mercredi 2 mai 2012

Pour des États Généraux de l'Éducation au Québec

POUR DES ÉTATS GÉNÉRAUX DE L’ÉDUCATION AU QUÉBEC

La grève étudiante du printemps 2012 aura eu au moins ça de bon, nous faire prendre conscience collectivement à quel niveau le monde de l’éducation supérieure est pourri dans la province de Québec. Plus qu’un mauvais pastiche de Hamlet, ceci veut dire que l’ère du Rapport Parent est définitivement morte et enterrée. Comme tous les grands projets utopiques, il aura amené de bonnes choses, mais aussi parmi des pires. La question des études supérieures est longtemps restée en retrait sur les problèmes soulevés par les enseignements élémentaires et secondaires. Les poils de barbes des psycho-pédagogues ont blanchi, penchés au-dessus de programmes, de projets de réformes, de contre-réformes, d'ajustements, de compétences transversales, de bulletins avec des chiffres, de bulletins avec des lettres, retour aux bulletins avec des chiffres… Tout cela a vidé des millions de dollars puisés à même les poches des contribuables pour s’apercevoir que le taux de décrochage ne cessait d’augmenter et que pour le stabiliser, il fallait réduire constamment et progressivement les exigences. Le Ministère de l’Éducation du Québec, autant sous les Péquistes que sous les Libéraux, a niaisé, reniaisé et s’autopeluredebananiser (pour reprendre mon expression favorite de Jacques Parizeau) tant personne ne se rendait compte que s’il fallait de nouvelles réformes, c’était bien parce que la précédente n’avait pas atteint aux buts! Quand, dans une publicité des années 80, Mad Dog Vachon disait à Bim (Louis de Santis) dans une publicité de bière : «Ça prend pas un BAC pour comprendre ça, ça prend un BOCK!» Tout était dit de l’incompétence des fonctionnaires de ce ministère.

Le résultat a été double. D’une part, une hémorragie grave de fonds publiques; d’autre part, des programmes élémentaires et secondaires qui ne parvenaient pas à former des élèves aptes à soutenir le niveau de compétitivité des cours supérieurs dispensés dans l’ensemble des universités mondiales (surtout nord-américaines et ouest-européennes). Les professeurs du secondaire se sont transformés en professeurs du primaire; les professeurs du niveau collégial en professeurs du secondaire; les professeurs d’université en professeur du collégial. Une routine s’est installée depuis 30 ans et comme on parle de la machine à imprimer des billets qui créerait de l’inflation au niveau économique, les universités québécoises sont devenues des machines à imprimer des diplômes (et T-Shirt avec logo) qui permettent (si on respecte la courbe de Pareto) d’avoir quelques diplômés respectables pour une foule de bons à tout faire dont le moindre esprit un peu instruit, un peu intelligent peut s’apercevoir qu’il est devant un ignare. Voilà pourquoi on parle sans cesse du sous-développement des universités au Québec; voilà pourquoi on s’en remet à l’argent pour résoudre le problème.

Trop d’universités!

Or, précisément, le problème réside moins dans l’argent que dans la définition même de ce qu’est une université et ce qu’elle doit dispenser. La représentante de la F.É.U.Q. (Mme Desjardins) a parfaitement raison de demander un gel des frais de scolarité et de suspendre les versements aux universités le temps de la tenue d'États Généraux sur l'Éducation. Rajouter plus d’argent dans les universités québécoises n’améliorera en rien ni l’enseignement universitaire, ni la qualité des diplômes, mais seulement les dettes en bâtiments et en équipements qui nous donne un air moins chiche lorsque des invités d’Europe ou des États-Unis viennent visiter nos établissements. Cachés derrière trois réputations : McGill, l’Université de Montréal et l’Université Laval, les autres universités québécoises attendent pour ramasser l’équivalent des montants qui leur sont alloués afin qu’on ne crie pas, à Sherbrooke ou à l’UQAM, à l’injustice du financement de l’État. Car, il ne faut pas se le cacher, là est un des problèmes du Québec. IL Y A TROP D’UNIVERSITÉS. Pour une population entre 7 et 8 millions d’habitants, avec une seule grande ville qui peut se comparer aux métropoles nord-américaines; avec un taux démographique instable; avec une incapacité de ramasser les profits de ses richesses naturelles en les transformant sur place, donc dépendantes  d'une structure coloniale et sous-développée. Notre liste d’institutions offrant des grades universitaires est impressionnante.
    * Université Laval (Québec)
    * Université de Montréal et ses écoles affiliées (Montréal)
          o École des hautes études commerciales de Montréal (Montréal)
          o École polytechnique de Montréal (Montréal)
    * Université de Sherbrooke (Sherbrooke)
    * Université du Québec
          o Université du Québec (siège social) (Québec)
          o École nationale d'administration publique (Québec)
          o École de technologie supérieure (Montréal)
          o Institut national de la recherche scientifique (Québec)
         o Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (Rouyn-Noranda)
          o Université du Québec à Chicoutimi (Saguenay)
          o Université du Québec en Outaouais (Gatineau)
          o Université du Québec à Montréal (Montréal)
          o Université du Québec à Rimouski (Rimouski)
          o Université du Québec à Trois-Rivières (Trois-Rivières)

Statut linguistique anglais:

    * Université Bishop (Lennoxville, Sherbrooke)
    * Université Concordia (Montréal)
    * Université McGill (Montréal)

La question est : pourquoi tant d’universités? Surtout, pourquoi tant d’universités, pour l’avenir, alors que la recherche procédera moins par des laboratoires complexes et équipés en objets lourds qu’en équipement légers, généralement contenus dans les microprocesseurs (informatiques, réseaux internationaux de recherches, concentrations des équipements lourds dans un seul espace). Les dépenses en bâtiments que les universités actuelles ne cessent de justifier on ne sait trop comment valent-elles pour l’utilisation que les universitaires en feront ou bien pour des contrats qui feront circuler l’argent des investissements gouvernementaux au clientélisme des institutions? Cette question, les étudiants se la posent et demandent un moratoire des dépenses car ils soupçonnent, sans doute avec raison, que ces dépenses en «infrastructures» sont une façon de détourner les fonds publiques vers des contracteurs qui ont parti lié avec l’un et/ou l’autre des partis politiques. Cela sans compter ce qui est déjà comptabilisable, c'est-à-dire les revenus généreux de hauts-fonctionnaires des recteurs, doyens et autres administrateurs universitaires. Plus les primes de départ et vous obtenez un véritable «détournement de fonds publiques».

Pourquoi tant d’universités, même en passant outre les dépenses en bâtiments superflus, en équipements inadéquats et en faire-valoir parfois incompétents? Qu’est le réseau de l’Université du Québec sinon un rassemblement de programmes dont la plupart sont adaptés à la recherche en régions doublés de croupions qui, tout en lui l’allure d’une université, n’apportent rien au «rayonnement» que les recteurs sont sensés attendre d’une université. À ces recherches spécifiques, on associe des programmes d’humanités (arts et lettres, sciences humaines) afin de donner à une institution qui serait essentiellement technique une allure d’institution universitaire. Que ce soit l’ingénérie minière en Abitibi-Témiscamingue ou les «sciences de la mer» à Rimouski, ou les techniques en foresterie, géologie et aluminerie à Saguenay, de simples écoles techniques spécialisées ne suffiraient-elles pas pour dispenser ces programmes sans s’enfler d’un «appareil universitaire» qu’elle traîne comme un boulet et qui serait plus efficace et moins coûteux centré soit à Québec, soit à Montréal?

Pourquoi tant d’universités, sinon que pour satisfaire l'orgueil national d'un nombre élevé de titres universitaires qui remplacent ainsi le traditionnel «clergé catholique» (universel)? Lorsque Robert Bourassa, à son retour au pouvoir en 1982, avait créé le ministère de l'«Enseignement supérieur et de la Science» pour y camper Claude Ryan, dont la sénilité se confrontait, comme dans un miroir, avec une superstructure universitaire lourde et immuable, à la fois administrativement et syndicalement, il satisfaisait à son rêve utopique d’une cléricature laïque qui aurait souhaité un diplôme de secondaire 5 à des éboueurs comme un diplôme de troisième cycle à une femme de ménage. Ce goût baroque des titres, des honneurs, des cérémonies de graduation, des rassemblements d’anciens d’une faculté, n’avait plus rien à voir avec une université qui devenait de plus en plus un immense Wal-Mart à diplômes cash & carry. Le besoin de viser une forte diplômation universitaire équivalait à ses yeux recevoir un titre clérical, de vicaire à archevêque, à une époque où on ne pensait même pas au cardinalat! Cet esprit élitiste d’une autre époque, qui se reflétait à travers l’archaïsme de Ryan, était pourtant diffus dans l’ensemble de la population. C'était une réaction régressive aux principes mêmes de la réforme Parent, du temps où, de manière idéaliste et socialiste, on voulait, dans les polyvalentes comme dans les cégeps, joindre les élèves des métiers avec ceux des «généralités» qui déboucheraient à l’université afin de créer une société utopique, équilibrée et complémentaire. Or, Ryan demeurait aveugle au fait que tout le monde n’est pas habile de ses mains comme tout le monde n’est pas également habile de l’abstraction intellectuelle. Ce déni fit en sorte que bien d’excellents artisans ont été orientés par des éducateurs à obtenir des diplômes universitaires plutôt que de les valoriser dans les arts et métiers qui font la base de la vie quotidienne d’une société. Le platonisme ryanien n’est plus compris aujourd’hui, mais comme les perroquets de l’île du Trésor de Rackham le Rouge, il se transmet de génération en génération, les gens trouvant que la voie universitaire est la seule digne d’intérêt qui rapportera gros salaires et reconnaissance sociale. Ce qui est plus troublant, c’est que le gouvernement actuel du Parti Libéral pense encore dans cette optique pour justifier les frais d’augmentation en se disant certain que les prêts seront remboursés par les gros revenus que gagneront les diplômés une fois sur le marché du travail. On ne peut pas être plus loin dans le champ.

La crise financière

La vérité que l’on se refuse à voir en face, nous l’avons mentionnée plus haut, c’est la transformation d’une structure initiatique (baccalauréat, maîtrise, doctorat) en commerce de grande surface. Une université ne ressemble plus à ce lieu de réflexion que l’architecture des plus vieux bâtiments de McGill, du collège Loyola (Concordia) ou des établissements à l’origine érigés en dehors des grands centres urbains (l’Université de Montréal sur le Mont Royal; l’Université Laval, l’Université de Sherbrooke) reflétaient, mais à des centres d’achat. Les expositions qu’on y tient relèvent du divertissement bien plus que de l’éducation. On y invite les chefs de gouvernements et les employeurs de hauts niveaux pour les séduire. Lors de l’inauguration du nouveau campus de l’UQAM au centre-ville de Montréal, au début des années 1980, des boutiques de façade (qui sont toujours là) apparaissaient comme les marchands du Temple. Finit le temps où les Universités obtenaient leur charte du diocèse. Aujourd’hui, aux H.E.C., les noms de compagnies privées capitalistes ont remplacé ceux des saints. Nous les honorons comme les stars sur le Hollywood Boulevard. Même plus, cette prolifération de «succursales» régionales les font passer du niveau centre commercial à celui de vulgaires dépanneurs de coin de rue : il y a plus d'un siècle, on avait bien l'Université Laval à Montréal, maintenant, nous avons l'Université de Montréal à Laval, l'Université de Sherbrooke à Longueuil, l'Université du Québec en Outaouais à Saint-Jérôme, l'Université du Québec à Rimouski à Lévis, etc. Décidément. croire que l’esprit de l’université est toujours celui de la quête intellectuelle du savoir pour la simple gratuité de l'effort et non celui pragmatique en vue du marché relève de l’arriération mentale.

Là repose une des confusions actuelles déterminantes, et tout le monde s’entend tacitement pour dire qu’elle doit demeurer. Les recteurs et enseignants pour leurs prestiges baroques, les étudiants pour conserver l'illusion platonicienne transmise inconsciemment de génération en génération. Or la montée drastique des frais de scolarité équivaut à une montée des prix qui défie toute inflation.  En fait, il faudrait prendre notre système économique au sérieux : là où tout le monde s’attend à ce que les prix baisses, c'est quand il est possible de distribuer le même produit - les diplômes - un peu partout au Québec. Il serait plus réaliste, dans la perspective libérale, de laisser chaque université décider de ses frais de scolarité, quitte à être financée par des entrepreneurs locaux, comme il se fait aux États-Unis. Plus le diplôme est prestigieux, plus il coûte cher, et n’engage en rien la compétence ni le savoir de ceux qui peuvent se le payer. Malgré les cris d’horreur des recteurs, du gouvernement et des étudiants, la réalité, si triste soit-elle, consiste bien en cette évolution des universités en système capitaliste. De toute façon, c’est un peu déjà ainsi que les choses se passent. Étudier à McGill coûte plus cher qu’étudier dans une université francophone, car même si les coûts des cours sont les mêmes, la «vie universitaire» est plus coûteuse à McGill qu’à l’Université de Montréal ou à Concordia.

Reconnaissons-le. L’étudiant est un client. Il s’achète des crédits qui, une fois complétés, comme une collection de cartes de joueurs de hockey, lui donneront un diplôme dans une matière quelconque. Ce diplôme ne lui ouvre pas nécessairement des portes sur le marché du travail, et c’est pour cela que si vous faites médecine ou sciences informatiques, vous aurez plus de chance de faire de bons salaires à la fin de vos études que si vous êtes en sciences sociales, en arts et lettres et même en droit. Or ce sont précisément ces étudiants de ces différentes disciplines qui sont les plus affectés par l’augmentation des frais de scolarité et qui animent les manifestations de rue du «carré rouge». Ils ne veulent ni ne peuvent très souvent payer plus cher ou s’endetter pour une plus longue période de leur vie pour des diplômes qui ne leurs ouvriront pas les portes du marché de l’emploi! Alors, me dira le premier poubelliste de radio ou d’internet venu, pourquoi s’inscrivent-ils dans des programmes sans avenir? Parce qu’ils suivent le principe même de la liberté - qui ne se limite pas, et de loin, au libéralisme économique. La liberté suppose la diversité. La diversité des capacités enrichit  la collectivité de la variété des activités. En idéalisant l’université comme nec plus ultra de la démarche professionnelle, nous risquons de voir des incompétents se multiplier en profitant des dérapées du système qui a besoin de l’argent des étudiants et du gouvernement à la fois pour fonctionner. Comme les critères d’embauche n’équivalent pas à l’excellence mais à des subversions qui vont de la séduction sexuelle au népotisme familial ou aux renvois d’ascenseurs, il n’y a pas à s’étonner qu’un jour nous ayons des chirurgiens ayant aspirés autrefois à être plombiers et qui pratiqueront leur métier comme des plombiers! Comme l'offre de l’université est entièrement tournée vers le marché du travail et se met à sa demande, alors la liberté des capacités est sacrifiée pour la concentration de la richesse selon les secteurs économiques immédiats qui sont demandeurs. Tout le reste, par après, ne sera qu’un effet boule-de-neige.
Les techniques comme justificatifs des cours théoriques.

Dans les arts et les sciences humaines, nous voyons, sur le modèle microsocial ce qui se passe, au niveau macrosocial, entre les Universités et la société. Les départements d’histoire n’auront de débouchés essentiels que dans les techniques archéologiques et archivistiques; les départements de sciences politiques en administration publique et en statistiques; les départements de sociologie en travail social; les départements d’arts et de lettres, avec des cours-modèles modulés par le marché de l’art et des communications, des «recettes» de création et de critiques pour la télévision ou les best-sellers. On ne pense plus dans ces secteurs, on reproduit ad nauseam les échantillons demandés par les différents milieux d’emplois. Soustrayez toutes ces techniques et les départements des disciplines des humanités s’effondreraient, car personne ne voudrait subventionner des «pelleteux de nuages» et des rêveurs onanistes. «Savoirs inutiles» déplorait déjà Michel Foucault; ce qui a toujours été au cœur de l’Université, le «haut-savoir», n’est plus que ce croupion dont je parlais tantôt et que nous conservons pour ne pas passer, aux yeux des siècles, pour les pires anti-intellectuels que nous auront été (avec nos voisins du sud). En ce sens, les Québécois, bien que dotés d’une culture riche, n’ont pas encore atteints le niveau de la civilisation.

Le choix de l’orientation scolaire, païdeia ou technè, remonte à l'époque de l'Antiquité grecque. La première option, - la païdeia - transmise par la culture humaniste, dominait dans le Québec du premier XXe siècle, à l'époque où les collèges classiques formaient des séminaristes plus que des laïcs, jusqu'au début des années 1960. Les membres de la commission Parent, convoquée par le ministre libéral de l'Éducation, Paul Gérin-Lajoie, dont le directeur était lui-même un «monseigneur», entendaient sauvegarder la tradition de la païdeia humaniste à l’intérieur des réformes, du primaire à l’université. Un sociologue comme Guy Rocher, également membre de la commission, ne pouvait qu'être d’accord avec cette vision, tout en étant conscient que la société était en train de changer, dans ses valeurs et dans ses mœurs, et qu’on ne pouvait plus retourner à l’ancienne vocation cléricale du travail intellectuel. En plein après-Seconde Guerre mondiale, à côté du géant américain dont la croissance n’était que matérialiste et industrielle, la technè s’imposait comme l'offre universitaire qui répondrait à la demande de la «nouveauté». Ce fut alors l'ère de la construction des grands bâtiments qui pouvaient abriter des milliers d'élèves (les polyvalentes) ou d'étudiants (les Cégeps et les Universités). Ces immenses constructions, sans précédents dans le domaine de l'éducation, répondaient à ces ajouts de techniques spécialisées qui pour la plupart existaient déjà, mais en dehors des universités. Le fait de les fusionner dans le milieu universitaire a contribué, soit à transformer les disciplines abstraites et théoriques en croupions des formations techniques, soit à orienter la recherche dans des domaines qui s’imposaient par l'apport du financement par des commanditaires (entrepreneurs aussi bien que syndicats), laissant dépérir les autres. domaines de la pensée et du questionnement humain. Bref, l'humanitas s'éteignait au centre des institutions. L’Université au service du milieu ne peut plus être considérée comme universelle, puisque par définition, une université est ouverte sur l’«universel», et l’«universel» n’est pas dans la technique mais dans la connaissance libre et la spéculation intellectuelle. La technique, par contre, est du domaine du singulier, c'est-à-dire des aptitudes individuelles et opportunes aux situations conjoncturelles de la société. Ou les universités sont de véritables universités et travaillent dans l’amélioration de la condition humaine, c’est-à-dire dans le développement critique des libertés et des diversités, ou elles ne sont plus des universités, mais des Écoles techniques ou polytechniques au service de la production économique et du commerce. Il en serait ainsi dans n’importe quel système de production. Il en va donc, au-delà de la discussion sur les orientations particulières et le financement, d’un objectif civilisationnel des universités québécoises.

Suggestions

D’abord, séparer les formations techniques des universités. Que les H.E.C., Polytechnique, Médecine, Droit, Formation des maîtres et les techniques de milieux soient émancipées de toute diplômation universitaire. Centrées sur le travail et la production économique comme les services à la population, qu’elles soient prises en charge par les institutions qui disposeront du personnel que ces «instituts» spécialisées formeront. Comme ce sont des domaines dont on est sûr qu’ils emploieront à de bons salaires leurs «diplômés», les mécanismes de perception de frais de scolarité et les taux ajustés avec le milieu institutionnel entretiendront la reproduction des différents domaines.

Ne conserver que les «sciences de l’esprit», pour employer l’expression de Dilthey, que les connaissances liées au développement de la conscience, du «principe d’humanité», de la spéculation intellectuelle et critique, des arts et des lettres pour les institutions qui porteront le nom d'université. Ce «ventre mou» des méga-universités actuelles depuis près d’un demi-siècle devrait alors être entièrement soutenu par l’État et les niveaux d’acceptation des étudiants seraient conditionnés par des examens et des sélections afin que ces disciplines ne deviennent plus des branches sur lesquelles viendraient se nicher des gyrovagues ne sachant où loger dans les caprices de la consommation de crédits. Je ne vois pas d’autres moyens pour que les universités d’une part, et les écoles techniques spécialisées d’autre part, soient véritablement compétitives tant au niveau national qu’international.

Si l’on choisit le système libéral capitaliste, c’est alors aux milieux des entrepreneurs et des producteurs à soutenir l’essentiel des écoles dont ils cueilleront leurs futurs travailleurs. À ce compte, laissons le libre-marché faire son affaire et sélectionner ses recrues. Si un individu ne peut soutenir ni les examens universitaires, ni les examens techniques, alors peut-être se réorientera-t-il dans le secteur des métiers, ce qui n’est pas honteux en soi puisqu’il sera heureux et gagnera honorablement sa vie. L’Université doit cesser d’être un rêve platonicien, et pour les étudiants de techniques, et pour les artisans de métiers. Et si l’on se sent «appelé» par la vie universitaire, que celle-ci soit autre chose qu’un passe-temps ou une sinécure payée par papa/maman et le gouvernement. Bref, qu'on se mette au boulot, et il y a beaucoup à faire…

Enfin, une fois les écoles techniques séparées des universités, il faut en réduire le nombre, regroupés les étudiants, les ressources professionnelles, les centres de recherches, les publications. Deux universités anglophones, deux francophones suffiraient à ce qui resterait de potentiel valable pour relever le défi de la connaissance théorique. Il n’est pas interdit, au contraire il serait même favorable, que les deux régimes de formations puissent s’épauler sans non plus s’absorber comme ils le sont présentement. Comme effet bénéfique, l’amincissement de la taille des administrations institutionnelles filtrerait les fonctionnaires indispensables à chaque institution. En ce sens, nous cesserions de vivre au-dessus de nos moyens.

Voilà à quoi devrait songer de véritables États Généraux de l’Éducation dans les années 2010. Les solutions retenues par les trois partis politiques actuels sont irrecevables par manque d’imagination, d’idées, de visions. Tous se résignent au statu quo de l'anti-intellectualisme et de l'université au service des entrepreneurs en affaires. Augmenter le coût des frais de scolarité confirme que les crédits ne sont que des produits s’adressant à une clientèle, la plus large possible, sans que les compétences aient à jouer le premier rôle dans les orientations retenues. Dans ce contexte de commercialisation universitaire, l’accessibilité démocratique à l’Université n’est plus un droit, c’est un privilège - le privilège qui veut que plus on a de l'argent, plus on peut se payer de biens -, d'où la contradiction même de la formation intellectuelle et professionnelle qui exige de se qualifier autrement que par la fortune. L’accessibilité démocratique à l’Université en tant que limitée aux «humanités» est un droit dans la mesure où le revenu n’étant pas garanti par les emplois à la fin de la diplômation, le milieu se resserre tout en devenant indépendant des entreprises d'intérêts et, par le fait même, du détournement des fonds publiques. Car c'est bien un détournement des fonds publiques qui passe par la formation spécifique d'individus pour des entrepreneurs qui n'y auront investi souvent que le strict minimum. Le milieu universitaire se resserrerait-il autour d’une tour d’ivoire? Jamais les vieilles disciplines des «humanités» n’ont vu leurs maîtres isolés dans des tours d’ivoire autant que par les temps qui courent, car n’existant pas pour eux-mêmes, ils ne sont que les faire-valoir de techniques qui se vendent comme des promesses d’emplois et de sécurité sociale. Des ressources intellectuelles inouïes se perdent pendant ce temps, où la démagogie l’emporte sur la démocratie. Dans les universités québécoises actuelles, il n’y a plus personne qui pense; il y a surtout des rédacteurs d’articles soumis à la loi publish or perish; par contre beaucoup de gens qui crient…⌛
Montréal
1er mai 2012

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