loi spéciale 78. Le Parti Québécois a une longue tradition de lois spéciales tout aussi scélérates que celle du gouvernement libéral, en commençant par les décrets votés en rafales à la veille de la clôture de l’Assemblée, à la Noël 1980, lorsqu’il était au pouvoir, réglant unilatéralement les conventions collectives avec les employés des différents secteurs publics, là où il recrutait sa base électorale et avec laquelle il avait fait la campagne référendaire du mois de mai précédent. Ayant perdu le référendum, le Parti se vengea sur sa propre clientèle en usant du baillon et en votant les décrets scélérats. En condamnant unanimement le geste de Khadir, le Parti Québécois a montré qu’il se soumettait à la loi scélérate, non parce qu’il la croit légitime, mais afin de réutiliser le même procédé si jamais il prenait le pouvoir. Parti Québécois et Parti Libéral: blanc bonnet, bonnet blanc du pourrissement du politique au Québec. Guenille et torchon dialoguant sur la même corde de linges sales.

L’éligibilité des juges est un problème qui n’a pas été résolu depuis le temps de Craig, alors qu’aux États-Unis, depuis longtemps, les juges sont élus par la population. Ici, les juges sont nommés par les différents partis qui accèdent au pouvoir. Là encore, l’indépendance des pouvoirs est bafouée: parlement, gouvernement et justice mangent dans la même auge que remplissent les maquereaux de la Clique du Château.

La résistance populaire à la loi scélérate, à la limite d’embrayer le terrorisme et la répression policière, conduit, en cette fin de printemps, le Québec sur le seuil d’événements qui, à l’exemple de 1970, ont dégénéré vers une crise sociale violente. La propagande ministérielle, s’appuie aussi bien sur la désinformation médiatique (par exemple : il y aurait moins de monde au Grand-Prix de la Formule-1 de Montréal à cause de la présence menaçante des étudiants, alors que c’est le détournement de la clientèle américaine qui aura, cette année 2012, sa première course de F-1 sur son territoire depuis des années), qu’elle s’appuie sur une publicité justificative, alors que le mouvement étudiant n’a pas encore les fonds pour se payer une telle campagne de racolage. Il est prémédité d’avancer si l’engrenage terroriste va se poursuivre et s’envenimer ou si les tribunaux viendront, par éthique juridique, à déclarer ultra vires la loi scélérate. Quoi qu’il en soit, le niveau de pourriture de la démocratie québécoise, avec ses partis souillés par la corruption et le clientélisme politique devant les milieux d’affaires, reprend plusieurs traits de caractère du gouvernement de James Craig dont les initiales se retrouvent, par hasard, dans celle du sinistre John Charest⌛
Montréal
7 juin 2012

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