vendredi 25 janvier 2013

Les écrins fleurdelysés




LES ÉCRINS FLEURDELYSÉS
Le peuple québécois sait manifester la reconnaissance pour ceux qui ont œuvrer à les élever et à les placer sur la carte. Voilà pourquoi, sans doute, devons-nous au Ministère des Relations internationales la gestion des types de funérailles officielles. Voici le cortège qui accompagne le corbillard se rendant aux marches de l’Église cathédrale, à Québec ou à Montréal. Les principaux représentants des corps politiques sont présents. Le lieutenant-gouverneur, le Premier ministre ou son représentant, le chef de l’opposition ou son représentant, des ministres du gouvernement fédéral intéressés à se faire voir. Puis suit le cortège des membres de la famille du défunt, les photographes de presse, la télévision. Un monseigneur, de Montréal ou de Québec, procède à la cérémonie. Chacun défile devant le lutrin pour dire combien la personne décédée était importante pour lui ou elle et surtout pour le peuple québécois. On énumère les mérites, les titres honorifiques, les apports personnels incontestables. Parfois, comme lors des funérailles de Pierre Eliott Trudeau, on assiste à des effets mélodramatiques d’un proche membre de la famille pour stimuler le human interest auprès des téléspectateurs afin de susciter une hystérie d'émotionalite aiguë. Mais là, nous sommes dans le processus fédéral. Limitons-nous ici aux funérailles officielles québécoises.


Puis, le cortège repart comme il est venu, et le corbillard, recouvert du fleurdelysé, sera mené au cimetière où un profond trou attend qu’on y dépose la dépouille regrettée. Ce cercueil, ou plutôt cet écrin fleurdelysé, s’il nous arrivait de l’ouvrir par curiosité (puisque nous sommes tous des ignorants des vraies choses de l’existence), nous ne trouverions peut-être pas le héros dont on nous parlait dans les éloges et les témoignages laudateurs entendus plus tôt, mais un crottin dur, dur comme une crotte gelée l’hiver. Comme ce Richard Garneau que Radio-Canada et TVA n’ont cessé, depuis une semaine qu’il est mort, de nous dire combien il doit rester précieux à la mémoire des Québécois.

Bien entendu, je devine certains ho là! pour me rabrouer par manque de respect pour un mort. Mais un mort n’est jamais plus qu’un vivant qui ne l’est plus. Et s’il n’est plus, les funérailles officielles sont là pour nous rappeler que nous devons poursuivre les œuvres et les valeurs que le décédé est censé nous avoir transmises. Donc, en un sens, il est toujours vivant. Et on peut dire du mal de lui.

Dans le système des funérailles officielles québécois, nous retrouvons différents types de funérailles. D’abord les funérailles d’État qui sont réservées aux ex-premiers ministres ou à un premier ministre en exercice et très exceptionnellement à un ex-ministre. 

C’est-à-dire que les Bouchard, Landry, les deux Johnson,
Funérailles de Maurice Duplessis, 1959
Charest et Marois sont déjà enlistés pour des funérailles d’État. Charmant cortège d’opportunistes, de refouleurs de revendications populaires, de fournisseurs d'aide sociale à des entreprises multinationales et fraudeurs de budget où le déficit annuel se voyait balayé dans la dette nationale, de personnalités incolores, inodores et sans saveur, de mercenaires grassement entretenus par leur parti politique ou de manipulateurs de mots sans substance. Voilà ce type de crottin que nous retrouvons dans l’écrin fleurdelysé suivant le protocole des funérailles d’État. Belles cérémonies en perspectives pour l’avenir.

Un degré plus bas, nous arrivons aux funérailles nationales réservées aux personnalités qui ont marqué la vie politique, culturelle ou sociale du Québec, selon une décision du gouvernement. Contrairement à l’automatisme des funérailles d’État, les funérailles nationales sont des choix politiques de l’un ou l’autre des partis au gouvernement au moment du décès de l’heureux concélébré. Nous y reviendrons.

Les funérailles civiques concernent essentiellement les hommages rendus à des maires, des policiers ou des pompiers morts en devoir, des personnalités au plan local. Avec toute la ribambelle de maires corrompus, fraudeurs, voleurs, petits tyrans de basse-cour, manipulateurs en tous genres, les écrins municipaux vont se substituer aux diverses décharges publiques de la province.

Enfin, les funérailles privées concernent les particuliers qui refusent l'une ou l'autre, par modestie, des funérailles précédentes. Ainsi, Alys Robi, la chanteuse de Tico Tico, n'a pas obtenu du gouvernement Charest de funérailles nationales, mais le gouvernement a accepté d'envoyer quelques breloques pour souligner son triste départ.

Le protocole retenu pour les funérailles nationales est plus simple que celui des funérailles d’État. Ici, le Parlement, qui sert ordinairement de chapelle ardente et d’exposition pour l’ex-Premier décédé, n’entre pas dans le protocole. Le tout «peut se faire dans une maison funéraire ou à tout autre endroit jugé adéquat comme un musée, une salle communautaire, etc. Ce choix se fait en tenant compte du secteur d'activité marqué par l'action du défunt. Par exemple, le hall d'entrée d'un musée peut être choisi pour la chapelle ardente d'un représentant du milieu culturel. Les drapeaux du [Parlement] seront mis en berne le jour des funérailles, de l'aube au crépuscule, la journée des funérailles».

Si René Lévesque a bénéficié des funérailles d’État, Claude Ryan, Louis Laberge, Jean-Paul Riopelle, Maurice Richard, Camille Laurin, Gaston Miron, Gilles Carle et plus récemment Denis Blanchette, l’employé du Métropolis qui a été tué par «the Canadian Patriot» Richard Henry Baines, ont bénéficié des écrins fleurdelysés supervisés par le protocole des funérailles nationales. Certains cas ont d’ailleurs soulevé des critiques, ainsi les funérailles nationales accordées au dauphin de Jean Charest, Claude Béchard alors que le même gouvernement les a refusées au poète, chansonnier et compositeur Claude Léveillé.

Évidemment, la présence de Denis Blanchette dans cette liste est tout à fait honorable. Mais nous devons retenir le fait qu’il a été tué avant de bien comprendre ce qui se passait. Force est de considérer ces funérailles nationales comme une reconnaissance d’une dette de la Premier Ministre, Pauline Marois. L’intention était bien marquée que ces funérailles étaient avant tout une propagande pour le Parti qui venait juste d’être élu avec un mandat minoritaire. La suite de ses cafouillages administratifs montre que l’opportunisme de récupérer toutes les causes et situations favorables à sa réputation était acceptable à ses yeux et que n’importe qui, qui se serait trouvé dans la ligne de mir du joyeux Bains, aurait mérité des funérailles nationales.

Pour Camille Laurin, le «père de la loi 101», le «protecteur de la langue française», celui qui a voulu redonner une fierté aux Québécois colonisés jusqu’au trognon (encore aujourd’hui), il apparaissait difficile pour quel que parti au pouvoir que ce soit, de lui refuser une telle reconnaissance. Pour le poète Gaston Miron, qui fut essentiellement le poète d’un seul livre, L’homme rapaillé, imposé dans les cours aux CEGEP depuis plus de trente ans, c’était un honneur facile due à la poésie mythique québécoise, car unanimement, nous le savons, tous les Québécois sont des poètes! Et comme l’écrit Victor Hugo dans son William Shakespeare, «Qu’est-ce qu’un poëte? S’il s’agit de l’honorer, rien; s’il s’agit de le persécuter, tout». Il en va de Miron que les partis ont honoré précisément parce qu’ils n’ont pas eu besoin de le persécuter. Vie pauvre, peu exposée, retiré dans son logement de la rue Saint-Hubert, comme je l’y ai vu une fois (je demeurais alors dans l’édifice adjacent), Miron devenait poète national parce qu’il n’avait pas l’étoffe de William Shakespeare ou de Victor Hugo et que bientôt, il ne serait plus qu’un nom. Comme Vignault et comme tant d’autres, il a véhiculé une idéologie nationale (-iste) qui n’insultait pas à l’ordre établi. Il en va de même de  Gilles Carle. Son calvaire des dernières années a fait de lui un cinéaste aussi mythique que Nelligan en poésie ou Borduas en peinture. De Carle, il y a du bon et du moins bon, du paysagiste de l’hiver urbain dans La vie heureuse de Léopold Z, au regard impitoyable sur la nature humaine de La vraie nature de Bernadette, jusqu'au délire religieux qui s’achève en tragédie dans Pâté chinois, c’est là le meilleur Carle. Sa lutte à la religion répressive, au rapetissement québécois, à la fraude qui se cache derrière les aspirations célestes des Québécois a fait la marque du meilleur Carle. L’autre, le moins bon, s’est abandonné à des gamineries comme La Postière ou La Guêpe, ou ne s’est pas montré aussi bon cinéaste qu’il l'était, comme avec La mort d’un bûcheron. Artiste venu des arts plastiques, Carle est-il notre plus grand cinéaste? Non. Mais il ne dérangeait personne du pouvoir. Il n’avait ni la caméra pamphlétaire d'un Falardeau, ni la poésie gauvresque d’un Gilles Groulx, qui eux n’ont pas eu le droit à des funérailles nationales. Bref, dans ces cas-ci, nous assistons à une récupération politique, à une façon d’embrigader des enseignes culturelles dans une séance collective de regrets qui apaisent surtout la bonne conscience des minorités dominantes de la société qui, du temps de leur vivant, fréquentaient assez peu et Miron, et Carle.

Par contre, combien d’autres étrons trouvons-nous dans les écrins fleurdelysés! Claude Ryan, médiocre vieillard qui faisait pleurer tous les bébés de peur lorsqu’il paraissait à la télé! Ce journaliste dont l’esprit relevait d’une autre époque (son doigt de Dieu a fait bidonner tout le Québec), qui avait donné son appui en 1976 au Parti Québécois, au temps où ce parti était sincèrement indépendantiste, avant de se retourner contre lui en se portant chef du Parti Libéral a achevé de ruiner le crédit qu'il s'était établi à la direction du Devoir. Chef de la gang du Non, il a proféré des énormités durant la campagne référendaire de mai 1980, alors qu’il était complètement effacé par les promesses sirupeuses de Trudeau et les menaces non voilées de Chrétien. Délirant le soir de la victoire du Non, contrairement à la face de plâtre de Trudeau qui évitait tout triomphalisme en jouant au réconciliateur des deux partis, Ryan sautillait en postillonnant qu’il allait être porté au pouvoir lors de la prochaine élection provinciale tandis que les partisans du Non s'empressait de quitter la salle une fois la victoire proclamée. Sur les ondes de Radio-Québec, Pierre Bourgault avait dit que Ryan montrait là qu’il était «le politicien le plus sale du Québec». Le mot était dit. On a vite oublié le «anybody but Ryan» aux élections de 1981 qui le renvoya dans l’opposition, jusqu’à ce que Robert Bourassa revienne de son exile honteux reprendre la tête du Parti Libéral. Bourassa conserva, sans enthousiasme, la présence de ce prédécédé jusqu’à lui offrir le ministère de l’Éducation supérieure où il se montra d’une inefficacité de singe de porcelaine.

Un autre crottin du genre à être déposé dans un écrin fleurdelysé, c’est le gros Louis Laberge, président de la Fédération des Travailleurs du Québec (la F.T.Q.) que Michel Chartrand ne cessait de houspiller et qu’il accusait d’avoir trahi les intérêts des travailleurs. Ce «pauvre» Laberge fut l’une des victimes du gouvernement Bourassa de 1971, lorsque les chefs des trois grandes centrales syndicales furent arrêtés et emprisonnés pour désobéissance civile à une loi spéciale obligeant les grévistes du secteur publique à retourner au travail. Croyant qu’il s’agissait d’une farce, en prison, il téléphona au ministre du travail, Jean Cournoyer, pour lui expliquer que ça ne se pouvait pas, qu’on ne pouvait pas RÉELLEMENT  les arrêter et les détenir à la prison d'Orsainville! Inutile de dire qu’il ne fut pas soumis au régime du pain sec et à l’eau ni enculé sous une douche. Ce spectacle d’humeur d’un gouvernement libéral frustré après la Crise d’Octobre de ne pas se voir obéi par les employés de l’État n’était pas aussi méchant qu’il paraissait. De fait, Laberge, président de la F.T.Q. laissa son syndicat se transformer en entreprise d’investissements capitalistes avec le Fonds de solidarité F.T.Q., patron qui, comme tous les patrons, se trouva souvent en opposition avec des travailleurs syndiqués …de la F.T.Q. Ce modèle fut suivi un peu plus tard par la C.S.N. Les syndicats devenaient des petits patrons qui subventionnaient des entreprises qui créaient des emplois, très souvent de sous-traitants. Les capitaux accumulés à même les cotisations syndicales des travailleurs apparaissaient comme un compromis qui éveillait en chaque travailleur le petit capitaliste qui sommeillait en lui. Voilà pourquoi ce gros crottin imbibé d’alcool eut droit à des funérailles nationales. C’était un honneur qui ne coûtait rien et montrait que collaborer avec les minorités dominantes et le parti au pouvoir, c’était rentable pour tout ambitieux qui se présentait à la chefferie d’un syndicat national. Gabriel Nadeau-Dubois peut dormir tranquille, même condamné il pourra toujours bénéficier, un jour, de funérailles nationales!

Et Maurice Richard? Le joueur mythique du Canadien. Celui qui, malgré lui, sans aucune action ni volonté de sa part, entraîna la première émeute des temps modernes de l’histoire du Québec, en 1955, au Forum de Montréal? Ce hockeyeur venu d’un milieu pauvre, vedette de hockey sur laquelle on projetait la furioso canadienne-française contre les «Anglais», ne faisait pas des millions par contrat, contrairement à nos vedettes actuelles issues de la débilité collective. Baignant dans un univers anglophone, il finit par répondre automatiquement en anglais aux questions qu'on lui posait. Pauvre, il dut vendre sa collection de cossins ramassés au cours de sa carrière et que les idolâtres s'arrachèrent souvent pour des bouchées de pain. L'État, lui, ne pouvait ne pas se rappeler qu’il appela au calme les partisans déchaînés qui renversaient et brûlaient des voitures sur la rue Sainte-Catherine et que la police de Montréal ne parvenait pas à endiguer. Ce héros, l'un des rares vainqueurs à s'illustrer comme «gagnant» fut bien honoré parce qu’il offrait aux Québécois ce dont ils avaient le plus besoin comme gratification : «gagner» (de l’argent, du pouvoir, des compensations en tous genres). Voilà pourquoi on pensera, dans quelques siècles, que Maurice Richard aura été un «esprit surnaturel» emparé du corps d’un joueur de hockey. Mais Maurice Richard n’était rien plus que cela, un joueur de hockey, talentueux sans doute, rapide (the Rocket, comme le surnommaient les Anglophones), mais sûrement pas une contribution imparable à la société québécoise. Bref, un symbole puissant, mais rien qu'un crottin en odeur de sainteté.

Et Jean-Paul Riopelle? Bien entendu, il méritait son écrin fleurdelysé, ne serait-ce que pour avoir indisposé durant une entrevue l’insupportable Robert Guy Scully, admirateur béat de Claude Ryan. Riopelle fut une réussite québécoise, mais comme Céline Dion, essentiellement ailleurs. En Europe, aux États-Unis, au Japon. Cet amateur de voitures sport, qui vivait la grande vie des surréalistes à Paris, parce qu’il a co-signé le Refus global de Borduas et Gauvreau, a eu une réputation d’iconoclaste. Mais bien peu des gens de la minorité dominante aurait voulu fréquenter cet ivrogne, ce délirant, ce poète abstrait du paysage québécois qui a fini sa carrière par une superbe murale dédiée à Rosa Luxemburg, de qui peu de Québécois savent qu’elle était l’une des leaders du mouvement Spartakiste, les communistes allemands de 1918, assassinée par les voyous des Frei Korps (qui formeront plus tard l’essentiel de la voyoucratie hitlérienne) sous les ordres du gouvernement social-démocrate (le N.P.D. allemand de l’époque) de Noske. Encore là, c’est le mythe Riopelle qui a été enseveli dans l’écrin fleurdelysée plus que l’artiste lui-même. Comme Miron, comme Carle, Riopelle n’était pas politiquement dangereux. Un brave bougre du Plateau Mont-Royal qui avait réussi, preuve que le vieux quartier de Michel Tremblay ne produisait pas seulement des Germaine Lauzon!

Alors, avant Richard Garneau, trouve-t-on de vrais crottins, des crottes dures et pures dans les écrins fleurdelysés du Québec? Bien sûr, Claude Béchard appartient à cette catégorie. Politicien mort prématurément (et rapidement) d’un cancer, il était apparu avec l’élection de Charest de 2003 comme un ministre jeune, batailleur et déterminé. En fait, un technocrate qui eut l’aide sociale comme premier ministère et qui continua la politique nocive du gouvernement péquiste précédent : appauvrir
Le bon peuple aime bien rendre hommage à son crottin
les assistés sociaux au point de les forcer à s’engager dans un marché du travail sans structures et sans avenir. Claude Béchard, rien de plus. À moins que déjà il pratiquait le patronage dans son comté, vieille rengaine libérale autant que péquiste. Dès 2006, le Service de Transport de Montréal publiait un appel d’offres pour le remplacement des wagons du métro de la ville. Le ministre Béchard s’organisa pour que l’assemblage se fasse dans son comté à l’usine Bombardier de La Pocatière, se disant prêt à contourner les règles des lois du commerce international sur les appels d’offre. Cette décision souleva la colère de la compétitrice Alstom à qui la cour donna raison. Bombardier et Alstom s’unirent alors pour former un consortium. En janvier 2010, le gouvernement modifia le contrat en haussant sa commande à 786 wagons. L'arrivée d'un nouveau joueur espagnol, CAF, dont la proposition fut jugée sérieuse, nécessita la publication d'un nouvel appel d'offres. 18 millions de dollars ont été ainsi dépensés uniquement dans la paperasse et le jeu politique. Fait pour assurer la réélection de Béchard en 2007, ce tripotage, en plus de coûter 18 millions en avocasserie, repoussa de plusieurs années la livraison des wagons indispensables pour remplacer les wagons vétustes du métro de Montréal. Bref, Béchard était une salope du Parti Libéral qui annonçait les autres saloperies que le Parti allait cumuler au cours des années ultérieures. Ce n’était pas un Paul Gouin; Béchard, c’était du Parti, un crottin.

Lorsque Stéphane Laporte écrit dans la Presse : «Claude Léveillée n’aura pas droit à des funérailles nationales. Le gouvernement du Québec en a décidé ainsi. Inculte!», il souligne la défaillance endémique culturelle et intellectuelle du personnel politique québécois depuis des décennies. Pour lui, «Bouder Léveillée, c’est manquer de mémoire, de goût et de coeur». Il en sera de même pour Alys Robi à qui le même gouvernement Charest refusa des funérailles nationales malgré la grande réputation qui fut celle de la vedette dans les années 40-50. Claude Léveillée avait été l’amant de Piaf. La carrière internationale d'Alys Robi fut tragiquement interrompue par des traitements sévères contre la maladie mentale. Alys fut une Céline Dion qui n’eut pas la chance d’avoir un manager capable de lui organiser une carrière sur le modèle des vedettes américaines. Si Léveillée et Robi n’ont pas attiré davantage l’attention du gouvernement Charest, ce n’était pas parce qu’ils étaient des figures «politiques» gênantes. C’est seulement, comme le dit Laporte, par inculture. La ministre Christine Saint-Pierre, qui troqua sa respectabilité pour un plat de merguez libérales tant elle reste toujours aussi bête dans son obstination partisane, n’a jamais démontré plus de soucis d’honorer de vraies personnalités québécoises qui ont contribué à l’enrichissement intellectuel ou spirituel de la population québécoise. Des vedettes sans compromissions politiques, des symboles éthérés d'une réalité aliénante, les funérailles nationales n'ont de nationales que les intérêts politiques conservateurs des dominants de la société québécoise.

Et voici maintenant que son successeur péquiste donne des funérailles nationales à cette voix sans pensée que fut celle de Richard Garneau. Pourquoi? Qu’a fait cette logorrhée de la boîte Radio-Canada pour mériter des funérailles nationales? Eh bien, c’est assez simple. Pendant vingt-trois ans, il a doublé de sa voix ce que tout le monde pouvait voir avec ses yeux. Il a contribué à faire croire que le hockey était un sport plein de stratégies, de tactiques, de préparations, de planifications, d’évaluations scientifiques des joueurs, de longueur de portée de pisse d’une ligne bleue à une ligne rouge. Chaque samedi soir, le vide se déversait de sa bouche sur le ton de la préciosité radio-canadienne comme il n’en existe plus, afin d’entraîner la foule devant le téléviseur à lever le coude, à manger jusqu’à péter, à vomir durant la nuit. Richard Garneau, comme André Lecavalier avant lui, s'est efforcé de donner un statut d'honorabilité à un sport de consommation de masse, rempli de gros bras braquant une rondelle contre un filet et sortir vainqueur en brandissant, en signe obscène, un bras terminé d'un poing fermé qui imitait une bite sortie d'une chatte après l'éjaculation. Cela ne mérite-t-il pas des funérailles nationales?

Eh puis, si le hockey ne suffit pas pour justifier cette apothéose, il faut ajouter qu’au vide populacier, il ajoutait un standing au vide aristocratique! N’a-t-il pas couvert 23 Jeux Olympiques, depuis ceux de Rome en 1960 et ce jusqu’à Londres en 2012! On le dit spécialiste d’athlétisme! Pourtant, je l’ai toujours vu assis bien cambré dans sa chaise radio-canadienne! Faut-il en venir à confondre le perroquet avec l’athlète? Et ces si beaux spectacles de patinage artistique qu’il commentait avec Alain Goldberg, commentaires tellement insupportables qui ensevelissaient la musique sur laquelle dansaient les patineurs qu’il fallait aller les regarder sur CBC anglophone où là, du moins, les commentateurs se taisaient pendant les prestations.

Car il faut bien avouer, toutefois, que Richard contribuait physiquement à la cause. À l’ère du jogging et de ces biches en costumes moulants qui traversent à toute vitesse, écouteurs sur les oreilles, les allées des parcs montréalais, il créa le Marathon international de Montréal en 1977, où il s’est montré le champion ex-aequo avec son collègue Serge Arsenault. La belle affaire! Donne-t-on des funérailles nationales à tous ces joggers insouciants qui crèvent d’une crise cardiaque en se lançant dans des courses effrénées? Qu'importe! Garneau a présidé la Fédération québécoise d’athlétisme dans le cours des années 1970. Ce descendant du grand historien François-Xavier Garneau conservait toutefois une langue dont on lui attribue le mérite et qui n’est pourtant que le prolongement de celle de René Lecavalier qui a su, au moins, inventer une terminologie française au hockey!

Mais les mérites attribuées à M. Garneau sont nombreux :
    •    1955 : Trophée Radiomonde décerné à l’artiste le plus populaire au Québec
    •    1959 : Trophée Radiomonde décerné à l’annonceur le plus populaire au Québec
    •    1970 : Prix du plus bel homme du Québec, par l'émission « Appelez-moi Lise », animée par Lise Payette, sur les ondes de Radio-Canada
    •    1976 : Trophée du meilleur commentateur des Jeux Olympiques de Montréal, remis par le Club de la Médaille d’or
    •    1994 : Prix du Mérite du français, section Culture (attribué à une personne ayant démontré des qualités remarquables sur le plan de la langue dans son domaine d’activité; le choix est fait par l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, par la société des auteurs, recherchistes, documentalistes, compositeurs et par l’Union des artistes)
    •    1997 : Trophée de l’Académie des Prix Gémeaux pour l’ensemble de sa carrière
    •    1999 : Membre du Temple de la renommée du hockey
    •    2000 : Chevalier de l'Ordre national du Québec
    •    2000 : Sports Media Canada Achievement Award, du chapitre canadien de l'Association internationale de la presse sportive (AIPS)
    •    2003 : Académie des Grands Québécois
    •    2003 : Prix Hommage Jacques Beauchamp, au 31e Gala Sport Québec
    •    2004 : Prix Sport Media, décerné par le Comité international olympique
    •    2005 : Docteur honoris causa en éducation physique, de l'Université de Sherbrooke
    •    2006 : Membre de l'Ordre du Canada
Il est aussi récipiendaire de quatre prix Gémeaux, respectivement pour La Soirée du hockey (1986 et 1989), le Marathon international de Montréal (1987) et les Jeux olympiques de Barcelone, présentés à l'antenne du Réseau TVA (1992).

Après de tels états de service que vaut la peau d’un mineur qui a travaillé 35 ans au fond d’une mine du matin jusqu'au soir? Sûrement pas un écrin fleurdelysé.

Soyons sérieux, M. Garneau reçoit des funérailles nationales parce que c’était un monsieur politiquement bien placé auprès de tous les partis : fédéral et provincial; capable de siphonner l'argent des possédants pour des entreprises sportives. S’il l’avait fait pour des entreprises intellectuelles, sa mort n’aurait même pas été mentionnée en onde. C’est là où ses talents d’athlète sont les plus remarquables : dans la course aux mondanités et aux subventions sportives. Autrement, cette version soporifique de la Pythie de la Sainte-Flanelle, avec son troupeau de fidèles béats prêts à payer des petites fortunes pour assister au forum à des célébrations consensuelles de la compétitivité au nom de la bonne santé et du culte de l’exercice physique, serait disparue comme tant d'autres. Approvisionnant ainsi une masse de consommateurs sportifs, tantôt avec des joueurs de hockey incultes et narcissiques, des patineurs artistiques dont on nous décrivait les triples axels parce que nous étions trop cons pour les remarquer avec nos yeux, Richard Garneau  complaisait à ces immenses fraudes d’aristocrates et de grands bourgeois que sont les Jeux Olympiques autour desquels gravite la grande corruption, celle des riches, qui achète des membres du Comité Olympique, des médecins spécialistes dans l’art du dopage indétectable, des tortionnaires d’enfants et d’adolescents que l’on pressurise et martyrise impitoyablement pour obtenir des performances à la hauteur de l’efficacité du système social, capitaliste ou communiste, et que l'on appelle des «entraîneurs» (pourquoi pas des souteneurs?). Voilà le mérite de Richard Garneau derrière les titres de Monsieur Radiomonde ou de l’Ordre National du Québec. Voilà un nom qui passera sûrement à l’histoire des alzheimers québécois de l’an 2100!

Oui, les écrins fleurdelysés, ces cercueils recouvert du si précieux drapeau national agissant un peu comme un papier cul, célèbrent des individus dont le rôle essentiel est de contribuer à l’anesthésie de la conscience collective et à son rapetissement à des divertissements dont le seul but est le défoulement hystérique. Des symboles éculés, des noms pour épater la galerie, des exempla pour des adolescents sans autre projet d’avenir que (comme des chiens entraînés et conditionnés) gagner des médailles et décrocher des publicités, comme cette caricature de Despaties sortant son Big Mac de son slip et y mordant à belles dents. Et la langue de Molière, proférée comme un latin moderne adapté au cirque de la bêtise tricolore. Pourquoi faire une commission Charbonneau pour chasser les fraudeurs et les imposteurs qui détournent nos taxes et nos impôts quand, d’un autre côté, nous en hissons un aux honneurs nationales?⌛
Montréal
25 janvier 2013

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