jeudi 31 mai 2012

Un pied dans le crime

Luka Magnotta. Un pied dans le crime
UN PIED DANS LE CRIME
                                                                                                               Lucette
Eh bien, papa lui a donné son pied… C'est pas aimable,
car enfin c'était poli de la part de Budor d'aller aider Catherine.

Eugène Labiche
Un pied dans le crime
Acte I, scène 5
La psychanalyste Marie Bonaparte (1882-1962), élève et protectrice de Freud lorsque les officiers nazis le détenaient avec toute sa famille à Vienne, a écrit : «De tout autre nature est l’effet produit par les meurtriers sadiques. Lorsque paraît sur la scène un de ces rares grands pervers, tel Vacher ou Kürten, qui tuent pour le simple plaisir, l’âme entière de la foule est soulevée. Non pas par l’horreur seule, mais par un étrange intérêt, qui est la réponse de notre profond sadisme au leur. On dirait que nous tous, malheureux civilisés, aux instincts entravés, sommes en quelque façon reconnaissants à ces grands criminels désintéressés de nous offrir de temps en temps le spectacle de nos plus primitifs et coupables désirs enfin réalisés. Nous pressentons obscurément, sans oser nous l’avouer, que la plus grande jouissance érotique crue, c’est peut-être eux qui l’ont connue» (Edgar Poe Sa vie- Son œuvre, Paris, P.U.F., Col. Actualité psychanalytique, 1958, pp. 822-823). Ce constat est particulièrement applicable présentement à ce qui se passe, à Ottawa et à Montréal depuis le 29 mai 2012, lorsque le bureau du Parti Conservateur du Canada, à Ottawa, a reçu un pied humain dans un colis. Certes, s’il y a bien des coups de pied qui se perdent actuellement au Canada, c’est bien à l’égard du Parti Conservateur qu’ils devraient être donnés, mais quand même… Le même soir, au bureau de poste de la même ville, un colis, adressé cette fois au Parti Libéral du Canada, dégageant une odeur nauséabonde, on l’ouvrit pour y découvrir une main. Là encore, le Parti Libéral mériterait dix fois plutôt qu’une d’être giflé, mais à ce point… Au cours de la même journée, un torse humain d’un homme blanc ayant subi de nombreuses lacérations était retrouvé dans une valise, près d’un immeuble appartement dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal. Et le chef du N.P.D.,  Thomas Mulcair attend toujours, les bras croisés, de recevoir son morceau de robot. Pour le moment, on tient là trois morceaux de cadavres dont on cherche toujours la tête.

La police de Montréal n’a rien eu à dire sinon que le crime était horrible, horrible! Depuis, une flopée de docteurs Marvin Monroe se succèdent devant les micros de radio et les caméras de télévision pour apporter leurs judicieuses expertises sur la personnalité typique du sadique, bien que la police ait désigné un suspect qu’on tient déjà pour l’auteur du crime, car il se serait filmé lui-même en train de commettre l’acte irréparable pour le diffuser sur You Tube. Du coup, la légende urbaine, fort populaire dans les années 1990, du snuff movie était relancée. Avec les trucages et les films de mauvaises définitions tournées à même des mp3 et autres téléphones-caméras, il est difficile de distinguer le vrai du faux. Récemment, un artiste québécois a défrayé les manchettes pour avoir été suspecté par la police de tels crimes, alors qu’il est couramment employé pour réaliser les scènes gore de films d’horreurs québécois, canadiens et américains.

Bien que la police dise que la victime est connue et qu’elle était un proche du suspect, son identité et son historique restent encore peu connus. Le suspect porterait plusieurs noms: Eric Clinton Newman, Luka Rocco Magnotta, Vladimir Romanov et probablement plusieurs autres, ce qui n’indique en rien que notre assassin présumé serait un schizophrène mais bien plutôt un type à l’identité chancelante propre au milieu où il travaille : le cinéma pornographique. Cet androgyne à visage angélique n’en serait pas à ses premières frasques. Il s’est filmé en train de sacrifier un chaton à un python, vidéo placé également sur You Tube qui a fait bondir, avec raison, les groupes de protection des animaux. Originaire de Toronto, le Québec n’est que le décor de sa mise en scène. On lui a prêté une liaison avec la célèbre Karla Homolka qui, pendant dix ans, a défrayé les machettes pour avoir livré sa sœur et une autre jeune femme à son sadique époux, Paul Bernardo, dont Newman-Magnotta-Romanov pourrait se prendre pour l’émule. De son côté, Newman-Magnotta-Romanov a nié avoir eu quelque relation avec la sulfureuse Karla.

Parce qu’androgyne et bisexuel, Marvin Monroe pense trouver les origines du sadisme de Newman-Magnotta-Romanov dans la difficulté à fixer son identité propre entre les deux pôles de l’identité sexuelle et de l’orientation d’objet. Un siècle et demi plus tôt, Krafft-Ebing aurait sorti meilleures observations. Sadique, en effet, Newman-Magnotta-Romanov suit la progression habituelle des Gilles de Rais et autres grands tueurs sadiques de l’histoire. Il commence par des animaux, puis franchit un pas de plus dans la transgression en tuant un humain, puis devient un prédateur en chasse. Sa première victime, peut-être un partenaire de jeu sado-maso dont on ignore encore jusqu’à quel point il était consentant dans la mise en scène finale, nous révélera peut-être plus sur la nature de leurs relations. Qui ne se rappelle comment est mort le compositeur Claude Vivier (1948-1983), le 7 mars 1983, lorsqu’à son domicile parisien il fut poignardé de 45 coups de couteau assenés par un prostitué âgé de 19 ans qu'il avait racollé le même jour dans un bar gay. Son corps n’a été découvert que le 12 mars enroulé dans un matelas. L'assassin appréhendé plus tard, fut finalement condamné pour ce meurtre. Vivier était masochiste et, pour une fois, son bourreau avait forcé sur la commande! Il est possible que la mise en scène de Magnotta puisse avoir été aussi bien élaborée avec le consentement de la victime, qui ne pouvait prévoir qu'il perdrait le contrôle sur son bourreau et que le pouvoir passerait du fantasme du maso à celui du sadique. Pendant que les vidéos étaient mis sur la Toile, des colis postaux arrivaient, contenant le pied aux Conservateurs et la main aux Libéraux, accompagnés de lettres informant que quatre autres colis seraient en circulation et que le criminel entendrait poursuivre sa carrière en s’en prenant à d’autres victimes, ce qui ne devrait étonner personne.

Nous nous faisons rarement une idée juste de ce que sont les psychopathes. Nous les prenons pour des êtres totalement psychotiques, égarés de la réalité que nous pensons mieux cerner par notre rationalité et l’éducation de nos pulsions. Les psychopathes sont souvent plus en contrôle de leurs pulsions que nous le sommes. Ils exercent sur leurs tensions une contrainte, non en vue de les réprimer ou de les sublimer, mais afin d'en augmenter la jouissance au moment de la libération. Les cas célèbres de Haarmann (1879-1925), le boucher du Hanovre et de Kürten (1883-1931), le vampire de Düsseldorf, tuaient, le premier, des jeunes prostitués, le second des fillettes, procédaient des meurtres en série. En public, auprès de leurs voisins, ces assassins se présentaient toujours comme des hommes aimables, courtois, polis, raffinés même. Le docteur Hannibal Lecter, dans la série des romans et des films qui ont rendu populaire l’auteur Thomas Harris et l’acteur Anthony Hopkins, représente leur quintessence. S’il mord à même les corps, Lecter préfère toutefois apprêter aux petits oignons les viscères de ses victimes. Fasciné par la Florence de la Renaissance, il ne peut supporter d’entendre un mauvais accord dans un concert, signe de ce que Poe attribuait à son Roderick Usher d'une hypersensorialité maladive. La maîtrise du fusain lui permet de recréer les grands monuments de la Renaissance italienne, sur papier dans sa cellule lugubre. Il discoure devant des éminences sur Dante et évoque la conjuration des Pazzi. Il connaît la facilité avec laquelle le commun des mortels se laisse corrompre, ce qui les rend méprisables à ses yeux. Ce que nous apprenons de ce personnage de fiction, est la conjoncture qui règne entre la délicatesse de la sensibilité et l'extrême cruauté que l'on retrouve également chez Mishima. Ce héros nietzschéen d’une mouture nouvelle, après les Germains aux yeux bleus d’Adolf Hitler, comme dans l’analyse que Marie Bonaparte donne d’Edgar Poe et de Baudelaire, est surtout fasciné par la figure maternelle avec laquelle il s’identifie et, comme la femme-araignée, finit par dévorer les hommes (qui sont généralement les victimes de Lecter) qui s'accouplent avec elle, s’appropriant plus que le nom-du-père, mais littéralement son identité sexuelle et morale. Ce modèle synthétisé dans une fiction offre un point de comparaison avec le cas réel celui-là, du cannibale de Milwaukee, Jeffrey Dahmer (1960-1994), au regard éteint, qui, niant son homosexualité, faisait disparaître ses victimes en les dépeçant, congelant certains morceaux comestibles et dissolvant les parties dures dans des barils d’acides. Lui aussi, comme Haarmann, il s’en prenait aux jeunes prostitués mâles. Avec le peu que nous savons de lui, Newman-Magnotta-Romanov (né en 1983) se situe quelque part au croisement de ces deux sphères.

Ayant servi de modèle et joué dans des films pornos, le narcissisme de Newman-Magnotta-Romanov est confronté à la scission de sa personnalité entre le mensonge du jeu dramatique sexuel et une autonomie insaisissable de la personnalité. Cette confusion donne l’impression au premier Marvin Monroe venu qu’il est psychotique, bien qu’il maîtrise efficacement les réseaux sociaux et commette des actes spectaculaires dont il maîtrise parfaitement la mise en scène et sait très bien l’effet de terrorisme psycho-politique qu’il veut susciter. (L’attitude des députés aux Communes, depuis la réception du pied au bureau du Parti Conservateur, est nettement celle d’un état de choc, ce qui doit combler d’aise le narcissisme du meurtrier). Newman-Magnotta-Romanov peut se filmer en train d’asphyxier des chatons et ensuite se faire photographier pour démentir la vidéo en se présentant comme un ami protecteur des animaux sans qu'à ses yeux il n'y ait la moindre contradiction. Cette première étape dans la confusion des messages traduit la condensation du mensonge théâtral et de l’autonomie insaisissable. Il n’y a donc pas rupture de l’une à l’autre des attitudes. La continuité est claire entre le chaos intérieur et l’affirmation sociale. Aux yeux de Newman-Magnotta-Romanov, les deux s’abolissent pour ne plus faire qu’une vérité subjective. Il se voit, avec les yeux du spectateur, jouer ses scènes pornos, comme le protecteur des animaux assiste à la première transgression qui lui a révéler que tuer était un jeu qu’on pouvait renouveler ad infinitum, à l’exemple de l’acte sexuel. Le meurtre des chatons n’était qu’une expérience dénuée de toute sexualité, la satisfaction de la destrudo étant la fin en soi. Ayant «joué» l’orgasme devant les caméras, il pouvait accéder à une étape supérieure : le meurtre d'un être humain porté à l’écran, la mise à mort d’une victime renvoyant aux chatons asphyxiés, le plaisir sexuel en sus. Car, cette fois-ci l’intrication sexuelle dominait le carnage, et se matérialisait à travers l’arme : le couteau.

Écoutons encore Marie Bonaparte nous éclairer des origines fantasmatiques du sadique qui «reproduit dans la réalité la conception infantile de coït qui était celle de l’enfant assistant à l’accouplement du père avec la femme. C’est un spectateur qui ayant assisté, autrefois, à une tragédie fictive donnée sur un théâtre, y a cru et la joue à son tour lui-même dans la vie» (ibid. p. 820). Transposée chez Newman-Magnotta-Romanov, il répète cette tragédie originelle dans chaque scène porno où il est sodomisé ou pratique la fellation. Le pénis du partenaire castre le pénis de la victime. Sa réification, sa réduction à l’état d’objet passif le dépossède de son narcissisme, c’est-à-dire de sa puissance, de son autonomie dont le «raffinement» culturel est la plus-value. C’est alors qu’il quitte le champ bonifié du docteur Lecter pour se retrouver dans celui, honteux, de Jeffrey Dahmer, homosexuel qui cachait son impuissance en ligottant ses victimes, les paralysant par une drogue, puis exerçant des fantasmes «thanatopolitiques» sur leurs corps. Il perça ainsi un trou dans le crâne de l’une d’elles pour y verser de l’huile à batteries seulement pour voir quel effet une telle opération exercerait sur l’organisme encore vivant. Haarmann, lui aussi proche de Dahmer, mordait ses victimes pendant le coït en les prenant à la jugulaire. Venait ensuite le dépeçage minutieux. Couteaux et hachoirs ramenaient les corps à leur degré ontologique zéro: celui de viande, d’objet, de déchet.

Il faut s'arrêter un instant sur l'androgynie de Newman-Magnotta-Romanov, car le viol masculin se répète sur la partie de son androgynie identifiée à la féminité de sa personnalité. Celle-ci est volontairement cultivée. Non seulement pour la commande des producteurs et des réalisateurs de publicité, mais parce que son corps même s'inscrit dans cette ambivalence sexuelle qui lui permet de commercialiser son corps pour la pornographie. Si l'androgynie du modèle et la demande des commanditaires se conjuguent, elles ne se confondent toutefois pas. Cette féminité se distingue même de la passivité dans la mesure où elle exercera une certaine attraction agressive en recourant à la zone érogène féminine par excellence de son anatomie : ses seins, comme il aime les montrer dans certaines de ses photographies les plus racoleuses. Il confond d'ailleurs cette partie féminine de son androgynie avec une activité physique, sportive, proprement masculine, ce qui attire la confusion des genres comme nous pouvons le constater sur cette photo où il figure en joueur de basketball.  Newman-Magnotta-Romanov peut ainsi exciter chez le «client», son attirance à la fois pour la réminiscence maternelle et le désir de possession de l'objet masculin. De la lactation du sein à la fellation du pénis, la transubstantiation du lait en sperme parvient à maintenir la synthèse androgynique, c'est-à-dire l'attitude victimaire de la figure maternelle et l'agressivité de la figure paternelle.

Son androgynie joue également sur le mode du fétichisme des icônes populaires dans la culture gay, James Dean, interprété par son idole James Franco, et Marilyn Monroe, dont on peut suivre l'évolution de l'appropriation en termes de références jusqu'à son identification formelle physique à travers deux photos qu'on ne peut considérer commandée par le milieu de la porno gay. Dans le premier cliché, Newman-Magnotti-Romanov est encore l'adulateur du jet set d'Hollywood Boulevard. Dans le second, la transformation s'est complètement opérée. La synthèse, une fois achevée, donne effectivement le résultat qu'observe nos bons Marvin Monroe, c'est-à-dire la confusion des genres où l'identité sexuelle se perd entre le garçon et la fille, entre la blonde platine aux grands seins bruns et l'ange-voyou voué à la violence.

Le fantasme du sadique, selon Marie Bonaparte s’appuie sur «l’élément phallique érotique de ces conceptions infantiles… figuré souvent, ici, par le symbolisme du couteau ou de quelque autre engin meurtrier. Le meurtrier sadique est un homme qui prend, à la lettre, ce symbolisme : le couteau, par exemple, chez lui, devenu un véritable fétiche, au sens sexuel, en vient à lui sembler une annexe de son corps. Le sadique est d’ordinaire impuissant dans le coït normal et ce sont les mouvements meurtriers de va et vient de l’acier dans la chair de ses victimes qui lui procurent cette croissance de l’excitation, aboutissant à l’éjaculation, liée pour les hommes normaux au va et vient du pénis dans le vagin féminin» (ibid. p. 820). On comprend un peu mieux la «fable» des chatons avalés par un python qui annonce et contredit à la fois le mode criminel de Newman-Magnotta-Romanov. L’arme qu’il reçoit est en même temps l’arme qu’il possède. Sodomisé ou astreint à la fellation, il est dans l’état d’impuissance que sont les chatons effrayés d'être engloutis par la gueule du serpent. Ici s'opère un renouvellement du fantasme du vagina dentata en même temps que le serpent demeure symbole phallique meurtrier.  Dans cette situation, il éprouve à la fois la jouissance liée à la pression sur la prostate associée à la douleur violente de la pénétration anale (tight ass). Notre psychanalyste note que «l’élément érotique anal est ici représenté sous sa forme la plus crue, la moins transformée [sublimée]. […] Le meurtrier sadique… en semble resté au stade où l’enfant, ayant découvert la puissance destructive recelée en son intestin, la projetait au dehors, grâce au développement concomitant de son système musculaire, sur les objets environnants, en une sorte d’ivresse à la Çiva. Et de même qu’au temps de l’enfance le phallus, l’organe érectile et érogène par excellence, s’était mis au service de ce goût de la destruction - grâce à l’aide, d’ailleurs, de la conception sadique des coïts observés par l’enfant - de même le pénis du meurtrier, par l’intermédiaire du fétiche en acier qui le double se fait indirectement l’organe exécuteur de l’agression érotisée» (ibid. pp. 820-821). Les pieds et les mains (et peut-être la tête) postés aux partis politiques sont des dé-chiés de l’orgasme de l’assassin sur les instances politiques démocratiques qu’il considère comme les auteurs de la tragédie fictive donnée sur le théâtre originel, bref l'association classique au Père-État. En prostituant son corps pour la répétition du fantasme tragique, pour subsister, pour vivre, pour payer ses impôts, pour les poursuites judiciaires déjà entreprises par le passé contre lui, il éclabousse la figure paternelle du sang merdique qui accompagne les pénétrations anales. Ici, il se confine bien dans la sphère du dé-chié de Jeffrey Dahmer (appartement sordide où sont commis tortures, meurtres et dépeçages, où règne une odeur écœurante, l’orgasme de sang attire les média comme le sucre les mouches).

Reprenant en main son sexe, toutefois, il accroît la jouissance en l’associant désormais au couteau. [ici, un pic à glace]. Nous ignorons si Newman-Magnotta-Romanov est passé à la troisième phase du fantasme : «L’élément oral érotique est chez lui tout aussi près de l’idéal infantile, poursuit Marie Bonaparte. Les “amoureux” meurtriers, au lieu de donner des baisers aux objets de leur flamme à l’instar des autres amoureux, boivent volontiers le sang ou mordent, mangent même souvent, la chair de leurs victimes, tout comme le nourrisson suçait le lait, mordait et eût voulu manger le sein maternel» (ibid. p. 820). Là, il reviendrait totalement dans la sphère «platonicienne» d’Hannibal Lecter, de son goût pour le néo-platonisme renaissant. Newman-Magnotta-Romanov aime se faire photographier devant des monuments de civilisation. Le Louvre, la Tour Eiffel, le Kremlin, etc. Certes, Newman-Magnotta-Romanov n’a pas la culture de Lecter. C’est un amateur qui ne maîtrise pas, contrairement au personnage fictif, une connaissance érudite qu’il pourrait asservir pour assouvir ses pulsions. En témoigne le blogue où il développe l’idée qu’il pourrait «disparaître» comme par enchantement et qu'on ne pourrait le retrouver, ce qui repose moins sur une stratégie magique que sur la multiplicité de ses noms d’emprunt et des identités - dont il est conscient de la fausseté - qu’il peut se donner. Comme Edgar Poe apaisant ses angoisses en s’inventant une «ratiocination» impossible à prendre en défaut, Newman-Magnotta-Romanov ajoute à la terreur qu’il entend provoquer en «disparaissant» et en «réapparaissant», sous différentes identités et sous toutes sortes de formes (toutes sortes de «masques», teintures de cheveux, grimage facial, travestissement, etc.), se rassure tout autant qu’il veut effrayer. Et l’état de panique qu’il est en train de créer via les média lui permet de réaliser sa satisfaction narcissique et son pouvoir terroriste à rabais sur une population habituée de voir ce type d’horreur dans les C.S.I. et les Criminal Minds. Pourtant, c'est oublier la leçon fondamentale de La lettre volée du même Edgar Poe : la meilleure dissimulation demeure la mise en évidence. Pendant que les policiers vont recevoir des appels d'hurluberlus qui l'auront vu en même temps ici et là, Newman-Magnotta-Romanov se tiendra bien en évidence, planté justement là où personne ne le remarquera.


Si l’Italie de la Renaissance était l’univers culturel d’Hannibal Lecter, c’est la Russie qui semble le plus fasciner Newman-Magnotta-Romanov, qui apparaît sur certaines vidéos les cheveux blonds platines à l’exemple des acteurs pornos de l’Europe de l’Est. L’évolution de ses noms de référence le font passer d’une vinaigrette à un vin, ou d’un acteur célèbre (et non pornographique) à un tsar.  Parmi ses idoles Facebook, nous rencontrons Lénine, Staline et Vladimir Poutine. À ce dernier prénom, il aurait ajouter celui de la dernière famille impériale, Romanov, comme un lien par-delà la violence de l’URSS qui doit le fasciner plus que l’instruire. (Il est aussi vrai qu'un célèbre homme d'affaires russe se nomme également Vladimir Romanov). Ses traits physiques évoquent d’ailleurs le blondinet prince Youssoupov, lui-même homosexuel célèbre, qui participa activement au meurtre de Raspoutine, dont les débordements sexuels à la cour impériale parmi les dames de compagnie de la tsarine (et probablement ayant été séduit sexuellement par Youssoupov), avait un pénis dressé en forme de poignard. Newman-Magnotta-Romanov appartiendrait-il à la maffia russe, comme le laissent sous-entendre certaines rumeurs? En tout cas, si tel est le cas, je doute fort que ses confrères le laissent aller plus loin dans sa tangente actuelle. Qui, encore, ne se souvient pas du film de Fritz Lang, M le maudit (1931), inspiré de l'affaire Kürten, le vampire de Düsseldorf, où policiers et maffieux nazis se liguent contre le pitoyable assassin? On tue. On démembre. On expédie des morceaux de corps humains dans la maffia, on en jouit sans doute, parfois, mais toujours pour des raisons qui ne sont pas celles de la seule satisfaction d'un narcissiste pervers. Outre ses idoles russes, Newman-Magnotta-Romanov porte un intérêt pour l’acteur Al Pacino pour son rôle dans Scarface. Enfin, son acteur fétiche, James Franco, gay lui-même, et dont les films, de Harvey Milk à La Planète des singes: les Origines, encadrent la série Freaks and Geeks. Androgynie et difformités physiques appartiennent à un même classement.

Lorsque les policiers affirment que Newman-Magnotta-Romanov est peut-être loin maintenant de Montréal ou même de Toronto, qu’il pourrait se trouver à New York ou ailleurs même en Europe, l'opération vise à apaiser l’émoi soulever par un tel crime. Entre le sordide et le macabre, l'aspect extraordinaire du crime laisse pour le moment trop de questions non élucidées. Sur son site Facebook, Newman-Magnotta-Romanov a laissé un message plutôt banal : «Monstres,  démons et fantômes, ils vivent à l’intérieur de nous et ils sont réels, parfois ils gagnent». Il ne faut pas prendre cet aveu de «possession» pour une malédiction diabolique, comme le Helter Skelter de Charles Manson. Cette «possession» n'est rien de plus que la possession physique exercée par le viol auquel il s'est tant de fois prêté dans les films pornos et qui lui commande maintenant de liquider ses «castrateurs», d'aucuns diraient, avec raison, ses exploiteurs, d'où qu'il est faux d'affirmer qu'il n'y a rien de politique dans le crime de Newman-Magnotta-Romanov. Le pied posté aux Conservateurs et la main aux Libéraux disent tout autre chose, qui dénote l'aversion sociopathe du criminel.

Alors que les recherches policières se concentrent sur la localisation de Newman-Magnotta-Romanov et qu'elles risquent de se perdre sur un tas de fausses pistes, l'essentiel n'est pas là. L'essentiel réside dans la question suivante : combien de temps, Newman-Magnotta-Romanov parviendra-t-il à maintenir par sa raison la tension pulsionnelle avant qu'elle n'élabore et mette à exécution sa prochaine mise en scène. Comme Lecter évadé de prison se retrouve dans sa Florence onirique, Newman-Magnotta-Romanov peut fort bien avoir pris le chemin de la Russie, là où l'émancipation gay n'a pas encore été atteinte. Le besoin de répétition du tragique risque, en effet, de camper ses victimes dans le monde gay et particulièrement fortuné. En Russie, là où la vie gay se confond encore avec le monde interlope des souteneurs et des prostitués, il pourrait facilement trouver, lui qui tient à un rythme de vie luxueux, passif, dépendant, de riches Russes qui ne demanderaient rien de mieux que de l'entretenir. S'il est possible de qualifier Newman-Magnotta-Romanov de tueur de chatons en série (Serial kittens killer), il n'a pas encore atteint le stade du véritable serial killer.  Non pas que Newman-Magnotta-Romanov ne soit pas dangereux, bien au contraire. Il ne peut pas ne pas recommencer, ni s’en tenir à ce qu’il a déjà éprouvé dans la conception et la mise en scène du meurtre filmé de sa victime. Il est engagé dans un processus de surenchère, comme nous l’avons décrit ailleurs pour les grands meurtriers sadiques de l’histoire. Qu’il cherche sa propre destruction à défaut de ne jamais parvenir à saisir son autonomie sur ses pulsions, c’est une évidence. Jusqu'où, toutefois, son imagination débridée l'entraînera-t-elle dans la théâtralisation de ses crimes, c'est une autre histoire. Le processus de destruction se situe dans ce qui le fait véritablement souffrir : le conflit entre le mensonge du jeu sexuel et l’insaisissable autonomie dont l’acte meurtrier est la métaphore de l’abolition. Sa propre mort (physique ou symbolique) ne peut être que l’issue fatale de cette transgression irréversible face aux lois de la société. Lorsqu'on le voit revêtu d'un chandail Versace, on ne peut s'empêcher de se rappeler le meurtre du créateur de mode, Giani Versace, dernière victime d'un tueur en série, Andrew Cunanan, en 1997. Paul Bernardo a été tué symboliquement par l’emprisonnement à vie, où sa dégénérescence mentale n’a fait que s’accentuer, observation déjà vue dans le cas de Charles Manson, tandis que Cunanan s'est suicidé d'une balle dans la bouche afin d'éviter d'être pris par la police. On peut également penser au fameux suicide by cops puisqu’il semble douteux que Newman-Magnotta-Romanov parviennent à se suicider physiquement lui-même, par manque précisément de cette autonomie qui est indispensable, même à ceux dont la dépression et l’anxiété ont conduit au suicide. Tout cela reste une question de temps.

Ce qui reste profondément tragique, et dont nous saurons un jour mieux l'histoire, c'est la trajectoire de ce jeune Torontois qui, passant par les rêves de la séduction et de la réification du sujet en objet, est devenu un tortionnaire et un tueur sordides. Rien, à première vue, ne le distingue de tant de ces jeunes qui ont grandi avec les média sociaux, vécus le débridement des années post-révolution sexuelle, qui considèrent leur corps comme une vulgaire marchandise pour se payer des satisfactions puériles (on le voit, sur plusieurs photographies, au volant de voitures de sport). Son androgynie n'est pas une infirmité physique (il n'est pas hermaphrodite), mais une ambivalence sexuelle stoppée dans un état de désirs polymorphes qui lui bloque tout accès à une individualité structurée propre (sinon, autrement, que dans la déstructuration même), à une autodétermination saisie en pleine conscience de ses actes. Les jeux virtuels ont fini par absorber en lui le réel; une realpolitik dont il a très bien saisi les ficelles, celles qui le manipulaient et celles qu'il pouvait manipuler, mais toujours dans la conscience subversive que cette manipulation s'effectuait avec la morale autorisée sur le plan virutel⌛


Montréal
31 mai 2012


Addenda. Il m'a été possible de visionner le 1 Lunatic 1 Ice Pic de Newman-Magnotta-Romanov, la vidéo du meurtre de la victime, dont l'identité a été révélée hier, l'étudiant de l'Université Concordia, âgé de 33 ans et d'origine chinoise, Lin Jun (dit aussi Patrick Lin). La vidéo a été «artistiquement» travaillée, avec un montage qui ressemble plus à une addition de scènes choisies par le vidéaste plutôt qu'un récit minutieux de la durée du crime (ce qui définit la pornographie selon Umberto Eco!) À aucun moment nous voyons comment Newman-Magnotta-Romanov (le Ice Pic) s'est emparé de Lin (le Lunatic), les supplices qu'il lui a infligés, sinon qu'on le voit de dos, s'accroupir sur le corps nu, encore vivant, de Lin (peut-être pour l'étrangler?), dont les membres s'agitent. La qualité des images est brouillonne. Dans les premières scènes, donc, nous voyons Lin, étendu sur le dos, les pieds et les mains liés dans la pose habituelle des masochistes. Une couverte lui enveloppe la tête. Puis, de dos, nous voyons Newman-Magnotta-Romanov s'approcher et se mettre à poignarder le torse à répétition (plus qu'avec rage) sous le regard d'Ingrid Bergman affichée dans le célèbre poster du film Casablanca. Tout se passe froidement dans ce film, et c'est ce qui horrifie profondément les spectateurs peu habitués aux scènes gore. Ce qui est étonnant, c'est la quantité de sang plutôt faible qui s'échappe des blessures, ce qui laisse penser que le meurtre a été effectué avant la mise en scène de la tuerie, auquel cas, le sadisme serait couplé, comme c'est souvent le cas, avec la nécrophilie. Il y a une mystification dans cette vidéo pour les amateurs du genre qui aiment entendre les victimes hurler, se débattre, s'étouffer avant de succomber. Ainsi, lorsque Newman-Magnotta-Romanov sectionne le bras à l'épaule, aucun jet de sang qui, normalement, aurait dû sortir de l'artère et des veines, n'éclabousse les murs. Seules les jugulaires sectionnées au moment de la décapitation ont répandu une mare de sang sur le drap. Bref, il ne s'agit pas d'une répétition de la célèbre scène de douche de Psycho d'Hitchcock. Les membres, restant inertes au moment où commence la boucherie, laissent bien croire que Lin était bien mort avant le tournage des scènes qui nous sont présentées; qu'il a été probablement suffoqué (ou étranglé) avant le début du carnage.

Newman-Magnotta-Romanov poignarde le corps de sa victime, visant surtout l'abdomen, autour du nombril, comme on a poignardé en 1969 Sharon Tate enceinte. Comme si c'était vraiment à la matrice que le tueur s'en prenait. Après, il lacère le bras et la cuisse, lacérations qui ne laissent échapper aucun filet de sang. Il découpe ainsi la tête, puis un bras, et se sert de la main de ce bras pour se masturber. Le corps de Lin est devenu un substitut, à la manière des poupées dans la pièce de Arrabal, Le grand cérémonial, qui s'achève également sur un matricide. Nous reverrons plus tard ce bras dans le réfrigérateur. Puis, une fois les membres disloqués, Newman-Magnotta-Romanov renverse le corps sur le ventre, le poignarde à nouveau. C'est là que l'assimilation du pic à glace au pénis est la plus évidente. C'est sur un tronc démembré qu'ensuite il s'étend afin de le sodomiser, pour passer de la métaphore au réel. Véritable scénario à la Gilles de Rais. Pour en rajouter, il apporte une fourchette et un couteau de cuisine pour se trancher un morceau dans la fesse de Lin, comme nous le ferions pour une pièce de porc. On ne le voit pas manger, mais un chien vient lécher et mâcher la chair pantelante de l'une des cuisses coupées au ras des fesses. Enfin, il le sodomise avec une bouteille, scène courante dans les films porno. Le tout s'achève par une suite de plans fixes montrant la tête et les membres détachés du corps de Lin.

Les trois étapes du rituel sadique identifiées par Marie Bonaparte sont donc respectées. D'abord, la substitution du coït tragique. Newman-Magnotta-Romanov profane le ventre maternel, c'est-à-dire qu'il suicide son fœtus par procuration en frappant dans la «matrice» de Lin identifié à la figure maternelle. Une mère probablement castratrice, au cœur d'un foyer dit dysfonctionnel. L'important demeure que c'est à ce ventre qu'il s'en prend. Tout ce temps, il ignore les organes génitaux de Lin, qui ne jouent pratiquement aucun rôle dans la «scène primitive» réactivée par le découpage du film. Le plaisir qu'il éprouve à entailler les chairs des bras et des cuisses ne sont là que pour amplifier la symbolique maternelle (près des seins, près du vagin). Le plaisir de frapper est évident, et par le fait même, l'androgyne récupère la dimension mâle que trahit sa voix grave sur les enregistrements d'entrevues que nous avons de Newman-Magnotta-Romanov, qui nous raconte que sa vie d'escorte lui permet de parcourir le monde et d'être libre de ses allers et venus, rhétorique classique que nous livrent toutes les entrevues d'escortes des deux sexes. Newman-Magnotta-Romanov ne s'imagine pas racoler sur le coin d'une rue pour une pipe à $ 20.00. Par le fait même, il établit un hiérarchie qu'il reproduit entre Lin et lui. Dans la relation (amicale ou sexuelle), il était nettement le dominant et Lin le dominé. Newman-Magnotta-Romanov, toujours réduit à l'état d'objet par sa passivité féminine dans son «métier», retrouvait, grâce à Lin, son identité sexuelle mâle. Enfin, la scène de cannibalisme - plutôt la nécrophagie -, suggérée par la tranche de fesse qu'il découpe sans habileté et le chien qui lèche la plaie, insiste pour une troisième fois sur la position de Lin dans la fonction maternelle. À sa façon, Magnotta a tué sa mère, mais cela ne lui a pas redonné pour autant l'unité de sa personnalité, toujours déchirée entre une théâtralisation de sa sexualité réifiée et l'impossible autonomie qui le pousse à rejouer la «scène primitive», d'abord par sa propre prostitution, ensuite dans la projection de scènes de meurtres qu'il filme.

De fait, Newman-Magnotta-Romanov quitte fort peu la sphère de Jeffrey Dahmer pour entrer dans celle d'Hannibal Lecter. Il a produit une vidéo qui reste sordide, mal filmée, mal découpée (sic), mal montée. C'est parce qu'elle est si mal faite qu'elle éveille l'attention des amateurs du genre. On ne retrouve ni terribilità baroque (à la Arrabal, précisément), ni sublime (selon Burke) où l'horreur ferait la beauté de l'«œuvre», un peu à la façon des scènes de martyres du Moyen Âge et de l'époque baroque. Bref, Newman-Magnotta-Romanov ne démontre aucun talent de créateur à travers sa folie meurtrière. Les Jacques Callot ou Honoré Daumier du passé, qui dessinaient d'un trait rapide les scènes de violence auxquelles ils assistaient, savaient saisir la beauté de l'horreur et lui donner une esthétique, ce qui est la quête des amateurs du genre gore. Avec la vidéo de Newman-Magnotta-Romanov, c'est impensable. Le célèbre Salo ou les 120 journées de Sodome de Pasolini, encore là, sans violer ni tuer personne, créait une œuvre «sublime» d'esthétique de l'horreur. Enfin, dernière référence culturelle. Le «scénario» de l'affaire Newman-Magnotta-Romanov évoque la pièce de théâtre de René-Daniel Dubois, Being at home with Claude, reprise au cinéma par Jean Beaudin en 1992. La trame du film peut se résumer ainsi : un prostitué tue son amant en l'égorgeant avec un couteau de cuisine (il y a déjà là plus de sang que dans la vidéo de Newman-Magnotta-Romanov) au moment de la saison des festivals d'été à Montréal. Dans la pièce, la scène se passe trente ans plus tôt, au moment où le mouvement indépendantiste était encore populaire et très bruyant dans les rues de Montréal. L'actuel meurtre de Lin, étudiant en génie et informatique, se passe sur fond de crise du mouvement populaire qui accompagne la grève étudiante. Il est douteux que Newman-Magnotta-Romanov ait vu la pièce de théâtre où le film, mais ce qui ressort étrangement des scènes en noir et blanc du film de Beaudin (qui commence avec l'accouplement sexuel explicite et le meurtre), c'est l'évocation des mystères qu'une ville comme Montréal peut receller en elle durant la journée, et qui, la nuit venue, et particulièrement les nuits chaudes et humides d'été au moment où il y a foule, laisse échapper à travers des tensions inouïes.

S'il est possible de voir encore sur la Toile la vidéo de Newman-Magnotta-Romanov, c'est précisément pour les raisons qu'évoquait, en début d'article, Marie Bonaparte. Chaque jour, nous voyons des scènes atroces sur You tube, prises en directs de corps mutilés par la guerre, en Syrie, en Palestine, au Libéria. Nous avons oublié que la guerre est un acte criminel où de véritables individus sont tués avec beaucoup plus de frénésies que Newman-Magnotta-Romanov en met pour poignarder et démembrer le corps de Lin. Le démembrement de Lin Jun pourrait évoquer la célèbre photographie, tant de fois reproduite, du supplice des mille morceaux où l'on voit des condamnés pour parricide dépecés minutieusement, en commençant par les mamelons et les pectoraux découpés de la poitrine, puis les membres sciés au rasoir, à chaque articulation du corps, jusqu'à temps qu'il ne reste plus qu'une tête en extase qui s'agite sur un tronc démembré. Or, il n'en est rien, car c'est bien sur un corps non pas vivant mais déjà mort, que Newman-Magnotta-Romanov s'exhibe dans le rôle d'assassin démoniaque alors qu'il figure davantage dans le rôle d'un nécrophile. Il est toutefois ironique que le sort réservé aux parricides dans la Chine classique ait été celui subi par Lin sur le mode d'un matricide!

La morale de cette histoire, tant est qu'il en existe une par-delà toutes les références culturelles que nous pouvons évoquer pour essayer de saisir le côté sombre du comportement humain, voudrait que deux individus se sont rencontrés à travers leurs perversités, avec la seule issue qu'il était possible dans ce type de relation. Dans une Chine où la morale spartiate s'est imposée depuis l'époque de Mao, l'Occident apparaît pour les jeunes Chinois comme Lin Jun, un monde où les libertés se confondent avec la licence sexuelle ouverte, où il est possible d'être gai sans être réprimé, voire, de pratiquer des fantasmes tenus pour criminels en Chine capitalo-communiste. Pour Newman-Magnotta-Romanov, au contraire, c'est l'Orient russe qui évoque la licence, là où il est possible de tourner des films porno, de gagner de l'argent en usant de son narcissisme, de graviter dans un monde interlope entremêlés de riches et de maffieux, où l'argent et les privilèges rappellent le temps de la cour des Tsars. Ils se sont rencontrés à mi-chemin de l'hémisphère nord, à Montréal, dans une ville relativement peu habituée à des débordements sexuels et violents comme le sont, d'ordinaire, les grandes métropoles américaines, du sud comme du nord. Ce n'est pas la moindre des ironies de l'Histoire qui, dans ce cas-ci, fait mentir le vers célèbre de Rudyard Kipling : East is East, and West is West, and ne'er the twain shall meet

Montréal,
2 juin 2012

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