dimanche 30 septembre 2012

Raymond Bachand : ce bout d'entrain méconnu

Raymond, dans son imitation de Pierre Verville

RAYMOND BACHAND : CE BOUT D’ENTRAIN MÉCONNU

Cette semaine, l’ex-ministre des Finances dans le gouvernement libéral du Québec, Raymond Bachand, annonçait sa candidature à la succession de Jean Charest à la tête du Parti Libéral du Québec. Lise Thériault, sa collègue de l’ancien cabinet, que les syndicats FTQ de la construction avaient déjà menacée de lui péter la gueule, est venue dire au micro que M. Bachand gagnait à être connu autrement que comme ministre des Finances, que c’était un homme plein d’humour et sympathique, que l’ensemble de la population gagnerait à mieux le connaître. L’ex-ministre Christine Saint-Pierre - dont on ne sait si c’est le fait de siéger à Québec ou les contre-effets de la ménopause, ne cesse de ressembler à un grosse chanteuse d’opéra -, pépillait le mot économie à toutes les phrases de son discours, pour nous dire combien l’économie du Québec est l’enjeu du programme économique libéral qui est le seul à pouvoir garantir la santé économique des Québécois… enfin, la même vieille poutine réchauffée depuis des lustres. Voilà ce genre de changement dont nous avons tous besoin!

Non, Raymond ne porte pas le carré rouge, c'est un coquelicot
Et de fait, je peux en témoigner, M. Bachand est vraiment un bout d’entrain qui mérite d’être reconnu pour son côté humoristique. D’abord, il n’y a qu’à lui regarder la tronche. Une bonne bouille à l’allure honnête, un sourire narquois lorsqu’il répond aux questions pièges des animateurs, un ton monocorde nasillard qui en ferait un excellent animateur des soirées mondaines chez Urgel Bourgie; on ne constate aucune différence dans son body langage entre le moment où il dit la vérité et celui où il profère un mensonge. Ça prend des dons d’acteurs exceptionnels, croyez-moi. Quand je pense que je ne peux même pas jouer de tours au téléphone parce que je ne peux m’empêcher de pouffer de rire, alors que lui nous a livré des performances exceptionnelles pendant des années à nos lire ses budgets… Il n’y a pas à dire, …je l’avoue, je suis jaloux.

Depuis la défaite pas très humiliante d'ailleurs du 4 septembre dernier, un mot nouveau, un mot volé aux groupes sociaux, aux manifestants du rues, à Québec Solidaire et ailleurs, le mot «militant» est apparu dans le langage des Libéraux du Québec. Entendre Raymond Bachand parler des «militants libéraux», c’est comme un oxymoron qui sonne fêlé seulement par la bouche qui le profère. Les «militants», il y a quelques mois à peine, c’étaient des êtres irresponsables, parcourant les rues de Montréal en tapant sur des casseroles, portant l’infâme carré rouge, s’opposant à la justice et à l’ordre (libéral). Depuis des années, j'ai toujours entendu parler des «membres» du Parti Libéral, jamais des «militants». Ceux-ci étaient considérés comme de bons citoyens, de bons bourgeois s'intéressant avant toutes choses aux affaires. Il y avait les «Jeunes Libéraux», comme pour faire pendant à l’aile jeunesse du Parti Québécois de l’autre bord, mais c’était plutôt des fils-à-papa de familles bourgeoises qui veillaient à leurs intérêts futurs et encourageaient le gouvernement à voter des lois qui les serviraient dans un avenir rapproché, au détriment de la population même s'il le fallait. C'est pour eux, pour les faire taire, que Charest a fondé le burlesque fonds des générations pour gaver les financiers à partir des fonds publics québécois. Mais, généralement, leurs propositions sont tellement impensables, irrecevables, irréalistes que le gouvernement lui-même s’empresse de les rejeter. Sont-ce de jeunes «militants»? En tout cas le mot est hirsute lorsqu’il sort de la bouche de M. Bachand.

Du mot «militant», nous passons à celui, tout aussi désopilant, de «conscience». Les Libéraux du Québec ont une conscience! La conscience des intérêts bien compris, cela on le savait, mais le mot conscience était ici superflu. Et voilà que M. Bachand et quelques autres le portent aux nues. Dans une entrevue aux Coulisses du pouvoir, à Radio-Can., ce joyeux compère et franc compagnon nous dit, sans trop bien expliquer, ce que c’est la nouvelle «conscience» libérale.

D’abord, conscience historique. Pour me faire plaisir, sans doute. M. Bachand nous dit que le Parti Libéral, de tous les partis, est le plus enraciné dans l’histoire du Québec. C'est vrai. Mais, il commence son histoire avec …Adélard Godbout (1940-1944) qui a donné le droit de vote aux femmes et créé l’Hydro-Québec. Puis «Lionel» Bachand débite la succession des grands libéraux : Jean Lesage, Robert Bourassa, Jean Charest. Des hommes d’entreprises, des hommes d’argent. Or, c’est là un traficotement chronologique de l’histoire du Parti Libéral, que j’ai dressée ici et , dans d'autres messages. M. Bachand occulte deux périodes importantes de cette histoire. D’abord les origines (de 1867 à 1900), où le parti était démonisé par les Ultramontains conservateurs pour son programme de liberté de conscience, d’association (syndicats) et de parole (publications, éditions), voire d’enseignement. À cette époque, oui, on pouvait être «militant libéral» sans faire rire de soi. Puis vint la période 1900-1936, où le Parti est devenu le «parti des honnêtes gens», c’est-à-dire des riches, vendant pour des peanuts aux multinationales étrangères des kilomètres carrés du territoires québécois, comme à l'Iron Ore et autres monopoles ou consortium miniers et forestiers. Là, le concept de «militant» confinerait à celui d’escroc et c’est ce sur quoi Maurice Duplessis le fit tomber, en 1936. Malheureusement, avec le despotisme de Duplessis tombait la dernière génération d’authentiques «militants» libéraux, les Paul Gouin et Philippe Hamel. La conscience historique de M. Bachand et du Parti Libéral est donc une conscience sélective, amorale sinon immorale, où la propagande l’emporte sur …la conscience morale.

Déjà là, il y a de quoi s’en tenir les côtes! Ce cher Raymond! L’honnêteté intellectuelle et politique l’étouffe. Le voici contre son successeur, le Péquiste Nicolas Marceau, dont il reconnaissait le jour de son départ du ministère, qu’il avait les compétences pour tenir le poste de ministre des Finances, le dénonçant maintenant parce que la rétroactivité (cachez moi ce sein financier que je n’oserais voir!) de l’impôt en capital sur les riches n’était pas prescrite dans le programme électoral du Parti Québécois. Quelle honte! Quelle effronterie! Quel manque d’honneur de passer en douce des mesures qui n’étaient pas annoncées durant la campagne électorale! Si je me rappelle bien, l’augmentation démesurée des frais de scolarité ne faisait pas partie, non plus, de la propagande libérale de la campagne de 2008… En termes de «conscience morale», je ne crois pas qu’aucun libéral du Québec n’ait de leçon à donner à personne! Et Bachand encore moins. Quand on lui pose la question sur l’abolition de la taxe santé, il évoque toutes les alternatives et autres modes par lesquels il aurait été possible de la faire avaler. Aussi bien dire qu’une taxe libérale possède en elle tous les moyens fiscaux pour ne pas être perçue! C'est la racine même des évasions fiscales que brandit là M. Bachand. Si les classes moyennes se pressent à s'engouffrer par le trou à rat par lequel passent tous les fortunés du Québec depuis des générations, qui restera pour remplir les poches du gouvernement? Puis lorsqu’on lui rappelle le cafouillis étudiant, l’intraitable Bachand d’il y a quelques quatre mois à peine nous dit qu’il faut financer les Universités (à cause de la compétition internationale, cela va de soi), mais qu’il est possible de retoucher la loi (c'est-à-dire de «négocier», là où son cabinet s'est obstiné à refuser de le faire) pour l'adapter aux conditions réelles! Ou M. Bachand n’était pas sincère il y a quatre mois, lorsqu’il refusait toutes modifications sérieuses sur la loi, ou il ne l’est pas présentement, ni pour l’avenir. Quel sens de l'éthique!

Enfin, M. Bachand laisse supposer qu’il a une «conscience nationale», puisqu’il appelle les nationalistes à devenir militants libéraux pour la modique somme de $5.00 pour deux ans. Une aubaine, un deux pour un! Le nationalisme libéral, c’est le rêve de l’empire austro-québécois, un Canada fédéral, impérial, s’occupant des affaires internationales et un Québec-croupion, couvant sa «différence» culturelle (le mot est de Bourassa, un «militant» libéral) au sein du giron maternel de la Mère-Patrie outre-Outaouaise, successeur de Paris, Londres et de Rome. Toutes ces chicanes constitutionnelles qu’aucun Libéral du Québec ne voudrait réouvrir pour continuer à s’occuper d’économie, c’est-à-dire à faire de l’argent pour les amis militants du Parti.

Si vous ne vous roulez pas déjà par terre, c’est probablement que vous avez le cœur sec d’un Sulpicien! Puis, on passe au mode de scrutin qui désignera le successeur de Charest. Un vieux mode des années 80 de l’autre siècle - le XXe, quand même! -, qui fonctionne à partir d'un congrès de délégués, à la mode américaine. Le vote universel - celui qui, chez l’A.D.Q., permettait aux plantes et aux caniches d'être inscrits et voter, et qui avait conduit à l’élection de Gilles Taillon à la chefferie, ce que tient à rappeler notre joyeux bout d’entrain flegmatique, - n’a pas sa faveur. La situation presse, le gouvernement minoritaire Marois pourrait tomber d’un jour à l’autre, tant une «coalition» libéral/caquiste pourrait le renverser et porter l’opposition officielle au pouvoir (la chose est constitutionnellement possible); il faut donc s’empresser de trouver un nouveau chef au Parti, donc il n’y a pas de temps à perdre à vouloir tout chambouller et réorganiser le mode de scrutin des «militants» libéraux. Ce qui nous a bien servi, peut toujours nous servir bien, et la «conscience» de M. Bachand ne dépasse pas sincèrement cet étroit cercle de reproduction sur soi-même.

Mais Raymond n’en démord pas, pour la plus grande douleur de notre rate. Il est impitoyable, ce Raymond! Il veut une vraie course à la chefferie. Il veut que les «militants» libéraux puissent se faire entendre des décideurs. Il veut, également, que le congrès à la chefferie soit un véritable brain storming, un «débat d’idées» comme il dit. Car les Libéraux ne pensent pas qu’à faire des piastres. Ils ont aussi des préoccupations d’ordre métaphysique. Ce ne sont pas des idiots. Il n’y a pas que le Parti Québécois qui soit motivé par un «rêve». Il n’y a pas que Québec Solidaire qui ait un sens de la solidarité sociale (Raymond considère que l'engagement social consiste à faire partie du conseil d'administration du Centre Charles-Bruneau. Cré Raymond!) Il n’y a pas que le Parti Vert qui se soucie de l’état de l’environnement. Il n’y a pas que la C.A.Q. qui… Non, quand même pas. Donc, derrière le militantisme libéral, il y a une conscience de la situation objective du Québec et des Québécois qui dépasse le simple fait que de faire de l’argent. Le seul problème, c’est lorsqu’il est question d’argent, tout le reste s’évapore comme par enchantement.

Et l’héritage Charest qu’il traîne, comme un boulet à son pied de forçat, qu’en pense-t-il? Pas du tout. Un tiers des Québécois qui se sont rendus aux urnes le 4 septembre dernier a montré que, contre les deux tiers qui n’ont pas voté libéral, que le gouvernement précédent a été un bon gouvernement, même s’il n’avait pas encore la conscience militante nouvelle ni qu'il pratiquait la souplesse qu’il aurait dû déployer pour éviter la crise étudiante. Côté éthique, il suffira de resserrer les manières de faire pour ne pas laisser les transits parallèles aller à hue et à dia, et, à défaut de redonner de la propreté au parti, du moins espérer le «blanchir» de sa mauvaise réputation. En fait, Raymond Bachand se présente comme le cardinal Ratz (Ratzinger) du pape Jean (-Paul II) Charest. C’est lui que ses collègues laissent sous-entendre qu’il était l’éminence grise de l’ex-premier ministre. Le maître d’orchestre de la politique financière du gouvernement, qui du coup de sa baguette, faisait jouer les ministères à l’unisson.

Cette vision sécurisante vise évidemment à contraster avec l’incompétence et l’improvisation de la première semaine du cabinet Marois, avec ses annonces précipitées et sur lesquelles, la première premier-ministre et son fou des finances sont déjà prêts à reculer au nom de l’ouverture et de la négociation avec les partis d’opposition. Ce qu'il ne fallait surtout pas faire une fois les décisions annoncées (dixit Machiavel). Tout cela ne devrait pas nous étonner.  L’incompétence des Péquistes et de leur cheftaine était déjà visible dès la campagne électorale. Pourtant, il n’y a pas que du mauvais dans cette improvisation. Fermer Gentilly II, c’est une bonne chose. Abolir la loi scélérate 78 des Libéraux est un geste d’honneur. Il en va de même d’abolir l’augmentation éhontée des frais de scolarité universitaire. L’abolition de la taxe santé va sauver de l’argent aux classes moyennes dont certaines franges vivent de revenus à la limite du seuil de la pauvreté (quand ce n’est pas en-dessous). C’est un triste constat, mais il arrive que l’incompétence paie. En ce qui concerne l’impôt rétroactif sur le capital, j’en ai touché un mot ailleurs et je n’y reviendrai pas. Contre les indécisions du gouvernement libéral en matière d’environnement (du Suroît au Mont Orford en passant par la Romaine); l’opportunisme dans le fouillage de porte-monnaies des étudiants (de la retraite de 2005 à l’exacerbation de la crise en 2012); l’usage d'une loi d’exception (de la loi 78 qui vaut bien la mesure rétroactive de la taxe sur le capital); d’une taxe santé qui était censée éponger les déficits créés par les tripotages autour du CHUM (les études répétées de faisabilités, les maquettes sans cesse retouchées, les chicanes de localisations, etc.), il n’y a pas à dire, le bilan libéral a été pire qu’une mauvaise gestion ou une gestion improvisée, pour autant que M. Bachand se félicite que c’est là le signe d’une saine gestion des affaires publiques! Qui n'en a pas des crampes se redresse…

Maintenant, si vous n’êtes pas convaincus que M. Bachand est un bout d’entrain qui, déguisé en clown, pourrait animer vos fêtes d’enfants, je ne sais plus où aller chercher meilleures preuves! Ou vous êtes un militant libéral qui croyez à tout ce qu’un apprenti-chef vous dit, ou vous êtes tout simplement de mauvaise foi. Il faudrait alors vous préparer à ouvrir un gîte pour riches pauvres chassés de Mount-Royal ou de Westmont par l’ignoble taxe rétroactive! Vous devriez demander le déplacement de la centrale nucléaire de Gentilly pour l’installer à Outremont! Vous devriez demander également la peine de mort contre Gabriel Nadeau-Dubois! Tant la sottise n’a pas de limites dès qu’on touche à la petite sécurité bourgeoise des Québécois. Pour ma part, malgré leur pathos ou leurs grimaces, jamais le docteur Couillard ni Pierre Moreau ne parviendront à remplacer Raymond Bachand en termes de purs comiques. Ce gars-là, il a fait l’École de l’Humour ou je ne m’y connais pas en matière d’ironie. Le seul qui pourrait lui porter ombrage, c’est Justin Trudeau, mais il se présente pour l’autre pallier de gouvernement. J’attends toujours qu’à son tour il parle des «militants» libéraux fédéraux pour commencer à le prendre …au sérieux⌛
Montréal
30 septembre 2012

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